Hervé Hasquin

Les immigrés. Cauchemar? Chance? Fatalité inévitable? (carte blanche)

Hervé Hasquin historien, écrivain, académicien

« Une vraie question subsiste », souligne l’académicien Hervé Hasquin. « Que va-t-il advenir du milliard deux cents millions d’Africains supplémentaires à naître d’ici 2050? » L’Europe ne peut pas se contenter d’élever des barrières.

Vers 1500, la population de la planète se serait élevée à environ 450 millions d’habitants. A 1 milliard 800 millions à la veille de la Première Guerre mondiale. A 2,5 milliards en 1950. A un peu plus de 6 milliards en 2000. A presque 8 milliards aujourd’hui! Au XXIème siècle, l’Afrique est le principal moteur et réservoir de la croissance démographique. Environ 850 millions d’êtres humains en 2000. Un milliard 350 millions en 2020.

Selon les projections modérées des Nations Unies, l’Afrique comptera environ 4 milliards d’habitants en fin de siècle! Avec un poids considérable de l’Afrique subsaharienne, soit 48 pays peuplés de 3,8 milliards d’habitants à l’horizon 2100. L’étude récente de deux démographes réputés, le belgo-américain John F. May et le français Jean-Pierre Guengant n’encourage pas à l’optimisme (Démographie et Emergence économique de l’Afrique subsaharienne, Bruxelles, 2020, Académie royale de Belgique).

Ainsi, il est prévisible qu’en 2035, deux capitales, en raison aussi des migrations intérieures, Kinshasa et Lagos, atteindront chacune 25 millions d’habitants! Actuellement, 62 % de la population de ces 48 pays a moins de 25 ans. En Europe, c’est 26 % …

La situation paraît encore non maîtrisable pour longtemps. Le fantastique recul de la mortalité infantile n’est pas compensé par une réduction substantielle de la fécondité. Il faudra encore du temps …

Mais un bref rappel s’impose. Déjà à Bucarest en 1974, la troisième « Conférence mondiale sur la population » dégage une conclusion: les variables démographiques et le développement sont interdépendants. Vingt ans plus tard, la cinquième « Conférence internationale sur la population et le développement » – le Caire, 1994 – approuve un Plan d’action osé, et donc courageux. Malgré les réserves du Vatican, de la République islamique d’Iran, de Malte et du Pérou.

Ses principaux accents et objectifs : une croissance économique soutenue dans le cadre d’un développement durable; l’éducation, en particulier celle des filles; l’égalité entre les sexes; la réduction de la mortalité infantile, juvénile et maternelle. Enfin, la recommandation la plus controversée: un accès universel aux services de santé de la reproduction, y compris la planification familiale et la santé en matière de reproduction.

L’évidence énoncée en 1974 était donc confirmée et développée sans ambiguïté en 1994. Une fécondité très haute pénalise le développement économique. Une nécessité: disposer de services de planification familiale; prendre en compte les préoccupations sociales et sanitaires. Un constat en 2021. Pour ainsi dire, le problème reste entier en Afrique subsaharienne. Difficile de faire accepter la contraception. L’opposition des maris … ou du personnel médical, la culture, les traditions et, bien sûr, la religion …. Aussi la résistance des leaders politiques et des élites. L’attachement à un vieux mythe, à un adage ancestral auquel l’Europe a longtemps était attachée. Le « nombre des hommes » fait la force d’un pays. C’est même pour pas mal de chefs africains une source de développement. Mais voilà aussi pourquoi le PNB/habitant de la quasi totalité de ces pays est le plus bas de toutes les grandes régions du monde…

Bref, voilà une région qui verra sa population multipliée au minimum par 2,5, voire par 4, selon que les générations à venir se libèrent ou non des comportements procréateurs traditionnels. Le nombre de migrants et de réfugiés originaires d’Afrique subsaharienne a doublé entre 1990 et 2020. En 2020, 8 millions d’entre eux se trouvaient dans les pays développés. 64 % ont trouvé refuge en Europe. Que réserve l’avenir? Les éternels « aboyeurs identitaires » ont encore de beaux jours… Les migrations en provenance de cette partie d’Afrique augmenteront inéluctablement. Risqué d’arbitrer les points de vue entre le professeur américain Stephen Smith et son homologue français François Héran. Le premier inquiète: l’Afrique va déferler sur l’Europe. Le second tempère. Mais une vraie question subsiste. Que va-t-il advenir du milliard deux cents millions d’Africains supplémentaires à naître d’ici 2050? La poussée subsaharienne s’annonce impressionnante. Je rappelle que l’histoire du monde est d’abord une histoire démographique. La peur, la faim, le rêve de vivre mieux sont de tout temps des aiguillons.

Et l’humanisme là-dedans? L’Europe ne peut pas accueillir « toute la misère du monde ». Des socialistes éminents, Mitterand et Rocard, l’ont proclamé voici 40 ans! Etre humaniste, ce n’est pas laisser les portes grandes ouvertes… Mais le thème de l’immigration choisie est à manier avec prudence… Vider ces pays de leurs élites? En principe, il est à souhaiter qu’ils soient plus riches pour créer de l’emploi et nourrir leurs populations. Accueillir les meilleurs n’aide pas au développement de ces pays. Il est vital que l’Union européenne se prépare sérieusement à ces défis. Se contenter d’élever des barrières est vain. Mais par ailleurs se souvenir que nos populations sont volontiers xénophobes. Préserver la démocratie, c’est aussi savoir jusqu’où ne pas aller trop loin, au point d’en saper les bases au profit des mouvements extrémistes …

Hervé Hasquin

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