Jules Gheude

« Les francophones méconnaissent la réalité flamande »

Jules Gheude Essayiste politique

Les francophones méconnaissent la réalité flamande. Ils s’imaginent que la mouvance nationaliste ne concerne que la seule N-VA.

Le président du SP.A, John Crombez, avait reçu le feu vert de ses instances pour discuter avec la N-VA de la formation d’un gouvernement flamand.

Voilà qui montre bien à quel point les socialistes flamands se distinguent de leurs « camarades » wallons. Non seulement par leur conception du socialisme, nettement social-démocrate, mais aussi par leur approche plus pragmatique.

Lorsque le démocrate-chrétien Luc Van den Brande, alors ministre-président du gouvernement flamand, avait lancé l’idée du confédéralisme au début des années 90, il avait d’ailleurs déclaré : « Mes collègues de l’exécutif flamand, SOCIALISTES COMPRIS, se rallient à mes déclarations sur le confédéralisme. »

Et le 18 juillet 2008, dans une interview accordée à « Knack, l’ancien ministre socialiste flamand Luc Van den Bossche – le père de Freya -, s’était empressé de préciser : J’ai toujours été un confédéraliste. En effet, j’ai toujours trouvé que les entités fédérées devraient finalement conclure un accord sur ce qu’elles souhaitent encore gérer en commun au niveau fédéral. Si l’on compare cela avec les années 50 du siècle dernier, c’est une révolution copernicienne, mais quand vous voyez les pas que nous avons déjà faits dans cette direction, je n’appellerais plus cela copernicienne. C’est un grand pas, mais un pas logique. »

Voilà qui nous situe bien loin de la stratégie adoptée par Elio Di Rupo : « Le PS ne négociera pas le confédéralisme. »

Le fossé idéologique entre socialistes du Nord et du Sud était encore apparu en 2017, à l’occasion de la sortie du livre d’Elio Di RupoNouvelles conquêtes. À gauche pour un monde plus juste. John Crombez lui avait réservé un accueil glacial : « La société que je désire est très différente de celle d’Elio Di Rupo. »

Les francophones méconnaissent la réalité flamande. Ils s’imaginent que la mouvance nationaliste ne concerne que la seule N-VA.

Ont-ils oublié l’attitude radicale adoptée, durant des décennies, par la démocratie-chrétienne flamande ? Ont-ils oublié toutes ces années durant lesquelles « l’Etat CVP » a oeuvré ? L’intervention musclée de Wilfried Martens contre le pavillon français lors de l’Expo 58 ; la façon dont Jan Verroken est venu à bout du gouvernement Vanden Boeynants sur le « Walen buiten » de Louvain en 1968 ; le torpillage du pacte d’Egmont par Léo Tindemans en 1978 ; l’aversion manifestée par Eric Van Rompuy envers le FDF en 1979 (« A l’automne, nous devrons déployer une tactique pour congédier le FDF. ») ; la charge contre José Happart (appelé Mijnheer H. par Luc Van den Brande) et sa cause fouronnaise ; la manière dont le Premier ministre Jean-Luc Dehaene a floué, avec l’aide de ses « Toshiba Boys », les francophones avec la loi de financement en 1988 ; le cartel CD&V/N-VA porté par Yves Leterme sur les fonts baptismaux en 2004 ; l’interview accordée par Wouter Beke au journal québécois « Le Devoir » en 2007 (« Nous sommes pour une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. (…) Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. »)

Le même Wouter Beke qui a annoncé que le CD&V demanderait une nouvelle réforme de l’Etat en 2024 et qui s’est farouchement opposé à toute tentative visant à refédéraliser certaines compétences, dont les soins de santé.

La réalité, c’est qu’il n’y a pas l’épaisseur d’un papier de cigarette entre le CD&V et la N-VA. S’il y a parfois rivalité, elle ne s’explique que par la compétition électorale.

Les libéraux flamands ne sont pas en reste en ce qui concerne la défense des intérêts fondamentaux de la Flandre. On l’a vu le 7 janvier 2003, lorsque Patrick Dewael, alors ministre-président flamand, a présenté au Parlement flamand ses priorités pour une nouvelle réforme de l’Etat. Le cahier de revendications visait à scinder quasi tout l’éventail des compétences restées fédérales : scission des soins de santé et des allocations familiales, régionalisation partielle de la SNCB, flamandisation totale de Bruxelles-National, autonomie accrue pour l’impôt des personnes physiques, régionalisation partielle de l’impôt des sociétés, fixation par la Flandre de ses salaires et des sanctions de ses chômeurs…

En fait, la volonté affichée aujourd’hui par Bart De Wever de mettre le confédéralisme sur la table de négociation s’inscrit dans une logique qui a été initiée avec l’adoption, en 1999, des fameuses résolutions par le Parlement flamand.

En 1973, Manu Ruys, l’influent éditorialiste du journal « De Standaard », – lequel reprenait fièrement le slogan AVV/VVK (« Alles voor Vlaanderen en Vlaanderen voor Kristus » – Tout pour la Flandre et la Flandre pour le Christ) à côté de son titre -, avait sous-titré son ouvrage « Les Flamands » : Un peuple en mouvement, une nation en devenir.

Cette nation flamande est aujourd’hui une réalité, comme le stipule le préambule de la « Charte pour la Flandre » (Handvest voor Vlaanderen), présentée par le gouvernement flamand en 2012.

Et c’est bien là que se situe le drame du Royaume de Belgique. Comme le dit un proverbe africain : il n’y a pas de place pour deux sur la peau du léopard.

Il aura fallu au Mouvement flamand des décennies de lutte acharnée pour faire en sorte que l’identité linguistico-culturelle et politique de la Flandre s’affirme au sein de ce Royaume, créé artificiellement pour des raisons diplomatiques et dont les leviers de commande se trouvaient aux mains de la haute bourgeoise francophone.

Aujourd’hui, la nation Flandre a tout naturellement vocation à devenir un Etat souverain. José-Alain Fralon, l’ancien correspondant du « Monde » à Bruxelles, a bien perçu les choses, lui qui, en 2009, dans son livre « La Belgique est morte, vive la Belgique ! » (Fayard) s’était permis de donner au roi Albert II le conseil suivant : « Si, (…) vous la jouiez plus finement ? En admettant, comme nous le ferons tous tôt ou tard, que rien ne pourra arrêter la marche de la Flandre vers on indépendance, et en accompagnant celle-ci au lieu de la tenter en pure perte de la stopper ? ».

En Flandre, les négociations viennent de démarrer en vue de reconduire une coalition suédoise. Voilà qui rend la constitution d’un nouveau gouvernement fédéral plus difficile que jamais. Les journaux télévisés de la RTBF et de RTL de ce 12 août ont tous deux conclu que le pays devenait ingouvernable. Danielle Welter (RTBF) précise : Pas de problème pour Bart De Wever. Ce sera le confédéralisme, donc la fin de la Belgique.

Pour Elio Di Rupo, les choses se compliquent singulièrement.

Au niveau wallon, Ecolo a durci ses revendications. Le PS pourrait se retrouver finalement seul avec le MR. Bye bye la coalition ultra-progressiste souhaitée par Elio Di Rupo et… la FGTB. On imagine déjà la charge de cette dernière !

Par ailleurs, Charles Picqué déclare aujourd’hui qu’il n’est pas impossible que le PS et la N-VA négocient ensemble la formation d’un gouvernement fédéral.

Jamais avec la N-VA, avait pourtant lancé Elio Di Rupo.

Si tout cela se réalise, raclée assurée pour le PS aux prochaines élections !

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