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Les experts de l’UCLouvain vous répondent: « Nous devons gagner du temps »

Le Vif

Le déconfinement doit forcément être progressif. « Pour parler d’une normalisation complète, il faut probablement attendre la mise à disposition d’un vaccin », soulignent les professeurs de l’UCLouvain.

Question d’un lecteur : quelles sont les perspectives de sortie du confinement : un vaccin, une transfusion, une prise de risque, une immunité générale… ?

Réponse de Sandy Tubeuf, professeure en Economie de la Santé à l’Institut de recherche santé et société (IRSS) et à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), Université catholique de Louvain :

En Belgique et dans la plupart des pays qui nous entourent, les gouvernements adoptent une stratégie graduelle qui permettra de passer de la situation actuelle à une situation où les risques de contagion ou d’engorgement des hôpitaux restent atténués. Ainsi, les mécanismes de distanciation sociale vont se poursuivre avec un port du masque fortement recommandé voire rendu obligatoire dans certains contextes tels que les transports publics, les magasins et les hôpitaux et centres de soins.

En ce qui concerne les tests, ils peuvent être de différentes formes. Les tests PCR seront vraisemblablement largement utilisés pour détecter les malades du Covid-19, qui devront être mis en quarantaine, tout particulièrement les malades asymptomatiques alors que les tests sérologiques permettront d’identifier les personnes immunisées qui ne sont, a priori, plus contagieuses ni à risque et qui pourront reprendre leur activité professionnelle. Cependant, il reste encore beaucoup d’incertitude autour des tests. Au-delà de leur disponibilité encore restreinte, leur fiabilité fait encore débat et il n’y a pas de consensus sur le fait que l’immunité de groupe s’observera dans le cas du Covid-19.

En lien avec les tests, on entend de plus en plus parler de l’utilisation d’applications mobiles qui permettraient de tracer les malades et de prévenir les utilisateurs qu’ils ont été en contact avec une personne atteinte du coronavirus via une alerte de son smartphone. Cependant, il n’est pas certain que ce type d’instrument fera partie de la stratégie de sortie de confinement des pays européens. En effet, l’utilisation de données personnelles et de données de géolocalisation remet en cause le respect de la vie privée.

En complément de l’utilisation de tests, la relance de l’activité dans le monde du travail s’appuiera sur un renforcement des règles de sécurité et d’hygiène sur les lieux de travail en respectant la distanciation sociale. De même, la réouverture des commerces, crèches, écoles et universités sera contingente à la mise en place de règles de distanciation sociale. Ainsi, il ne sera probablement pas étonnant de voir se multiplier l’utilisation de marquages au sol pour indiquer les distances de sécurité ou de systèmes de tickets et de files d’attente dans les commerces et lieux publics pour favoriser l’absence de contacts physiques et d’occasions de contagion.

Concernant les évènements sportifs et culturels, ils ne reprendront que dans un second temps et il y a de fortes chances que leur tenue sera soumise au nombre de participants qui devra être faible afin d’éviter la propagation du virus.

Quoi qu’il en soit, il sera nécessaire d’adapter la stratégie de sortie de confinement à la réalité du terrain et des indicateurs de progression de la lutte contre la pandémie, car si un vaccin serait vraisemblablement la solution idéale, il n’est pas pour après-demain.

Pour aller plus loin :

Gilbert M., Dewatripont M., Muraille E., Platteau JP., Goldman M. (2020) Preparing for a responsible lockdown exit strategy. Nature Medicine. https://www.nature.com/articles/s41591-020-0871-y

Abele-Brehm A., Dreier H., Fuest C., Kräusslich HG., Leonhard M. et alii (2020) Making the fight against the Coronavirus pandemic sustainable. Ifo Institute. https://www.ifo.de/DocDL/Coronavirus-Pandemic_Strategy.pdf

Réponse de Niko Speybroeck, professeur à l’Institut de recherche santé et société (IRSS) :

Malheureusement, à ce jour, on ne peut pas encore noter de diminution assez forte pour changer considérablement les mesures. Pour parler d’une normalisation complète, il faut probablement attendre la mise à disposition d’un vaccin. Entretemps, nous devons gagner du temps et nous assurer que la situation reste gérable pour les hôpitaux. La suppression des mesures devrait être lente et progressive.

Pour rappel, les chiffres du nombre de décès et des personnes infectées sont les résultats de ce qu’on a vécu il y a deux voire trois semaines. Par exemple, s’il y a eu un changement de comportement durant les vacances de Pâques, les effets ne seront donc visibles que deux semaines après. Ce qu’il faut faire, comme le gouvernement le fait jusqu’à présent, est d’adapter légèrement les mesures pour voir deux semaines plus tard quels en sont les effets.

Le plus important est de respecter les mesures mises en place. On ne pourra sortir du confinement que si la population les respecte. Si on regarde les crises du passé comme la grippe pandémique de 1918 aux États-Unis par exemple, les régions moins strictes ont eu un deuxième pic plus violent que les régions qui ont suivi les règles. Il faut apprendre du passé. On voit clairement l’impact positif du maintien des mesures et le contraire si on les assouplit trop tôt. L’important est d’avoir des actions précoces pour sauver des vies comme la distanciation sociale. Quelles que soient les mesures adoptées et adaptées, il faudra viser à réduire fortement le nombre de contacts potentiellement infectieux entre les individus. Un autre message à retenir de cette crise est qu’un leadership efficace peut nous guider et faire la différence, ce qui pourrait être un message subtil pour la génération des décideurs politiques d’aujourd’hui.

Réponse de Jean Ruellevirologue, chercheur à l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCLouvain :

Le déconfinement n’attendra donc pas la disponibilité d’un vaccin ou les résultats d’études démontrant une efficacité possible du transfert passif d’anticorps prélevé chez un patient guéri. D’après les informations dont nous disposons aujourd’hui (14 avril), l’immunité suffisante de la population ne sera pas atteinte dans un futur proche : même si le nombre de personnes contaminées et potentiellement immunisées n’est pas connu à ce jour, il représente une minorité de la population. Il faudrait plusieurs vagues épidémiques, avec l’inconnue de mutations possibles du virus qui pourraient faire en sorte que l’immunité acquise lors d’un épisode épidémique ne soit pas complètement efficace pour freiner la propagation d’un nouveau variant. Il est vrai qu’une minorité immunisée aura déjà un impact sur la sévérité des vagues suivantes, mais l’immunité collective sera beaucoup plus facile à atteindre à l’aide de vaccins.

Le déconfinement sera progressif, en suivant de près la situation – c’est-à-dire en testant tous les cas suspects et leurs contacts réguliers, et en renforçant les protections individuelles en entreprise et dans les lieux fréquentés comme les transports. Il faut être réaliste que ceci ne supprimera pas tous les risques d’infection – le jour du zéro cas dépisté n’arrivera pas à la levée du confinement, mais la levée ne peut se faire que si le risque de croiser une personne contaminante est suffisamment faible que pour être acceptable. Il s’agit d’une gestion d’un risque qui restera présent, mais minimisé. Ce qui implique que la prise de risque ne se prendra pas tout de suite pour les activités de loisirs, sportives ou culturelles rassemblant du monde.

[ST1]Ici citer : https://www.nature.com/articles/s41591-020-0871-y

[ST2]Ici citer : https://www.ifo.de/DocDL/Coronavirus-Pandemic_Strategy.pdf

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