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Les experts de l’UCLouvain vous répondent: « La crise sanitaire nous renvoie à notre condition animale »

Le Vif

Nous pouvons apprendre des chimpanzés: « leur maitrise du corps et leur adaptation à l’environnement est très souvent admirable », souligne le philosophe Bernard Feltz. Mais le langage nous rend bien plus créatif.

Question d’un lecteur: « Y a-t-il une chance pour que l’animal humain prenne enfin conscience de l’héritage génétique qu’il partage en grande partie avec ses cousins les grands singes, non pas pour les ridiculiser (loin de là) mais pour enfin profiter d’une de nos caractéristiques, la pensée critique? Qu’est-ce qui distingue l’animal humain de l’animal chimpanzé? »

Réponse de Bernard Feltz, professeur émérite de l’Institut supérieur de philosophie de l’UCLouvain

La crise du coronavirus peut-elle modifier la perception que l’on a de l’animal chimpanzé par rapport à l’animal humain? Elle nous rappelle en tout cas notre condition corporelle que nous partageons avec tous les animaux et nous amène à nous réinterroger précisément sur ce qui distingue l’humain de l’animal.

Deux éléments de réponse à cette question. Dans l’évolution des espèces, il y a continuité entre le monde animal et le monde humain. L’espèce humaine provient bien de la lente évolution d’espèces animales qui nous ont précédés : les arguments vont de la biogéographie à la génétique, en passant par l’embryologie et la paléontologie. L’être humain est bien un animal, produit de l’évolution animale. Bien plus, pour de nombreux neuroscientifiques et éthologues, de nombreux animaux disposent d’une conscience : leur comportement est profondément marqué par un savoir lié à la mémoire que chaque individu a de ses comportements antérieurs et lié à l’histoire de la population à laquelle il appartient.

D’autre part, à côté de cette continuité, il faut également parler de seuils, qui induisent des différences. Nombre de ces scientifiques tendent en effet à distinguer une conscience animale évoquée à l’instant, et une conscience d’ordre supérieur, liée au langage articulé. Ce langage articulé permet à l’humain de faire la distinction entre un monde réel et imaginaire, un monde passé, présent et à venir. Il permet d’anticiper les événements et ouvre à des possibilités que n’ont pas les animaux qui en sont dépourvus.

La grandeur de l’animal

Sur cette base, un nouveau rapport à l’animal devient possible. Il y a de la grandeur dans l’animal. Leur maitrise du corps et leur adaptation à l’environnement est très souvent admirable. Certains de leurs comportements ne cessent de nous étonner. La plupart des comportements que l’on tend parfois à considérer comme spécifiquement humains peuvent souvent être observés, en fonction du principe de continuité, à l’état d’ébauche dans la nature. Que l’on songe aux expériences menées sur le sens de la justice chez les chimpanzés. Des relations intenses sont possibles entre individus d’une même espèce, voire parfois entre individus d’espèces différentes. L’univers de l’animalité manifeste toute sa richesse et son altérité par rapport à l’humain.

Pourtant, notre admiration pour nos cousins les chimpanzés n’entre pas en contradiction avec le sentiment d’une différence importante liée au langage. Celui-ci nous propulse dans un monde distinct où la créativité se voit décuplée : complexité des relations humaines, sciences, techniques, arts, autant de domaines où il y a différence, différence liée au fait que nous sommes des corps habités par le langage. Il y a de la grandeur dans l’animal, et l’animal humain peut lui rendre hommage, sans nier sa spécificité.

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