Patrick Charlier

Les droits humains, c’est faire du vélo (carte blanche)

Patrick Charlier Directeur d’Unia, mais s’exprime ici à titre personnel

Après les restrictions due à la pandémie, « il est essentiel aujourd’hui de veiller au besoin vital de retrouver nos libertés individuelles et collectives, écrit, à titre personnel, Patrick Charlier, directeur d’Unia, en insistant sur l’équilibre à préserver un équilibre. Loin d’être un appel incantatoire, j’y vois une nécessité pour éviter de nous nécroser dans une surprotection mortifère. »

Une cycliste n’avance qu’en appuyant sur chacune de ses pédales alternativement. Sinon elle tombe.

Il en va de même pour les droits humains.

D’un côté, il y a la pédale des libertés: libertés de conscience, de pensée, de religion, d’expression, libertés de réunion, de manifestation, d’association, liberté d’aller et venir…

De l’autre côté, il y a la pédale de la protection: droit à la vie, interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants, droit à un procès équitable, droit à la protection sociale, droit à la santé, droit au logement, droit au travail et droit au repos, droit à un niveau de vie décent, interdiction de la discrimination, non rétroactivité de la loi pénale (pas de peine sans loi)…

L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme illustre cette dichotomie et, dans un même élan, garantit le droit à la liberté et à la sûreté.

C’est aussi la raison pour laquelle il y a très peu de libertés ou droits absolus, inconditionnels. Dans le strict respect des conditions de légalité, de finalité et de proportionnalité, un arbitrage doit être fait entre eux, mais aussi entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs.

Et pourtant, plus on est libre, moins on est protégé. Plus on est protégé, moins on est libre.

Lorsque nos sociétés sont confrontées à des événements traumatiques, comme les attentats, à des menaces systémiques, comme la pandémie, ou à de graves crises économiques ou sociales, le besoin de protection prend le dessus. Des mesures sont prises pour y répondre et éviter une répétition.

Pour faire face à la pandémie, de nombreuses restrictions aux libertés ont ainsi été prises au nom de la protection de la santé: limitation des déplacements, couvre-feu, obligation du port du masque, limitation ou interdiction de manifestation, interdiction de rassemblement, fermeture des lieux culturels, fermeture des écoles, report de soins ,… D’autres mesures de protection avaient pour objectif d’aider les uns et les autres à surmonter cette crise: droit passerelle, facilités de paiements, report de crédits…

Le balancier penche inexorablement vers la protection. Il est essentiel aujourd’hui de veiller au besoin vital de retrouver nos libertés individuelles et collectives. Loin d’être un appel incantatoire, j’y vois une nécessité pour éviter de nous nécroser dans une surprotection mortifère.

Après avoir pris appui sur la pédale de la protection, il faut activer celle de la liberté. C’est ce qui nous permet d’avancer et de ne pas tomber du vélo.

La protection est la condition de l’exercice effectif des libertés. Mais trop de protection nuit aux libertés.

Les libertés protègent des excès de l’Etat ou de tout pouvoir qu’il soit économique, social ou culturel. Mais une liberté absolue risque de profiter d’abord, voire exclusivement à ceux qui sont dans des positions dominantes.

C’est ça, l’indivisibilité des droits humains. Ce n’est pas l’un ou l’autre, ce n’est l’un contre l’autre, c’est l’un et l’autre. Il ne faut pas y voir une contradiction mais bien une dynamique féconde qui doit permettre à nos sociétés de transcender les conflits, les attentes diverses, les besoins spécifiques, les aspirations divergentes pour que l’ensemble des droits humains soient garantis au bénéfice de tous et de chacune.

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