Wim Distelmans

Les dix ans de la loi sur l’euthanasie en Flandre

Wim Distelmans Titulaire de la chaire "Pour le droit à une fin de vie digne" (deMens.nu) à la VUB. Auteur de Euthanasie et soins palliatifs : le modèle belge. La Muette, 2012.

Les Belges francophones finiront par condamner de plus en plus le paternalisme de leurs médecins.

Souvent, on ignore que le mérite de la création des soins palliatifs en Flandre, voici 25 ans, revient aux libres penseurs – et non au pilier chrétien : c’est la Vrije Universiteit Brussel qui a installé le premier team de soins palliatifs à domicile dans le nord du pays. Nous ne fûmes pas accueillis à bras ouverts quand nous avons tenté d’introduire des teams de soins palliatifs dans les hôpitaux et centres de soins (dont 80 % appartiennent à Caritas en Flandre). Les hôpitaux bannissaient les termes « incurable » et « patients terminaux : on entrait en clinique pour guérir. Ils maudissaient les soins palliatifs de crainte qu’ils ne portent atteinte à leur réputation. L’application de la loi sur l’euthanasie y fut tout aussi taboue. Quand nous cherchions, en toute discrétion, à savoir pourquoi cette question demeurait si sensible, il nous fut répondu que l’euthanasie n’avait pas de raison d’être puisque les soins palliatifs faisaient l’affaire ! Qui plus est, nombre de demandes d’euthanasie furent satisfaites par voie de sédation thérapeutique (la mise en coma artificiel), avec ou sans l’accord du patient.

Si les soins palliatifs soulagent beaucoup de douleurs, ils n’apaisent pas toutes les souffrances terminales pour autant. Parfois, pour surmonter sa détresse, le patient en arrive lui-même à réclamer qu’on mette fin à sa vie. Les ténors catholiques, surtout, estiment que les médecins consentant à pratiquer le « mercy killing » (le fait de donner la mort par charité) sont inspirés par des sentiments de sympathie et de compassion. Ce qu’ils jugent admissible dans de rares circonstances seulement, après l’échec de tous les soins (palliatifs). Or beaucoup d’anciens adversaires de la loi sur l’euthanasie avouent maintenant que les souffrances terminales ne sont pas si exceptionnelles. C’est à se demander comment ils se sont comportés face à elles avant ladite loi. Mais il existe aussi des souffrances insupportables qui se situent hors du champ des soins palliatifs. Je pense aux patients souffrant d’horribles affections neurologiques et aux malades mentaux inguérissables. Dans ces cas, il ne s’agit plus de « mercy killing » par compassion, mais d’euthanasie de malades lucides non terminaux par respect de leur droit de disposer de leur personne, ce que la loi sur l’euthanasie autorise également.

A l’heure actuelle, 85 % des déclarations d’euthanasie sont faites en Flandre contre seulement 15 % en Belgique francophone. A l’inverse, les médecins francophones recourent deux fois plus à la sédation palliative que leurs homologues flamands. L’enseignement est clair : les médecins francophones décident davantage à la place de leurs patients.

Dix ans après le vote de la loi sur l’euthanasie, les Flamands sont conscients qu’ils peuvent prendre l’initiative. Les professionnels de la santé constatent aussi que les gens réclament l’élargissement de leurs droits acquis à l’autodétermination. Dès qu’une maladie grave et incurable est diagnostiquée, les patients exigent d’avoir voix au chapitre. Ils tolèrent de moins en moins que les médecins décident unilatéralement sans les entendre. La vertu émancipatrice de la loi sur l’euthanasie ne peut être sous-estimée. On peut s’attendre à voir les patients francophones condamner de plus en plus l’attitude paternaliste de leurs médecins.

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