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Les agriculteurs à la recherche de travailleurs pour les récoltes

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

La crise du coronavirus touche de nombreux secteurs économiques. Si les secteurs essentiels, comme celui de l’alimentation, continuent de fonctionner, ils n’en font pas moins face à certains problèmes de logistique, montrant les faiblesses de notre système alimentaire.

Les mesures mises en place en Europe pour lutter contre l’épidémie de coronavirus (fermeture des frontière et limitation des mouvements) ont restreint la disponibilité des travailleurs saisonniers. À l’heure où les premières récoltes du printemps commencent, les agriculteurs belges manquent de main-d’oeuvre.

Pour tenter de solutionner ce problème majeur, les ministres wallon et flamand de l’Agriculture, Willy Borsus et Hilde Crevits, ont chacun séparément lancé un appel pour que les exploitations agricoles et horticoles disposent dans les semaines qui viennent de suffisamment de travailleurs saisonniers.

« C’est le début de la saison des légumes de printemps et les récoltes des asperges et des fraises s’annoncent imminentes. Selon les estimations, 1.000 personnes seraient nécessaires à très court terme en Wallonie« , a indiqué le ministre Willy Borsus. La ministre flamande de l’Agriculture, Hilde Crevits (CD&V), a pour sa part fait état d’un besoin sept à dix fois supérieur en Flandre en raison de l’ampleur de ce type de culture au nord du pays.

Pour les prochaines semaines, en Flandre, le secteur a besoin de quelque 15.000 travailleurs saisonniers en avril et d’environ 25.000 en mai.

Une plateforme wallonne

Willy Borsus
Willy Borsus© Belga

En Wallonie, le collège des producteurs – rassemblant la Fédération wallonne horticole et les associations agricoles wallonnes (FWA, FUGEA, Bauernbund, UNAB) – a développé, avec le soutien du ministre de l’Agriculture Willy Borsus (MR), la plateforme Jobs Easy-Agri. Il s’agit d’aider ces secteurs et de leur permettre de maintenir leurs activités essentielles pour nourrir la population en trouvant une solution rapide au manque de main-d’oeuvre.

« Les candidats-travailleurs, en ce compris les étudiants, peuvent poster une annonce, indiquant aux producteurs qu’ils sont disposés à venir travailler, pour une période plus ou moins limitée, selon les critères de choix du travailleur. L’ensemble des producteurs wallons peuvent consulter librement la liste des candidats et sélectionner, par région, les profils des personnes qu’ils souhaitent contacter », expose Willy Borsus.

Plus de cinq cents personnes s’étaient manifestées la semaine dernière pour proposer leurs services.

Une plateforme flamande

En Flandre, une autre plateforme a été lancée, suivant l’exemple donné par la Wallonie. Le site internet helpdeoogst.be (littéralement, « aide à la récolte ») est une initiative de la ministre Hilde Crevits. Le site helpdeoogst.be doit permettre aux agriculteurs, horticulteurs et jardiniers de faire part de leurs besoins les plus pressants en termes de personnel. Le numéro gratuit 0800 30 700 est aussi disponible. La ministre demande aussi au gouvernement fédéral que le secteur puisse engager des travailleurs en chômage partiel. La mesure sera examinée vendredi en conseil des ministres.

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Le cas particulier du lait

Le vieux continent, premier bastion laitier mondial, « croule sous trop de lait, et les cours s’effondrent », résume pour l’AFP le Belge Erwin Schöpges, qui préside le European milk board, regroupant les producteurs de 16 pays.Il est pour le moment impossible de quantifier les volumes excédentaires en Europe, affirme Mélanie Richard, chef économiste au CNIEL, l’interprofession laitière française. « Ce sont surtout les petites laiteries qui sont menacées en Europe », précise M. Schöpges. « Dans plusieurs pays, en Allemagne et en Italie notamment, certaines ne collectent plus le lait, surtout celles qui fournissaient la restauration ».

La crise laitière européenne a démarré avec l’épidémie du coronavirus en Chine, lorsque les containers de poudre de lait venus du Danemark ou de Bretagne n’ont plus été déchargés des bateaux par manque de bras dans les ports chinois. Puis, l’Italie, qui importe près de la moitié de son lait, notamment d’Allemagne et de France, s’est recentrée sur sa propre production: « Plus besoin de mozzarella ni de lait pour les pizzerias et glaciers fermés », souligne M. Schöpges. « Ensuite, tout est allé à une vitesse incroyable, on a du mal à suivre » ajoute le Belge qui multiplie les réunions pour tenter de trouver des solutions. Selon lui, « il faut absolument plafonner la production en Europe et indemniser les producteurs ».

De son côté, Willy Borsus a demandé à la Commission européenne de pouvoir réduire légèrement et temporairement la production laitière (de 3 à 5%), sur base volontaire et rémunérée, comme ce fut le cas en 2016. Cette solution, beaucoup l’ont déjà adoptée de leur propre chef, en France notamment. La filière Comté va produire 8% de moins sur les trois prochains mois.

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Vers une relocalisation de la production ?

La crise du coronavirus fait prendre conscience au monde politique et à la population du manque de résilience de notre système alimentaire. En Belgique, nous sommes largement dépendants des exportations pour notre alimentation, même pour des produits que nous serions capables de produire chez nous.

« On constate par exemple que le taux d’auto-approvisionnement de la Wallonie (c’est-à-dire le taux de production locale par rapport à la consommation) n’est que de 17 % pour les fruits et légumes frais ; 33 % pour les céréales panifiables ; 10 à 15 % pour les élevages ovins et caprins. Nous sommes également largement déficitaires en légumineuses, huiles végétales, poissons, sans disposer de données précises. Sans oublier les importations massives de soja (pour l’engraissage des élevages industriels) et d’huile de palme qui mettent l’industrie alimentaire sous perfusion », dénonce un collectif de signataires à l’occasion de la Journée internationale des luttes paysannes qui aura lieu le 17 avril. Selon eux, la crise du Covid-19 est une raison de plus de relocaliser nos systèmes alimentaires.

Une tendance qui serait déjà dans l’esprit de plus en plus de consommateurs belges puisque l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité (Apaq-W) et le Collège des producteurs se sont déjà réjouis d’un regain d’intérêt des Wallons pour les produits locaux en cette période de crise. Depuis le début de crise, les Belges ont ainsi changé leur comportement d’achats. Ils privilégient notamment les magasins de proximité.

Forte hausse de la demande

L’Apaq-W et le Collège des producteurs constatent « globalement, une hausse estimée entre 10 et 30% des achats en circuits courts » tandis que « certains producteurs connaissent une demande qui a doublé, voire triplé.« 

« Certains circuits courts bio ont triplé leur chiffre d’affaires en une semaine », constate aussi Dominique Jacques, président de l’Union nationale des agrobiologistes belges. « Les gens ont plus de temps. On n’achète plus quelque chose en vitesse, mais on va chez le producteur du coin », explique-t-il. « Je n’entends personne râler dans le secteur pour le moment. Vu le contexte, cela montre bien que ça va », ajoute-t-il.

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