Carte blanche

Le vote obligatoire : un oxymore démocratique

Les élections du 26 mai 2019, triplet législatif, européen et régional, arrivent à grands pas. Affiches et posters de toutes les couleurs fleurissent sur les façades, les ronds-points. Ils envahissent notre espace quotidien dans un joyeux élan printanier. Le vote n’est-il pas un printemps démocratique ? Les élections ne sont-elles pas la fontaine de jouvence des régimes libres ? Mais le vote obligatoire à la belge rime-t-il forcément avec liberté ?

Un voteur du dimanche en vaut deux !

Comme tout citoyen belge, en âge de voter, je reçois ma convocation électorale par le biais de la poste. Dans ce sempiternel geste quotidien, j’ouvre la boîte aux lettres qui, cela dit en passant, devrait être rebaptisée boîtes aux factures. Pas étonnant, avec internet, elle fait office de réceptacle à une correspondance formelle et administrative ; factures d’énergies, convocations électorales ou judiciaires, déclarations d’impôts, amendes de circulation et une kyrielle de publicités… Ce n’est d’ailleurs pas si surprenant que cela. La convocation cartonnée a quelque chose de désuet, une allure d’autrefois dans un monde 2.0. Soit, je la parcours rapidement des yeux. « LE VOTE EST OBLIGATOIRE ». La phrase trône en tête de la fiche cartonnée. Etrange que les autorités n’aient pas ajouté en petit caractère « sous peine d’amende ». Un citoyen averti en vaut deux. Mais nul n’est également censé ignorer la loi ! Quoi qu’il en soit, le thème électoral lui ne s’inscrit qu’en sous-titre, juste sous la contrainte administrative, elle, bien en exergue. On nous propose un triplet politique ; parlement européen, chambre des représentants et parlement wallon. Il faut commencer par s’y retrouver…

Le méli-mélo électoral

Deuxième surprise de taille. L’intitulé des élections va du plus abstrait au plus concret, du plus distant au plus proche. D’abord les élections européennes. C’est vrai. Pour les Bruxellois, l’intelligentsia européenne n’est pas si abstraite que cela. Ne suffit-il pas de prendre le métro et de descendre à la station Schuman ? Là précisément toute une armada de gens cravatés, tirée à quatre épingles et baragouinant la langue de Shakespeare, avec plus ou moins de succès, s’affairent. C’est sans évoquer les luxueux et lustrés bâtiments où se mire la grisaille bruxelloise. Véritable repoussoir urbanistique que le regard froncé et prêt-à-en-découdre des agents de gardiennage Sécuritas ne rend pas plus agréable. Du coup, une fois le tour du rond-point Schuman accompli, on n’a plus très envie de voter pour une technocratie venue d’une autre sphère. Issu de quartiers défavorisés, à mille lieues d’ici, je ne me sens plus du tout concerné par le faste lointain et abscons du parlement européen, comme certainement des milliers de mes concitoyens…

Le fédéral : un calcul haut en couleur

Ensuite vient le vote pour la chambre des représentants. Dit autrement, élire les parlementaires fédéraux belges. Là de nouveau un bémol. La formulation « chambre des représentants » m’est bien fumeuse. Les représentants ne représentent qu’eux même. C’est en tous les cas un truisme, gravé dans l’inconscient collectif, qui a bonne presse parmi les futurs électeurs. J’opte alors pour la formulation « parlementaires fédéraux ». Je jette un oeil aux anciennes législatures fédérales ; ce sont toutes des coalitions agréablement colorées ; la suédoise, la jamaïcaine, la turquoise, la rouge-romaine et j’en passe… Le mode de scrutin proportionnel oblige. On y trouve de tout. Du coup, quand j’ai voté A pour ne pas voter B, il est fort probable que je me retrouve avec une coalition A-B. Admettons. Le surréalisme belge s’applique à tous les aspects de la vie sociétale. Il n’en demeure pas moins que l’art appartient aux musées et aux salons, et que la vie quotidienne, dictée par une politique d’austérité, est loin d’être artistique. Du coup, élire les représentants fédéraux relève également d’une gageure.

La Région ou les légions perdues.

Enfin, vient le vote pour les parlementaires wallons. Là du coup, je suis plus concerné. Leurs décisions m’impactent directement. Je devrais avoir le coeur démocratiquement léger. En votant pour le programme A, je verrais les changements a-1, a-2 dans mon quotidien. Mais là aussi, rien à faire. Entre candidats titulaires et candidats suppléants, c’est un peu la foire au scrutin. Puis même aux régionales, on ne jure que par des coalitions multicolores ;PS-PRL-FDF-MCC-Ecolo, PS-CDH puis MR-CDH. Allez expliquer tout cela aux citoyens néophytes d’autant que ce sont de nouveau les mêmes visages un peu plus fanés qui fleurissent sur les panneaux.

Histoire et mémoire citoyenne

Troisième surprise de taille. Sur le verso de la convocation figure des instructions et un extrait du code électoral reproduit en caractères minuscules. Malgré mes lunettes et ma ferme volonté, je n’ai pu finir la lecture, rapidement rebuté par la police et la technicité du texte. Ça m’a rappelé les contrats de licence sur internet que tous les utilisateurs paraphent sans n’avoir jamais lu. Pourquoi en place et lieu, n’aurait-il pas eu un petit rappel historique des suffrages en Belgique ? Du suffrage censitaire en 1830 au suffrage universel mixte en 1948 en passant par le suffrage universel plural. Quel chemin de démocratisation ? Mettre par exemple en caractère gras la date de 1948 ; celle de l’accès des femmes au vote. A ce sujet, notre pays est bien mal loti ; la Belgique figure dans le bas du classement d’Amnesty International. Ce sont les Australiennes et les Scandinaves qui trônent au hit-parade…N’est-il pas à travers la confrontation des mémoires et de l’Histoire que l’on conscientise les générations ? Mais là c’est l’enseignant d’histoire qui parle…

Le vote obligatoire ou la démocratie irresponsable

Dès lors une question me vient à l’esprit. Pourquoi nous oblige-t-on à aller voter ? Le vote obligatoire renforce-t-il la démocratie belge ? Ou, au contraire, l’affaiblit-il ? En tout état de cause, le geste de voter est en principe une liberté basée sur une volonté citoyenne. Pour être libre, le citoyen ne doit-il pas être responsable de ses actes civiques ? L’obligation du vote amoindrit le choix démocratique. La liberté de choisir dans l’isoloir est le résultat d’une contrainte et non d’un libre arbitre civique. Aussi dans cette obligation d’aller voter, pointe l’ombre d’un autoritarisme malencontreux. Aussi un citoyen obligé est un citoyen passif ; pour la plupart, il va payer sa dette électorale et n’y pense plus. Obliger le citoyen à voter, c’est le déresponsabiliser. La démocratie a tout à y perdre. Et au vu des tendances populo-nationalistes, les bérézinas s’accumulent, et l’establishment politique s’en accommode au point de semer le doute complotiste dans le chef du citoyen quidam.

Somme toute, à proclamer sur les convocations électorales que « le vote est un devoir », l’Etat gagnerait à responsabiliser le citoyen, à le rendre acteur conscient et consciencieux, à souligner son rôle actif au sein d’une démocratie. Au moment où les démocraties libérales et représentatives sont mal en point, il n’y a pas de petites mesures pour leur assurer un grand avenir…

Par Farid Bahri, enseignant d’Histoire dans le secondaire

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