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« Le Vlaams Belang n’est toujours pas un parti comme les autres »

Peter Casteels
Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Tom Van Grieken et le Vlaams Belang sont clairement les grands vainqueurs des élections de mai. Mais le parti a-t-il vraiment changé ? Peut-être. Mais il n’est toujours pas un parti comme les autres.

Le mois dernier, Francesco Vanderjeugd a lancé sa candidature comme président de l’Open VLD. Il n’est pas d’accord avec bon nombre des décisions prises par Gwendolyn Rutten. En particulier l’annonce qu’elle avait fait – dès le soir des élections – qu’il ne pouvait être question de coopérer avec le Vlaams Belang. Vanderjeugd pense qu’on n’aurait pas dû, d’entrée de jeu, rejeter toutes formes de discussions, bien qu’il concède que son parti diverge sur différents points avec le VB. « J’ai lu leur programme », dit-il, « et on remarque, par exemple que ce parti a une idée précise du rôle de la femme: elle doit rester derrière les fourneaux. Dans leur texte on ne voit que des « lui » à longueur de texte, jamais de « lui ou elle. »

Si c’est là le seul point du programme électoral du Vlaams Belang qui empêche les politiciens d’autres partis de travailler avec eux, on peut dire que l’opération de renouvellement de Tom Van Grieken a été un grand succès.

D’autant plus que Vanderjeugd n’est pas le seul à n’avoir que peu de raisons de ne pas coopérer avec le Vlaams Belang. Même les défenseurs du cordon sanitaire semblent parfois avoir du mal à trouver les bons arguments. De plus, un  » sondage flash  » publié par Het Laatste Nieuws au lendemain des élections a montré que 65 % des Flamands estiment qu’ils ne voient pas de problème à ce que le Vlaams Belang participe à un gouvernement.

Le virage le plus impressionnant a cependant été entamé au soir des élections par Bart De Wever et la N-VA, un parti qui n’a, il est vrai jamais officiellement souscrit au cordon sanitaire. Pendant des années, De Wever avait pourtant, vaille que vaille, expliqué à la Flandre la différence entre le nationalisme exclusif du Vlaams Belang et le nationalisme inclusif de son parti. Même après les élections communales d’octobre, il avait délibérément choisi de ne pas négocier avec le Belang à Anvers.

Tout a changé depuis juin. La N-VA fait désormais tout son possible pour donner l’impression qu’en Flandre seul un manque de volonté du chef d’autres partis les empêche de collaborer avec la VB. Officiellement, le parti est toujours en lice pour un poste au gouvernement flamand et, entre-temps, Ortwin Depoortere, membre du VB, est déjà devenu président de la commission des affaires intérieures de l’Assemblée.

On ne peut nier que le Vlaams Belang a effectivement changé, certainement si on le compare à la période où Karel Dillen était à la présidence ou lorsque qu’on a initié le cordon sanitaire dix ans plus tard. Le plan en 70 points de 1992 a ainsi disparu de la table. Ou plutôt dans le tiroir de Filip Dewinter. (« Si seulement nous avions mis en pratique le plan en 70 points du Vlaams Blok « , déclarait encore Dewinter en 2016 lors d’un débat à VTM).

Depuis que Tom Van Grieken est président, on ne parle plus que d’une grande opération de renouvellement. Il n’a pourtant objectivement pas fait grand-chose: il n’y a jamais eu une rupture sincère avec le passé et Van Grieken met encore chaque année des fleurs sur la tombe de Dillen. Ce qu’il a fait, par contre, c’est rassembler de jeunes collaborateurs autour de lui et, surtout, il les a fait venir au Parlement.

Par contre, régulièrement des membres du Vlaams belang s’illustrent par l’une ou l’autre remarque raciste. Les exemples ne manquent pas. Il est encore facile de trouver des déclarations scandaleuses de Filip Dewinter, lui qui est pourtant de loin le Vlaams Belanger le plus influent après Tom Van Grieken. Par exemple dans un tweet qui date de trois semaines avant les élections, il écrit en légende d’une vielle photo « Ce bus Go Back s’arrête au #Brussel-Noord et ramène dans leur pays d’origine tous les migrants atteints de la malaria et de la tuberculose « . Et c’est aussi Dewinter qui, il y a un an, a averti dans l’hémicycle qu’un « nègre » pouvait devenir bourgmestre d’Anvers. « Et dans deux générations, le maire d’Anvers sera un Marocain, un Turc ou un Noir. L’invasion de l’immigration est devenue une arme de destruction massive pour éliminer l’identité et l’identité culturelle de nos peuples et de l’Europe », était la citation complète.

Et puis, bien sûr, il y a Dries Van Langenhove. Lui qui a rejoint le parti à la demande de Tom Van Grieken. Elu leader  » indépendant  » de la liste à la Chambre du Brabant flamand, il était également officiellement soupçonné d’avoir violé la loi antiraciste, la loi négationniste et la loi sur les armes. Mais ça, c’était avant qu’il ait prêté serment. En tant que « patron » de Schild & Vrienden, Van Langenhove était responsable des mèmes nauséeux et qui étaient aux choix racistes, antisémites ou misogynes que ses membres affichaient sur des forums en ligne.

Dries Van Langenhove
Dries Van Langenhove

Tom Van Grieken en personne a dit qu’il trouvait ces messages « messages douteux ». Malgré cela Van Grieken se laisse parfois encore aller à lâcher une citation douteuse. Une semaine après les élections, lorsqu’on lui demande, dans une interview à De Tijd, ce qu’il pensait du fait que les partisans continuaient à rugir  » Eigen volk eerst  » (Le peuple d’abord) , le vieux slogan du Vlaams Blok, avec enthousiasme lors de la fête de la victoire du parti et que dans le public il n’y avait personne avec une couleur de peau différente, il répond, en substance et en résumé, « que un homme ou une femme noire en Flandre cela restera donc toujours  » un peu bizarre « , parce que chacun a  » sa place dans le monde ».

Chasse aux sorcières

Quinze ans après la condamnation du Vlaams Blok pour racisme et discrimination, les chances qu’une nouvelle condamnation touche le Vlaams Belang sont minimes, surtout depuis qu’un juge a décidé en 2017 qu’il n’avait jamais été prouvé que le parti était raciste ou discriminatoire. Ce jugement va donner des ailes à Van Grieken et aux avocats du parti. Ils vont dès lors passer à l’attaque en poursuivant des politiciens tels que la présidente de Groen Meyrem Almaci et Laurette Onkelinx parce qu’elles avaient traité le Vlaams Belang de raciste. Bien sûr, des plaintes de ce genre n’ont que peu de chance d’aboutir. Elles ont surtout pour but d’intimider. Des techniques d’intimidation que le VB a copiés sur des politiciens tels que Marine Le Pen. C’est toujours une perte de temps et d’argent, mais il faut quand même trouver un avocat et se défendre. Le parti espère qu’on les traitera ainsi moins vite de racistes.

Le racisme n’est d’ailleurs pas forcément punissable. Ces dernières années, il est devenu beaucoup plus difficile de faire condamner une personne ou un parti sur ce motif. Peu de temps après la condamnation du Vlaams Blok, la Cour constitutionnelle opte en 2004 pour une interprétation beaucoup plus stricte de la loi. « Indirectement, cela peut avoir été une réaction au procès du Vlaams Blok. Dans les années 1990 et au début de ce siècle, l’intention était de faire condamner le Vlaams Blok. En conséquence, le seuil pour être condamné n’a cessé de baisser et, en fin de compte, des personnes ont même été poursuivies parce qu’elles avaient envoyé par email des blagues racistes. Cela commençait à ressembler à une chasse aux sorcières. C’est donc une bonne chose qu’une définition plus précise de la loi ait été introduite.

Mais cela ne répond en rien à la question de savoir si le Vlaams Belang est, ou non, d’un point de vue moral, un parti raciste. De toute façon, « le racisme ne se limite pas à ce qui est interdit par la loi « .

De ce point de vue, défendre l’idée que le parti est raciste est une position défendable en soi. Par contre nul doute que le Vlaams Belang n’est toujours pas un parti comme les autres. Il continue de protéger ses membres qui ont depuis longtemps dépassé les bornes, et il en introduit même de nouveaux, comme Dries Van Langenhove.

Le philosophe moral Patrick Loobuyck de l’Université d’Anvers ne veut lui pas étiqueter le Vlaams Belang comme un parti raciste, bien qu’il ait du mal à se faire une opinion définitive. « Le parti joue un double jeu, et je ne sais pas trop comment le juger », explique ainsi Loobuyck. Ils mettent des visages  » propres  » en avant, mais Filip Dewinter n’est pas écarté pour autant. Cela commence même à ressembler de nouveau au plan en 70 points. Le Vlaams Belang ne fait rien pour changer l’opinion des racistes parmi leurs électeurs. D’une manière subtile, il confirme même ces gens dans leurs idées et les mandataires du parti savent très bien à quoi s’en tenir.

Charge contre le halal

Il y a un groupe de la population qui a droit à toutes les attentions des membres du Vlaams Belang. Ou du moins la religion à laquelle cette population adhère : l’Islam. Aux yeux du parti, cette religion est peut-être le plus grand danger qui menace la Flandre. « Certaines personnes d’origine islamique dans notre pays ne sont pas extrêmes. Heureusement » dit le programme du parti. Néanmoins, le Vlaams Belang estime que la moitié des musulmans de Belgique sont fondamentalistes. Pour cela, il s’appuie sur les recherches menées à partir de 2015 par Ruud Koopmans du Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung. (Pour Koopmans les musulmans sont fondamentalistes s’ils sont d’accord avec les trois propositions suivantes :  » Les musulmans devraient retourner aux racines de la foi « ,  » Il n’y a qu’une seule interprétation du Coran et chaque musulman devrait y adhérer  » et  » Les règles du Coran sont plus importantes que les règles du pays où je vis « ).

Le Vlaams Belang veut mettre fin à l' »islamisation » de la Flandre. À cette fin, on ne doit plus reconnaître l’islam comme religion. De quoi garantir la suppression de toutes les subventions. Le financement étranger de l’islam devrait également être interdit, car l’islam doit être « mis sur la paille ». Dans le domaine de l’éducation, les cours de religion islamique doivent être abolis. On retrouve aussi au programme tous les classiques: interdiction du foulard dans l’enseignement et au gouvernement, pas d’heures de baignade séparées, pas de mariage lorsque les mariés refusent de serrer la main au personnel en service. Dans les prisons aussi, le Vlaams Belang veut bannir complètement l’islam.

Le développement d’une politique de retour « pour les musulmans qui veulent vivre selon les règles islamiques et ne sont pas prêts à s’adapter à notre culture flamande et européenne », est le dernier volet du chapitre sur la lutte contre l’islam – pardon, islamisation. Il n’est pas clair si le parti vise ici « la moitié des musulmans qui sont fondamentalistes « .

Filip Dewinter va, comme d’habitude, un peu plus loin. Avant les élections, il a publié la brochure 732 en référence de la bataille de Poitiers, où Charles Martel a vaincu l’armée de l’émir Abdul Rahman. Cela a stoppé la propagation de l’islam en Europe. Dewinter conclut son pamphlet avec vingt propositions avec lesquelles il vise à obtenir le même effet. Il plaide en faveur d’une taxe supplémentaire sur la nourriture halal, d’une interdiction des minarets et de l’arrêt de la construction de nouvelles mosquées. Comme le président américain Donald Trump, Dewinter veut un gel de l’immigration des musulmans, c’est-à-dire pour toutes les personnes des États membres de l’Organisation de la coopération islamique.

Et autant le dire, Dewinter est loin de représenter une tendance mourante au sein du parti. Sam van Rooy, qui lui succède au conseil municipal d’Anvers et qui est maintenant également élu au Parlement flamand, est au moins aussi radical. « L’islam doit être considéré et traité comme le national-socialisme (et le communisme), c’est-à-dire comme une idéologie religieuse totalitaire indésirable qui ne mérite pas la liberté (de religion) », écrit-il dans Voor vrijheid, dus tegen islamisering (Pour la liberté, c’est-à-dire contre l’islamisation). Un livre sur l’Islam qu’il publié l’année dernière.

Ce raisonnement qui veut que l’islam ne soit qu’une « idéologie », et donc pas une religion, est en réalité une idée piquée à Geert Wilders. En fait, le Vlaams Belang pense très peu par lui-même. La plupart des choses qu’ils disent ont été inventées et testées dans d’autres pays européens. Le Vlaams Belang n’a ainsi commencé à parler de l’Islam que lorsque le parti s’est rendu compte qu’une telle chose était plus vendeuse que le racisme pur et dur du passé. Et surtout que cela créait moins de problèmes judiciaires.

Une autre ligne de défense inspiré par Geert Wilders est que le parti ne parle plus des musulmans, mais toujours d’islam. La différence est en effet pertinente sur le plan juridique. Dans le deuxième cas, vous critiquez un système d’idées, un domaine où la liberté d’expression se doit d’être la plus large possible. Les musulmans peuvent se sentir blessés par les propos du parti, mais c’est malheureusement le prix à payer pour vivre dans une démocratie.

Selon Loobuyck,  » le Vlaams Belang peut bien plaider en faveur du retrait de la reconnaissance de l’Islam, il n’y a pas d’arguments valables pour cela. Il n’est pas plus facile de fermer des mosquées. Même l’interdiction des minarets serait probablement directement arrêtée par la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État. Le parti se base beaucoup trop sur la nature fondamentaliste de l’Islam. Or la plupart des musulmans ne sont pas extrémistes et essaient de vivre leur vie en harmonie avec la société occidentale.

Gel de la migration

Peut-être plus important encore que la critique de l’islam par le parti était son plaidoyer en faveur de l’arrêt de la migration pendant la campagne électorale. Alors que le plan en 70 points visait à garantir que tous les étrangers quitteraient à nouveau le pays, le Vlaams Belang plaide aujourd’hui pour que personne d’autre ne soit autorisé à entrer dans le pays. Le programme électoral comporte encore un chapitre intitulé « Stopper la criminalité étrangère », mais la migration est désormais également liée à des problèmes plus banals tels que les embouteillages de plus en plus fréquents et la pénurie d’espaces en Flandre. Aux yeux des Vlaams Belangers, Theo Francken (N-VA), en tant que Secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration, n’a manifestement pas fait assez d’efforts, bien qu’ils réalisent que l’arrêt absolu de la migration n’est pas très réaliste. Le parti fait donc des propositions pour au moins rendre le système plus strict. « Notre sécurité sociale n’est pleinement accessible qu’aux nouveaux arrivants qui résident légalement dans le pays depuis huit ans et qui y ont cotisé pendant trois ans, les demandeurs d’asile sont hébergés dans des centres fermés pendant que leur procédure est en cours, l’assistance médicale urgente aux immigrants clandestins doit être liée au rapatriement et la migration conjugale est rendue pratiquement impossible. »

« Un tel plan, comme l’arrêt total de la migration, se heurte inévitablement aux conventions et traités internationaux « , juge Jogchum Vrielink. Si le Vlaams Belang essayait vraiment de mettre son programme en oeuvre, il rencontrerait probablement les mêmes limites que Theo Francken.

Le programme du Vlaams Belang est-il également en conflit avec la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ? C’était à l’origine la raison du cordon sanitaire. « Les Vlaams Belangers savent très bien ce qui est possible et ce qui ne l’est pas « , dit Vrielink. Le financement des partis peut être retiré si les programmes des partis violent des articles de la CEDH. Du coup, et même si ce n’est qu’un effet cosmétique, le parti s’est assuré qu’on en peut plus lui reprocher quoi que ce soit. Personnellement, je pense également que la CEDH, tout comme la Constitution, devrait pouvoir faire l’objet d’un débat politique. L’attitude du parti à leur égard peut être l’une raison pour laquelle on ne voudrait pas coopérer avec eux, mais cela ne devrait pas être un argument pour les interdire. En tout état de cause, l’interdiction d’un parti n’a guère de sens, surtout en Belgique, où la plupart des partis n’ont pas de personnalité juridique : en deux minutes on peut créer un nouveau parti et toute la procédure tombe à l’eau ».

« On devrait pouvoir interdire un parti qui représente une grave menace pour la démocratie, mais ce n’est pas le cas du Vlaams Belang aujourd’hui », déclare Patrick Loobuyck. « Je dois dire que j’en ai un peu soupé de l’indignation suscitée par le succès du Vlaams Belang, et certainement quand elle venait d’autres politiciens. C’est leur faute et leur responsabilité que ce parti a gagné. Ils doivent s’assurer de reconquérir ces électeurs et de leur raconter une meilleure histoire que celle proposée par le VB de Tom Van Grieken. Se complaire dans l’indignation morale n’est d’aucune aide. »

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