Vincent, un saint au temps des mousquetaires, par Dufaux et Jamar. © DARGAUD

Le sentiment religieux s’offre une nouvelle jeunesse en bande dessinée

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Une tendance qui navigue entre prosélytisme, besoin de spiritualité et crispation communautaire.

Un bruit étrange et beau, par Zep, éd. Rue de Sèvres.
Un bruit étrange et beau, par Zep, éd. Rue de Sèvres. © RUE DE SÈVRES

On le sait peu, ou on le sait moins : parallèlement au festival international de bande dessinée qui se tient chaque année fin janvier en France à Angoulême se déroule au même moment, et au même endroit, un autre festival de BD. Un festival bis qui, lui aussi, attire foule et auteurs, mais qui prend cette fois ses quartiers non pas sous les fameuses bulles d’Angoulême mais bien à la cathédrale, au temple ou à l’église Saint-Martial de la ville : le festival de la BD chrétienne, dont le but affiché est de  » promouvoir un média essentiel pour annoncer l’Evangile aux jeunes de 7 à 77 ans « . Et qui a vécu cette année, entre sa cérémonie de remise des prix en ouverture et sa  » messe de la BD  » de clôture, une édition joyeuse et pleine d’enthousiasme, tant cette BD dite chrétienne se sent pousser des ailes : le sentiment religieux n’a en effet jamais paru aussi présent en bande dessinée, et semble surtout sortir de son ghetto doré, où les chrétiens s’adressaient aux chrétiens. Désormais, même les grands éditeurs classiques ont (re)trouvé la foi. A l’image de Dargaud et de ses auteurs Martin Jamar et Jean Dufaux, justement colauréats du prix 2017 de la BD chrétienne, avec Vincent, un saint au temps des mousquetaires, récit historique mais aussi de fiction autour du père Vincent, avant qu’il ne devienne saint Vincent de Paul, et dont les auteurs affichent leurs ambitions :  » Les chrétiens d’aujourd’hui manquent de mordant ; la religion se ferme plus qu’elle ne s’ouvre, mais il faut pouvoir affirmer ses racines.  »

Racines chrétiennes

Ces racines chrétiennes que Jean Dufaux assume aujourd’hui, après une carrière et des dizaines d’albums sentant plus franchement le soufre que l’encens, sont en réalité aussi celles de la bande dessinée franco-belge traditionnelle, née avec Spirou et Tintin chez des éditeurs catholiques qui entendaient bien faire en sorte que les têtes blondes le restent. Et si, depuis les Baden Powell et Don Bosco de Jijé, dès les années 1940, les moeurs et l’édition ont heureusement évolué, certains comme Bayard restent des prosélytes et règnent sur le secteur, à pas feutrés avec d’excellents magazines pour la jeunesse comme Pomme d’Api, Astrapi ou J’aime lire, ou plus franchement avec ses collections directement destinées aux premières communions et aux professions de foi, de La Bible en BD aux Prières de tous les jours – à lire dès 7 ans, précise leur folder publicitaire. Une BD chrétienne très vivace, dont le festival attitré revendique  » une centaine d’éditeurs, 250 dessinateurs et plus de 1 000 titres publiés à ce jour « , mais qui sort donc désormais de ses rails, portée par une époque de recherche spirituelle mais aussi de crispation communautaire, qui irradie désormais dans tous les styles, loin des bios mièvres au dessin classiquement réaliste qui ont longtemps régné sur le genre.

Jean Dufaux.
Jean Dufaux. © DARGAUD/RITA SCAGLIA

Outre Dufaux et Jamar, connus jusqu’ici du grand public pour leur série Double masque, on a vu dernièrement d’autres auteurs parfois fameux mais peu connus pour leur foi s’aventurer sur ce chemin : ainsi de Zep qui, parallèlement à sa série Titeuf, a récemment publié un one shot adulte et plus réaliste baptisé Un bruit étrange et beau autour d’un moine de l’ordre religieux des chartreux, ou du Norvégien Jason, auteur indépendant multiprimé aux Etats-Unis qui vient de sortir Un Norvégien vers Compostelle, qui le voit parcourir pendant un mois le fameux pèlerinage. Quelques mois plus tôt, le Français Krassinsky avait fait le choix de la fable, avec Le Crépuscule des idiots, pour s’interroger sur l’existence de Dieu, rebaptisé ici  » Diou « . Plus près de nous, le jeune Bruxellois Max de Radiguès vient de publier La Cire moderne, où un improbable trio fait le tour des monastères pour y vendre des cierges ! Autant de titres, de styles et d’auteurs d’une grande modernité qui risquent de donner un coup de fouet à toute une production qui vise plus explicitement à l’édification des âmes.  » On voit paraître de plus en plus de BD chrétiennes et les grandes maisons d’édition s’ouvrent de plus en plus, se félicitait ainsi récemment un membre du jury de cet autre festival de BD angoumoisin.  » Sur l’aspect graphique, sur les scénarios, la qualité a énormément évolué.  »

Crispations

Martin Jamar.
Martin Jamar.© DARGAUD/ÉRIC CHARNEUX
Vincent, un saint au temps des mousquetaires, par Jean Dufaux et Martin Jamar, éd. Dargaud, 80 p.
Vincent, un saint au temps des mousquetaires, par Jean Dufaux et Martin Jamar, éd. Dargaud, 80 p.© DR

Ce renouveau ou cette mode cachent aussi une crispation communautaire parfois décelable entre les cases. Ainsi le bien nommé La Religion, thriller historico-religieux à succès écrit par l’Anglais Tim Willocks, et désormais (bien) adapté en bande dessinée par Luc Jacamon et Benjamin Legrand, avec un premier tome très spectaculaire paru il y a deux mois chez Casterman : difficile de ne pas lire dans ce récit très violent de l’invasion en 1565 de l’île de Malte chrétienne par les  » lions de l’islam  » de Soliman le Magnifique une métaphore à peine voilée des chrétiens d’aujourd’hui résistant à l’invasion islamiste…  » J’aime surtout l’idée que ces guerriers hardcore catholiques croyaient vraiment être la religion ! « , s’amuse Tim Willocks.  » Nous ne sommes pas responsables de la manière dont le récit sera perçu « , balaie pour sa part son traducteur et scénariste.  » Il y a tellement de choses riches dans ce récit que le lecteur peut y puiser ce qu’il veut, même ce qui n’y est pas.  »

Jean Dufaux, lui, l’auteur de Vincent primé au festival de la BD chrétienne, compte bien poursuivre ses recherches en BD sur cette  » autre face d’une même pièce. Ma grand-mère était très croyante, mon père complètement athée, j’ai toujours vécu cette double identité, ce jeu entre l’ombre et la lumière, même si, ici, c’est la lumière. J’ai atteint un âge où j’écris ce qui me semble fondamental, et pas encore fait. Ma part du Diable est toujours bien affirmée, mais ma foi m’a toujours permis d’éviter la psychanalyse, les coachs et ce genre de bêtises. « 

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