La vidéo d'Animal Rights dénonce les pratiques barbares de l'abattoir de Tielt © Capture d'écran

Le respect de l’animal en abattoir, une utopie ?

Stagiaire Le Vif

L’abattoir de l’horreur à Tielt, le plus grand de Belgique, a provisoirement fermé ses portes après un scandale de maltraitance. Michel Vandenbosch, président de Gaia, appelle à revoir le système.

En France, le procès de trois employés d’un abattoir bio du Vigan, accusés d’actes de cruauté à l’encontre des animaux, a fait grand bruit. La Belgique découvre à son tour l’horreur, dénoncée dans un film d’Animal Rights. On y voit des porcs en souffrance, criant, se débattant et se faisant tuer de façon extrêmement violente. La maltraitance animale demeure bel est bien d’actualité dans les abattoirs, même si elle est strictement interdite.

Selon la loi, l’étourdissement des animaux avant leur abattage est en effet imposé. Si l’étourdissement au gaz utilisé n’est pas efficace, la loi exige l’utilisation d’autres méthodes anesthésiantes supplémentaires, ce qui n’est pas le cas ici. Le ministre flamand du Bien-être animal, Ben Weyts (N-VA), a ainsi ordonné la fermeture de l’abattoir de Tielt.

L’organisation de défense des animaux Animal Rights a filmé en toute discrétion durant un mois l’envers du plus grand abattoir de Belgique, en Flandre Occidentale. La vidéo, publiée sur leur site internet, fait très vite scandale. L’organisation GAIA s’est dans la foulée manifestée et a décidé de déposer plainte contre ces « bourreaux des animaux » en concertation avec Animal Rights.

Michel Vandenbosch, son président, s’est exprimé dans un communiqué : « en concertation avec nos collègues de l’association Animal Rights, nous ferons ensemble le nécessaire pour que ces psychopathes et tous ceux qui sont responsables de ces cruautés soient punis pour leurs actes. Nous demandons justice pour ces cochons sans défense, qui sont traités comme de la viande sur pattes, et subissent des maltraitances inouïes. »

La vidéo de cinq minutes est pénible à regarder et démontre des pratiques cruelles : les bêtes sont abattues froidement à coup de coups de pieds, égorgées ou noyées dans une eau à 60°. GAIA pointe alors un problème structurel d’affaiblissement des normes et de mentalité de laisser-aller. La priorité du bien-être animal est ailleurs.

Remise en cause du système

Sur papier, la loi exige la présence d’un responsable du bien-être animal dans les structures d’abattage. GAIA dénonce cependant, par son communiqué, un manque de contrôle évident des autorités : « placer des caméras de surveillance dans chaque abattoir ? OK, mais à condition d’en mettre à tous les endroits où les animaux sont manipulés. […] Les caméras doivent fonctionner 24 h sur 24 et les images doivent être accessibles à tout le monde. Donc pas uniquement aux abattoirs eux-mêmes, aux instances de contrôle ou aux ministères de l’Agriculture. Car ces derniers sont toujours prêts à minimiser les cruautés dévoilées, et à faire croire aux consommateurs de viande que tout est sous contrôle. »

Michel Vandenbosch, président de Gaia, dénonce l’industrialisation de la pratique de l’abattage : « avec un rendement industriel de 30 000 porcs par semaine passant entre leurs mains, comment voulez-vous qu’on attache de l’importance au bien-être des individus ?« 

Le président évoque aussi l’impact de ce système à grande vitesse sur le comportement des travailleurs : « le processus industriel touche les mentalités des salariés. J’ai d’ailleurs rencontré une de ces personnes qui estimait être quelqu’un de différent à son travail, avec une tout autre personnalité. Nous avons affaire à un univers infernal, qui traite en conséquence l’animal comme un simple objet ».

Scandalisé par l’agriculture intensive et la course aux prix bas menée par l’industrie alimentaire, Michel Vandenbosch appelle à repenser l’entièreté du système. « Tout le monde doit prendre sa part de responsabilités », affirme-t-il, « que ça soit nous, consommateurs, ou les chaînes de grandes surfaces. Il faut aussi que le bien-être animal constitue une plus-value, un coût supplémentaire chiffré dans le prix de la viande, et qu’il revienne aux agriculteurs motivés à investir dans de meilleures conditions de vie des animaux. » Tout le monde devrait donc y mettre du sien pour pallier le système infernal de l’industrie de la viande et privilégier la qualité plutôt que la quantité.

– En Flandre, Delhaize est un client important de l’abattoir de Tielt. La viande y était vendue sous le label « Beter voor iedereen » (« Mieux pour tous »), un comble. La chaine a d’ailleurs annoncé qu’elle stoppait leur collaboration. « Nous sommes surpris et choqués par ces révélations, car nous suivons les procédés d’abattage de très près. Pour Delhaize, il est essentiel que les animaux soient bien traités », a commenté sa porte-parole Florence Maniquet.

– Debra-Group, une des plus grandes entreprises d’abattage et de production de viande porcine en Belgique, qui détient l’abattoir, se dit « choquée » et « scandalisée » par les images. « Mais nous ne les nions pas. Il est clair qu’elles ont été tournées chez nous« , a déclaré son CEO, Thomas De Roover De Brauwer. Une enquête interne a été lancée afin « d’éviter ces dérives à l’avenir ». Des mesures immédiates ont également été appliquées et le groupe a dénoncé le comportement irresponsable des travailleurs. Entre-temps, le groupe soulève dans un communiqué la question de la perte de 350 emplois directs et demande qu’on lui accorde la possibilité de poursuivre ses activités : « en ce moment même, l’abattoir soulève l’opinion publique qui, si la raison ne prend pas le dessus, causera, outre la souffrance animale, une souffrance humaine importante pour celles et ceux qui exercent leur profession avec éthique et conviction. »

– La vidéo a fait polémique, et c’est plus de 130.000 signatures qui ont déjà été récoltées par Animal Rights pour la fermeture définitive de l’abattoir de Tielt.

Viande in vitro, abattage dans les fermes… Des solutions ?

Aujourd’hui en Belgique, des centaines d’animaux seraient encore abattus sans étourdissement préalable (procédé qui plonge l’animal dans un état d’inconscience, NDLR), leur infligeant de la souffrance lors de leur mise à mort. Des mesures conventionnelles existent pourtant afin de contrer ces pratiques et de « protéger » l’animal pendant son abattage.

Bien connue aux États-Unis, Temple Grandin, un génie autiste et expert des animaux, s’est consacrée au bien-être animal en élaborant une série d’améliorations efficaces pour un plan d’abattoir moins pénible pour les bêtes. Son approche vise par exemple à manipuler l’animal en lui évitant tout effet de stress, à installer des revêtements de sols antidérapants et à construire des parcs d’attentes modernes afin de détendre le bétail. Pour les consommateurs qui ne seraient pas touchés par la dimension éthique du bien-être animal, Temple Grandin a notamment démontré par ses travaux que le stress engendré chez l’animal donnera une viande plus dure et de moindre qualité.

Temple Grandin, grande partisane du bien-être animal
Temple Grandin, grande partisane du bien-être animal © Capture d’écran

Améliorer le système de traitement du bétail est possible, comme nous le prouve l’entreprise américaine Cargill, qui a déployé la méthode de Grandin dans toutes ses usines de transformation de boeuf et de porc d’Amérique du Nord.

En Belgique, Carlo Di Antonio, ministre wallon du Bien-être animal (cdH), a évoqué, sur RTL-TVI, une méthode allemande consistant à abattre directement les animaux dans la ferme de l’agriculteur, tout en étant accompagné par un vétérinaire. Michel Vandenbosch, quant à lui, trouve espoir dans la conception de viande in vitro : « des recherches sont déjà bien avancées pour qu’on produise de la ‘viande’ à la base de cellules souches, et je pense que ce système pourrait faire, à l’avenir, une percée sans équivoque. » La viande de synthèse aurait, selon le président, le même goût, la même texture et la même forme. Elle éviterait le trop-plein de « tueries massives ».

Aujourd’hui, bon nombre de personnes s’engagent pour un renouveau de la société en raison des questions qui trônent au-dessus de nos têtes, telles que le réchauffement climatique, le bien-être animal, la solidarité… Dans le meilleur des mondes, Michel Vandenbosch aspire personnellement à des améliorations structurelles afin d’éviter le pire des excès, mais reste perplexe : « on ne peut pas éviter toute la souffrance dans un univers d’abattoir« , admet-il, « le danger s’installe quand l’indifférence touche les employés, embourbés dans ce système oppressant. »

Noémie Joly

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