Le lieutenant-général Claude Van de Voorde devra défendre la réforme du SGRS au Parlement. © BENOIT DOPPAGNE/Belgaimage

Le renseignement militaire en crise

C’est l’inquiétude chez les anciens du SGRS. La branche contre-ingérence disparaît, alors que les affaires d’espionnage se multiplient.

Comme la Sûreté de l’Etat, le Service général du renseignement et de la sécurité de l’armée (SGRS-Adiv) a été critiqué par la commission d’enquête parlementaire sur les attentats. Il est sous monitoring du Comité de contrôle des services de renseignement (comité R) qui vient d’auditer son maillon faible, la division CI (Counter-Intelligence ou contre-ingérence). Les résultats devraient être communiqués sous peu à la commission de suivi des Comité P et R du Parlement. Où l’on redoute le diagnostic d’un « encéphalogramme plat ».

La division contre-ingérence n’a pas toujours été l’enfant malade du SGRS. Elle est l’héritière de la section SDRA-III qui s’est illustrée dans le contre-espionnage pendant la guerre froide. A cette époque, elle tournait à plein régime et représentait la moitié du personnel du SGRS, constitué d’environ 600 personnes, l’autre moitié travaillant principalement sur l’Afrique. « Après les événements du Rwanda, en 1994, la branche I, qui collecte des informations stratégiques sur la force de frappe des Etats inamicaux ou non fiables, a été renforcée, pendant que la branche CI stagnait », analyse un haut responsable de l’armée. Aujourd’hui, le contre-espionnage n’occupe plus qu’une nonantaine de personnes.

La section de contre-ingérence est composée de 80% de civils et de 20% de militaires.

Au fil du temps, les missions de CI, rassemblées sous l’acronyme Tessoc (terrorisme, espionnage, sabotage, subversion, crime organisé), se sont diversifiées et amoindries. Diversifiées, parce que, depuis 2010, la loi lui impose de protéger notre patrimoine scientifique et économique, en particulier, dans le domaine militaire. Amoindries, parce qu’une quinzaine d’inspecteurs de l’antiterrorisme ont migré vers la Sûreté de l’Etat.

Les décombres de ce département vont être rapprochés de l' »ennemi héréditaire », la section I, dans le cadre de la réforme du SGRS entrée officiellement en vigueur le 1er janvier. De « verticale », l’organisation du renseignement militaire devient « matricielle ». Une dizaine de plateformes par thème et par région accueillent toutes les infos entrantes et les redistribuent à des équipes pluridisciplinaires qui en font du renseignement. Dans un monde multipolaire, des services partenaires peuvent être alliés sur un sujet, adversaires sur d’autres. Cela demande un peu de subtilité. « Prenons la Russie, illustre l’observateur militaire. On fait un travail sur le pays lui-même, sur ses interventions en Afrique et au Moyen-Orient et sur son activité en Belgique. On essaie d’avoir un meilleur échange d’informations, en veillant à ce que les opérations n’aient pas d’impact l’une sur l’autre. »

Alors que la distinction entre Intelligence et Counter-Intelligence tend à s’estomper, le besoin de cloisonnement et de canaux sécurisés pour des interlocuteurs fiables n’a pourtant jamais été aussi vif, notamment, sur le sujet sensible de l’ingérence. La visite au SGRS de membres du renseignement rwandais, en vertu d’un accord de coopération entre les deux organes signé en 2016, a provoqué une commotion à l’étage de CI, qui a reconnu certaines de ses « cibles » agissant de manière agressive sur le sol national.

Des services vulnérables

Nos services seraient-ils devenus poreux? Le comité R a ouvert une enquête sur une vingtaine de cas suspects de contacts d’agents de renseignement belges avec des espions étrangers (L’Echo et De Tijd du 25 janvier): quinze du SGRS et cinq de la Sûreté de l’Etat. Or, dans un SGRS réformé, qui sera aux aguets pour déjouer les tentatives d’ingérence? Le Vif/L’Express a rencontré un groupe de civils et de militaires de CI, retraités ou d’active, qui tentent depuis des mois d’alerter le monde politique sur les risques de cette réforme: la disparition d’un savoir-faire, la perte de confiance des services homologues (partout en Europe, intelligence et counter-intelligence appartiennent à des directions, voire à des services distincts), la marginalisation des civils au sein de la nouvelle entité. Là est le noeud.

En effet, la section CI est composée de 80% de civils et de 20% de militaires. Elle est dirigée par un commissaire en chef (civil) qui rend compte au commandant du SGRS, en ce moment, le lieutenant-général Claude Van de Voorde, pilote de chasse de formation et ancien chef de cabinet de Steven Vandeput (N-VA). Le passage des militaires au SGRS n’est souvent qu’une étape dans leur carrière. On dit d’ailleurs le lieutenant-général Van de Voorde en partance, soit pour postuler à la succession du chef de la Défense en juillet prochain, soit à un autre poste dans le privé ou le public. Les civils, eux, évoluent dans le même univers, sous l’égide du secrétaire général du SPF Défense. Beaucoup éprouvent le sentiment « de ne pas être considérés ».

Qui sera aux aguets pour déjouer les tentatives d’ingérence?

Leur autonomie, plaident-ils, constitue une garantie pour l’ordre démocratique, notamment par rapport à leurs collègues galonnés. « Cette fonction de surveillance est une épine dans le pied du haut état-major militaire et semble être à la base de la dynamique par laquelle l’état-major du SGRS-Adiv veut immobiliser totalement son département de CI et lui couper les ailes », décrivent-ils dans une note. « Des opérations CI ont été brûlées par le commandement militaire, et les initiatives de collaboration avec la Sûreté de l’Etat dans le domaine du terrorisme, proposées par le commissaire en chef de CI, ont été systématiquement rejetées par le commandement militaire entre 2015 et 2018 », accusent-ils, sans donner plus de détails. Leur position « très forte » de collecteurs d’informations, acquise « grâce à des années de coopération respectueuses avec un certain nombre d’acteurs très importants de la communauté de l’Otan », n’est pas saluée « comme une vertu, mais comme une menace pour le SGRS-Adiv ».

L’ambiance ne s’est pas améliorée, après la bronca d’une dizaine de commissaires, en 2017, qui a poussé, entre autres raisons, le prédécesseur de Van de Voorde, le général Eddy Testelmans, à avancer son départ. La mise à l’écart, en avril dernier, de Clément Vandenborre, commissaire en chef de la division CI, a consommé la rupture. Le 23 janvier 2019, ce dernier était accusé de destruction illégale de documents et privé d’accès à son bureau. Le 23 octobre dernier, un organe disciplinaire rattaché au comité R lui a rendu son habilitation « Top Secret Otan ». Entre-temps, CI avait disparu.

Mise à jour samedi 1er février 12:42

L’audit du Comité R « ne porte nullement sur la recherche d’éventuels espions »

Si le Comité R – le Comité permanent de Contrôle des services de renseignement et de sécurité – a bien informé la Chambre qu’il avait initié plusieurs enquêtes, dont l’une sur la manière dont les services de renseignement appréhendent le risque de possible infiltration, il n’est « nullement question de recherche d’espions », assure-t-il vendredi.

Le week-end passé, le Tijd et l’Echo avaient affirmé que le Comité R avait ouvert une vingtaine d’enquêtes sur de possibles infiltrations des services de renseignements militaires et civils belges par des services étrangers. Selon les quotidiens, cinq enquêtes porteraient spécifiquement sur la Sûreté de l’Etat.

« Dans les 10 dernières années, la Belgique n’a pas connu de cas avéré d’espionnage au sein de ses deux services de renseignement – la Sûreté de l’Etat (VSSE) et le Service général de renseignement et de Sécurité (SGRS), ndlr -« , rétorque le Comité, confirmant la réaction de la Sûreté de l’Etat. Jeudi, cette dernière avait démenti toute enquête sur des infiltrations.

« L’objet de notre enquête porte sur l’analyse des processus de travail et les méthodologies mises en oeuvre en interne par les deux services pour garantir la fiabilité de leurs collaborateurs. Cette intervention du Comité se situe dans sa mission légale d’audit permanent », précise le Comité.

« Cet audit ne porte nullement sur la recherche d’éventuels espions, ce qui n’est pas dans la compétence du Comité R, mais doit permettre d’assurer la fiabilité des services concernés aux responsables, aux ministres compétents ainsi qu’à la Chambre », ajoute-t-il.

Les informations « erronées » parues ces derniers jours tendent « à préjudicier la légitime confiance accordée aux services de renseignement civil et militaire belges », regrette enfin le Comité R.

Belga

Mise à jour jeudi 30 janvier 2020 16:53

COMMUNIQUE DE PRESSE DE LA SURETE DE L’ETAT

La Sûreté de l’Etat (VSSE) souhaite rectifier des informations erronées parues dans la presse. Samedi 25 janvier 2020, le journal L’Echo a publié la traduction d’un article du Tijd (du même jour) titré « Onderzoek naar ‘infiltratie’ Russen en co. in onze inlichtingendiensten », sous le titre « Enquête ouverte sur une suspicion d’infiltration russe du renseignement belge ». L’article mentionne que le Comité R, qui surveille les services de renseignements « a lancé une enquête sur de possibles infiltrations par des services secrets étrangers au sein de la Sûreté de l’Etat […] ». Il y est suggéré qu’il existerait des cas d’infiltrations possibles des services de renseignements étrangers. Selon l’article, le Comité R examine « une vingtaine de dossiers, dont cinq environ à la Sûreté de l’Etat. »

La Sûreté de l’Etat dément catégoriquement cette information et le Comité R peut le confirmer: il n’existe pas d’enquête par le Comité R de cinq cas possibles d’infiltration au sein de la Sûreté. Le journal De Tijd n’a pas souhaité répondre à notre proposition de droit de réponse, ce que nous regrettons.

« Tous ceux qui connaissent en quelque sorte le fonctionnement des services de renseignements comprendront tout de suite les conséquences que la diffusion de ces informations erronées peuvent avoir. Chaque service de renseignement, dont la fiabilité serait entachée, risque de sérieux problèmes de fonctionnement: des services partenaires étrangers pourraient désormais être réticents à échanger des informations comme avant. De plus, le risque existe que le traitement de sources au sein du service soit compromis », dit l’administrateur-général de la VSSE, Jaak Raes.

Le service a considéré nécessaire de clarifier sa position une fois de plus, comme plusieurs autres médias ont également relayés l’information. Sur base de l’article du Tijd, ces médias ont écrit qu’il existe « une crainte d’infiltration Russe ou autre auprès des services de renseignements belges ». Un autre média a posé la question de savoir si « nos services sont devenus poreux ». Il a également écrit que « cinq cas suspects de contacts d’agents de renseignement belges avec des espions étrangers » font l’objet d’une enquête.

« Nous soutenons la liberté de la presse », selon Jaak Raes. « Mais lancer des informations qui semblent insuffisamment recoupées et qui, donc, peuvent mettre en danger la sécurité du pays, est contraire à la défense de l’intérêt général. »

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