Peter Mertens © Karl Meersman

Le PTB entre le marteau et la faucille: « Les ex-stalinistes ont-ils bien rompu avec leur passé ? »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Depuis que le PTB-PVDA obtient 18% dans les sondages en Wallonie, le parti compte dans le paysage de la politique belge. Le succès s’accompagne aussi de critiques. Qu’est-ce qui rend l’extrême gauche meilleure – ou différente – de l’extrême droite ?

« Le PTB est le déchet résiduel du 20e siècle » : quand le président de la N-VA ourdit une attaque contre un opposant politique, il le fait en termes dénués d’ambiguïté. Soudain, le PTB s’est retrouvé au centre du débat politique. C’était une bonne chose pour un parti qui ne compte aucun député flamand : les opinions et les réactions se sont succédé, et les membres du PTB ont pu s’expliquer à la télévision et dans les quotidiens du week-end. Peter Mertens a soufflé toute l’attention en expliquant que le PTB n’a aucun rapport avec la Corée du Nord. Mertens a pu délivrer son message clé, à savoir que son parti est tout à fait démocratique.

Officiellement, le PTB a été fondé en octobre 1978, mais au fond tout a commencé il y a cinquante ans, lors des actions d’étudiants autour de « Leuven Vlaams » en 1966. Trois camarades de Flandre-Occidentale du collège Tielt débarquent à la l’Université catholique de Leuven : Ludo Martens (qui deviendra président du PTB), Hubert Hedebouw (le père du député PTB Raoul Hedebouw) et Dirk Ramboer (le père du secrétaire de fraction PTB Ruben Ramboer). Depuis le début, le PTB présente les traits d’une entreprise familiale.

Power to the People

Très vite, les étudiants, qui remplacent le slogan « Walen buiten » par « Bourgeois buiten », se groupent au sein du Studenten Vak Beweging (SVB), le précurseur direct du PTB. L’organisation rassemble le gratin de la nouvelle génération de gauche radicale de mai 1968. Avant que le commun des mortels ait le temps de s’en rendre compte, les étudiants à Louvain et à Gand sont aux portes des usines. Herwig Lerouge, aujourd’hui membre du service d’étude et de la direction du parti du PTB, se souvient très bien de ces débuts. « Trois éléments ont contribué à notre radicalisation », dit-il. « Premièrement, il y a eu la fermeture de la mine de charbon de Zwartberg en 1966. La gendarmerie a tiré, et il y a eu des morts parmi les mineurs. Deuxièmement, il y avait nos contacts à l’étranger. À Paris et à Berlin, nous avons découvert Marx, Lénine et Mao. Troisièmement, beaucoup de réfugiés politiques sud-américains résidaient à Louvain. Des sympathisants de Che Guevara, mais plus encore de Mao. Ils nous ont expliqué d’expérience pourquoi l’approche systématique de Mao avait réussi et ‘l’aventurisme héroïque’ du Che avait échoué. »

Herwig Lerouge: « Nous étions impressionnés par la Révolution culturelle de Mao, la façon dont les étudiants ont marché contre les privilèges que l’ancienne direction du parti s’était appropriés. Des communistes qui mettaient leur vie au service du peuple : c’était ce que représentait la Révolution culturelle. « Aujourd’hui, elle est surtout connue comme une opération d’épuration féroce – les estimations varient entre un million et demi et huit millions de morts. Lerouge : « À l’époque, nous ne le savions pas. Cet aspect a été révélé plus tard. Nous voyions surtout l’enthousiasme des étudiants chinois et l’élite qui devait se justifier vis-à-vis du peuple. À nos yeux, la Révolution culturelle avait quelque chose d’anarchiste. »

Au début des années septante, le noyau du SVB autour de Ludo Martens se transforme en parti baptisé Alle Macht aan de Arbeiders (Amada) (Tout le pouvoir aux ouvriers). Deux médecins d’Amada, Kris Mercx et Michel Leyers, fondent une première pratique médicale à Hoboken : c’est le début de Médecine pour le Peuple. Martens devient l’homme du parti, Merckx celui des médecins. Les liens entre Médecine pour le Peuple et Amada/PTB sont réels et intenses, mais il s’agit d’organisations séparées même si parti détermine le cap de l’ensemble.

En octobre 1979, le parti se distancie du projet provisoire Amada. Lors d’une séance à huis clos du congrès fondateur du PTB, les membres approuvent un livre qui contient pas moins de 270 points de programme. Le programme résulte de plus de cinq ans de débats, mais reste assez bizarre. Page après page, on fulmine contre pratiquement tous ceux qui ne sont pas membres du parti (ou actifs dans un syndicat). Contre les capitalistes, évidemment, et la petite bourgeoisie. Mais aussi contre d’autres communistes, tels que ceux du Parti communiste de Belgique (PCB), et le « social fascisme » de l’Union soviétique. Le PTB souhaite un « règlement de compte radical avec le système capitaliste » pour venir un jour au « but final, le communisme mondial, la société sans classes ». Cela suppose « une transformation complète de l’homme qui s’est défait de toute mesquinerie bourgeoise et qui a acquis une conscience collectiviste et socialiste. » Entre-temps, nous apprennent les statuts de l’époque du PTB, règne une lutte amère contre les « ennemis du peuple » : « les capitalistes de monopole, les réactionnaires qui luttent contre le socialisme et les agents de l’impérialisme étranger ». L’article 269 stipule que dès que le prolétariat aura pris le pouvoir, on utilisera contre ces ennemis « tous les moyens coercitifs qui s’avèrent nécessaires, de la privation de leurs droits civiques et la déchéance de leur droit de s’exprimer politiquement à l’emprisonnement jusqu’à – dans les cas exceptionnels – l’exécution des plus grands criminels ».

Cela fait du PTB un parti à deux visages. D’une part, il est sur les barricades de toutes les luttes sociales, du Boelwerf en Flandre-Orientale aux mines du Limbourg et les hauts-fourneaux de Liège et du Hainaut. D’autre part, ils ont la réputation d’être pratiquement une « secte ». Menée de main de fer, convaincue d’avoir raison, au besoin contre le monde entier. L’affiliation au PTB diffère totalement d’autres partis « bourgeois ». Ailleurs, on paie sa carte de membre. Au PTB, on investit toute sa vie. Et au sens littéral du terme: les membres du PTB et certainement les cadres – cèdent (encore toujours) une partie considérable de leur salaire au parti. Du coup, ils gagnent environ autant qu’un ouvrier moyen.

Dans les années quatre-vingt, le PTB est le parti qui veut avoir raison, mais il a un petit problème : l’électeur le dédaigne. En 1989, la chute du Mur de Berlin entraîne une crise existentielle parmi les communistes et les socialistes du monde entier. À une exception près : le PTB. Contre la tendance, le PTB devient pratiquement plus radical qu’avant. À l’origine de ce cap, le président Ludo Martens. Il voit dans le bouleversement en Europe de l’Est la faillite de la variante soviétique « ennuyeuse et bureaucrate » du communisme. D’une série d’opportunistes à la Khrouchtchev et Brejnev qui ont dénoncé Staline, et se sont détournés du véritable socialisme. En 1994, Martens écrit « Un autre regard sur Staline » où il qualifie les épurations staliniennes de « mensonges bourgeois ». Cependant, cette recrudescence ne peut pas freiner le déclin. Un cartel raté avec Ligue arabe européenne de Dyab Abou Jahjah en 2003 ne fait qu’empirer la crise.

À mi-chemin des années nonante, Martens commence à déplacer son attention vers le Congo. Il réside souvent à Kinshasa, où il est conseiller (ou se fait passer pour) de son ancien camarade Laurent-Désiré Kabila. Lerouge: « Après la chute du Mur, Ludo Martens avait peur que le PTB emprunte le chemin néfaste de beaucoup d’autres partis communistes. Soit, ils devenaient de simples partis sociodémocratiques, soit ils se fondaient dans les verts. Ludo n’était pas contre l’innovation, mais il ne voulait pas envoyer son parti dans la mauvaise direction et risquer de voir finir une lutte de trente ans. C’est grâce à lui que le PTB existe encore. »

Sauvé par les médecins

Peter Mertens entre en scène. Mertens, né en 1969, était membre de l’organisation d’étudiants du PTB, le Mouvement marxiste-léniniste (MML, aujourd’hui COMAC). Bien qu’il ait évolué près de dix dans la tradition classique et doctrinaire du PTB, il se profile rapidement comme novateur. En 1999, trois mois après une énième élection décevante, son discours à la fête familiale du PTB à Brasschaat attire l’attention du quotidien Gazet van Antwerpen. Sous le titre « le PTB découvre le socialisme au visage plus aimable », le journal écrit : « Le président provincial Peter Mertens balaie devant sa porte : ‘Nous passons parfois pour agressifs, incompréhensibles et ringards. Nous devons réapprendre à parler la langue du peuple’. »

Les changements deviennent clairs aux élections locales de 2006. Soudain, les membres du PTB remportent des sièges dans les conseils communaux. D’Hoboken à Zelzate à Herstal et La Louvière en passant par Lommel et Genk. Le fil rouge de ce succès : partout où il y a une pratique de Médecine pour le Peuple, le PTB progresse. L’organisation un peu particulière et le travail visible et concret de médecins progressifs avec des patients ordinaires ont sauvé tout le PTB.

Les médecins de Médecine pour le Peuple en ont déjà assez qu’on leur reproche d’être « stalinistes ». Interrogée par De Morgen, la conseillère communale Mie Branders (Hoboken) s’émut quand on l’interroge sur Staline : « Je ne suis pas historienne. Je suis médecin. Est-ce que vous demandez à Johan Vande Lanotte ou Steve Stevaert pourquoi le président du Parti ouvrier belge Henri De Man a choisi de collaborer avec Hitler ? Vous n’osez même pas lui poser cette question, car vous vous rendrez ridicule. Pourquoi la posez-vous à moi ? J’ai moins à avoir avec Staline que Vande Lanotte avec De Man. Je suis devenue membre du PTB en 1992, juste après la Chute du Mur de Berlin. J’ai fait un stage ici à la Médecine du Peuple à Hoboken, et la femme de ménage m’a demandé : ‘Que pensez- de Timisoara ? (rires) Je ne savais de rien : je pensais qu’elle parlait d’une nouvelle collection H&M. »

F*ck la Corée du Nord

Proclamer ce message est une chose. Reste à voir si ça suffit pour le grand public. La discussion refait régulièrement surface. Peu après Nouvel An, il y a un tollé quand le philosophe gantois Maarten Boudry déclare au Morgen qu’un député PTB a récemment assisté à un congrès international communiste à Hanoi au Vietnam. En plus, les communistes nord-coréens étaient présents, et un texte a été approuvé condamnant « les actions agressives et provocantes d’impérialistes américains contre la République populaire coréenne ». La réaction de Peter Mertens ? « F*ck la Corée du Nord. » C’est lapidaire et cadre avec le nouveau style d’un président qui déclare que son parti veut être la voix de la génération ‘Fuck you’. Ce n’est qu’ensuite qu’il y a eu plus d’explications : le dernier membre du PTB qui a ouvertement exprimé son admiration pour la Corée du Nord a été expulsé du parti.

Entre-temps, Mertens est président d’un parti dont il dit qu’il grandit à vue d’oeil. Surtout grâce à l’afflux de jeunes membres. Dans ses livres, il transmet un message très différent de ses prédécesseurs. Son livre « Comment osent-ils ? » est un best-seller, et en Flandre, son dernier livre Graailand (Pays de rapaces, pas (encore) paru en français) caracole en tête des ventes de non-fiction. Sur 400 pages, il n’y a pas une seule référence au passé communiste héroïque, et les nouveaux « ennemis du peuple » ne sont pas promis à un sort atroce.

C’est peut-être un début de réponse à la question politique soulevée par Bart De Wever quand il a traité le PTB de « déchet résiduel du 20e siècle » : dans les livres de Peter Mertens, il n’y a pas de paragraphe pas net. On peut émettre de sérieuses réserves à l’opportunité et au caractère abordable du programme économique du PTB, mais le message de Mertens n’est pas antidémocratique. Dans les faits, le PTB est devenu un parti il est vrai radical, et social-démocrate. Du coup, Mertens s’est entendu dire lors de la présentation bruxelloise de Graailand : « C’est le livre qu’aurait dû écrire John Crombez (sp.a). »

Cependant, tous les faiseurs d’opinions et les politiques ne partagent pas cette image complaisante du PTB. Bart De Wever se demande à haute voix pourquoi l’extrême gauche est mieux traitée que l’extrême droite. Il y a quelques mois, beaucoup de membres de la N-VA (et de l’Open VLD et du Vlaams Belang) ont eu du mal à avaler l’intervention comique de Raoul Hedebouw dans l’émission De slimste mens ter wereld.

Ou ce traitement différent est-il dû à la nature du communisme et du nationalisme ? Au regard qu’ils posent sur eux-mêmes et à la façon dont ils gèrent leur passé ?

Beaucoup de nationalistes (flamands) ont une vue romantique de leur propre histoire. Ils l’aiment, ils sont fidèles à leur pays et à leur pays – ‘My country, right or wrong’. Il y a quelques années, Filip De Winter a encore déclaré qu’en un certain sens le Vlaams Belang est l’héritier de la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale : dans ces cercles il faut chérir l’héritage.

Le communisme gère son passé différemment. Il « déstalinise » : toutes les autant d’années, la direction du parti décide de rompre avec son passé, et de préférence radicalement. Ils refusent de regarder le passé. Ils vont vers un avenir radieux. Staline, Mao, la Corée du Nord ? F*ck la Corée du Nord. Le PTB fait en Belgique ce que la Chine de Deng a fait de la Chine de Mao : ignorer discrètement le passé récent.

N’est-il frappant que l’année dernière le PTB se soit vivement opposé à l’accord Eandis… avec une entreprise publique chinoise? F*ck la Chine ! Détail important : sur le site du journal du parti Solidaire on ne trouve plus un seul article sur la Chine. Cela aussi c’est de la déstalinisation, à la belge. Dans ce pays, on transforme les déchets résiduels en un nouveau produit.

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