Nicolas De Decker

Le plan de relance de Dermine, le terril, la montagne et le tas de poussière (chronique)

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Thomas Dermine jurait que les fonds européens de son plan de relance seraient alloués en fonction des projets et non d’enveloppes prédéfinies. Quelques foulées plus haut, le mur de la Belgique lui avait coupé les jambes.

Il pensait pouvoir escalader une montagne comme on enjambe un terril, en quelques longues expirations appuyant autant de bonds puissants. « En Belgique, on se concentre trop souvent sur les montants et pas assez sur les projets […] », avait dit Thomas Dermine. Avec l’emphase d’un Kennedy des crassiers, avec l’assurance d’un surdoué qui travaillerait, le consultant devenu socialiste jurait que les fonds européens de son plan de relance seraient alloués en fonction des projets et non d’enveloppes prédéfinies.

Quelques foulées plus haut, le mur de la Belgique lui avait coupé les jambes.

On n’ avait parlé que des montants et jamais des projets.

Le ministre-président flamand, dont le parti ne siège pas au gouvernement fédéral, avait d’abord réclamé trois des cinq milliards européens, portés à six par la Commission. Le ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont le parti siège dans le gouvernement fédéral et dans celui de la Région wallonne mais pas dans celui de la Région de Bruxelles-Capitale lui avait répondu que la Flandre n’était pas toute seule et que lui aussi voulait ses milliards. Le ministre-président wallon qui était du même parti que le ministre-président bruxellois s’était entendu avec le ministre-président flamand aux dépens du ministre-président bruxellois pour le priver de ses centaines de millions, et avec le Premier ministre fédéral qui voulait que les ministres-présidents des entités fédérées s’entendent entre eux sur leurs milliards tout en lui gardant son milliard et demi pour lui, avant de pouvoir s’accorder à décider de la répartition des montants dont une petite partie devait aussi échoir à la Communauté germanophone. Un grand accord avait alors été arraché, dont chacun s’accordait à dire que la Région de Bruxelles-Capitale était la perdante, dont tout le monde disait que chacun irait voir si la Commission européenne ne pourrait pas lui céder quelques millions de plus, pourquoi pas sur le dos des autres, et dont le ministre- président de la Fédération Wallonie-Bruxelles disait qu’il n’avait pas encore décidé des sommes qui seraient allouées à ce qui se ferait en Wallonie et à ce qui se ferait à Bruxelles.

On en avait discuté pendant des semaines et personne, jamais, n’avait parlé de ce qu’il allait faire avec cet argent.

Une fois cet accord conclu, on allait pouvoir en parler. Et la foulée cassée de Thomas Dermine, dont la profane candeur de maker avait fait négliger la réalité du pouvoir en Belgique, viendrait buter sur un obstacle qui ne doit rien à l’inexpérience du Carolo et tout à la médiocrité de son pays. Pas une montagne, et pas même un terril. Un tas de poussière accumulé sous le tapis de quarante années de désinvestissement public, et qui s’ exposait à la vue dès que l’on avait arrêté de parler de montants pour enfin parler de projets, la honte nationale pour un Etat sans nation: la Belgique compterait sur cet argent européen pour rénover les sièges de deux de ses trois pouvoirs, le Palais royal et le palais de justice de Bruxelles.

Elle a besoin d’argent d’ailleurs pour réparer les radiateurs du siège de son exécutif et les échafaudages de celui de sa justice, comme un pays du tiers-monde viendrait gratter l’aumône d’une institution internationale pour le sauver de la ruine.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire