Carte blanche

Le pacte d’excellence, un bond de 100 ans en arrière

Créer des espaces de haute qualité éducative au sein de Cités (Communautés) de l’éducation est sans nul doute une voie à emprunter d’urgence pour soutenir l’ambition d’une humanité émancipée que le XXIème siècle attend.

L’enseignement obligatoire fut voté en Belgique en 1914 et appliqué dès la fin de la première guerre mondiale, en 1918. Ce fut un événement qui faisait entrer notre pays dans l’ère moderne. Il fallut néanmoins attendre 1922 pour voir apparaître un des premiers programmes d’enseignement dispensé en français dans la partie francophone du pays et en flamand dans la partie néerlandophone. Le programme se cantonnait à énumérer une série de contenus de matières que l’on s’attendait à voir maîtriser par les élèves quels que soient leur milieu social d’origine et leur genre. C’était un progrès.

A cette époque, seule une didactique balbutiante aidait le jeune enseignant à mener à bien la lutte contre l’illettrisme. Il était peu question de philosophie de l’éducation, de psychologie, et encore moins de pédagogie, bien qu’il existait dans la région de La Louvière une première Ecole de pédagogie qui allait rebondir plus tard sur le plateau de Morlanwelz, sous l’égide de Fernand Hotyat, précurseur de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UMONS aujourd’hui.

Le Plan d’études de 1922 visait la maîtrise des connaissances indispensables à l’exercice d’un emploi à l’ère secondaire naissante. Ses initiateurs ne connaissaient pas encore les pionniers de la psychologie, de la sociologie, de la pédagogie et encore moins de la philosophie de l’éducation, autant de disciplines qui allaient donner au XXème siècle l’espérance d’un monde émancipé, à l’écart des cataclysmes qui auraient pu être évités si, avec Jules Ferry et Jean Jaurès, la sagesse et la pensée humaniste l’avaient emporté sur l’aliénation et le désastre qu’entraînent les guerres.

Quatorze années après le premier programme de 1922 est publié un nouveau Plan d’Etudes, celui de 1936. La psychologie de l’enfant et la pédagogie y font une percée innovante dans les pratiques de l’enseignement. Le Plan suivant, celui de 1958, confirme les options psychologiques et pédagogiques proposées en 1936.

Certes, l’école enseigne, mais elle a aussi pour mission d’éduquer le jeune enfant. L’élève est une personne qui apprend en vue de constituer une société future émancipée. Les grands praticiens et penseurs de la psychopédagogie sont écoutés. Parmi les plus connus, citons : O. Decroly, M. Montessori, C. Freinet, C. Rogers, J. Ferrière, J. Piaget, E. Claparède mais aussi J. Comenius, Pestalozzi sans oublier le philosophe hors catégorie qu’est F. Nietzsche qui souligne l’importance des forces vives et la suprématie de la pensée sur la connaissance. Penser l’éducation avant tout engagement didactique, telle était la visée des Plans de 1936 et de 1958.

Après mai 1968, nous assistons au retour d’une didactique traditionnelle centrée sur la seule rationalité des contenus de matières traduits en taxonomies d’objectifs à maîtriser. Les années nonante renforcent cette option en socles de compétences. Et aujourd’hui, le Pacte d’excellence semble faire fi des acquis majeurs de la pédagogie, de la psychologie, de la sociologie et de la philosophie : en portant l’accent sur les contenus et les attendus qui en appellent à une didactique salvatrice, toujours à trouver, sinon à créer, les espoirs portés par l’ensemble de ces disciplines sont bien loin d’être satisfaits. Quid de l’excellence qui oublie les connaissances issues des neurosciences et les travaux de P. Bourdieu sur l’impact de l’environnement familial, social, économique et culturel ? Serions-nous « en guerre » contre nous-mêmes que nous n’agirions pas autrement. Le risque d’observer de moins bons résultats scolaires dix ans plus tard est bien réel. La validité et la crédibilité des réformes sont trop rarement mises en examen.

Que proposons-nous ?

Nous proposons de créer des espaces à haute qualité éducative dans le cadre de véritables « Cités de l’éducation ». De quoi s’agit-il ?

Pour répondre à l’exigence de qualité, enseigner aujourd’hui requiert l’usage d’une boîte à outils bien diversifiée dans laquelle nous trouvons un ensemble de pratiques issues de pédagogies différentes telles que les pédagogies affectives (pédagogie des expériences positives, pédagogie humaniste rogerienne, pédagogie du projet) ; les pédagogies cognitives (pédagogie différenciée, pédagogie active, pédagogie des compétences) ; les pédagogies sociales (pédagogie interactive, pédagogie du chefd’oeuvre, pédagogie institutionnelle) et les pédagogies conatives (pédagogies à la recherche du bien / du bon (éthique), du beau (esthétique), du vrai (véracité).

Enseigner exige également une pensée philosophique de l’éducation qui entrevoit la nécessité du développement durable pour la survie de la planète et l’importance de l’empathie pour la santé psychique et sociale.

Enseigner pour apprendre, voilà encore une nouvelle piste pour les théories de l’apprentissage scolaire.

Co-éduquer pour s’émanciper constitue aussi un chemin qui enrichit tout un chacun, enfants et adultes.

Toutes ces perspectives s’inscriront favorablement dans une « Cité (ou Communauté) de l’éducation ». Car éduquer, c’est l’affaire de tous : des politiques, des scientifiques, des parents, des acteurs socio-éducatifs, culturels, médicaux, économiques… Une telle alliance permettra au dernier de cordée d’entrevoir au plus vite et au mieux l’horizon d’une humanité solidaire et émancipée.

Créer des espaces de haute qualité éducative au sein de Cités (Communautés) de l’éducation est sans nul doute une voie à emprunter d’urgence pour soutenir l’ambition d’une humanité émancipée que le XXIème siècle attend.

J.-P. Pourtois – Prof. Émérite – UMONS

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