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Le mystère Jürgen Conings décrypté par un criminologue: « Quand on joue à cache-cache dans sa maison, on est le meilleur »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le mystère reste entier autour de Jürgen Conings, introuvable depuis un mois. Quelles conclusions tirer après ces quatre semaines de cavale? Analyse des hypothèses avec Michaël Dantinne, criminologue, expert en terrorisme et professeur à l’ULiège.

Où se cache donc Jürgen Conings ? Est-il toujours vivant ? Quelles sont ses réelles motivations ? Autant de questions que de mystères, dans une traque qui semble déjà interminable, après un mois de recherches.

« On ne sait pas si cette affaire aura un épilogue », prévient d’emblée Michaël Dantinne, criminologue expert en terrorisme et radicalisation. « La certitude, aujourd’hui, est d’être confronté à un individu qui avait un certain degré de préparation. Et qui a écrit un scénario. Il comportait le vol des armes, des munitions, de la nourriture, les lettres d’adieu, le dépôt des décorations militaires sur la tombe des parents, et une cible plus ou moins claire. Il était donc préparé à cette traque, qu’il annonçait d’ailleurs clairement dans ces lettres d’adieu. On ne sait pas si actuellement, il est toujours dans ce scénario, s’il en est en dehors, ou s’il est en train d’en réécrire un autre. »

Selon le criminologue, Jürgen Conings aurait donc écrit un film dans sa tête. « Il a fait toute une mise en scène. Il semble avoir écrit un film, dont il est le personnage principal. Il est l’anti-héros pour une majorité, mais quand même le héros pour une minorité. A ce stade, si on considère l’affaire comme un film, on ne comprendrait pas très bien où le réalisateur a voulu en venir. Il y a un épilogue qui fait défaut », analyse Michaël Dantinne.

A ce stade, si on considère l’affaire comme un film, on ne comprendrait pas très bien où le réalisateur a voulu en venir.

Avec plusieurs de ses affaires retrouvées, dont son sac à dos jeudi passé, on peut décrypter quelques lignes de ce scénario. « Mais il manque des ingrédients importants, qui sont des voies d’ombre, et qui font qu’on peut difficilement prédire ce qui va se passer. On sait qu’il était fiché pour extrême droite, mais on ne sait toujours pas si son projet est de l’ordre de l’extrême droite, ou de l’antisystème. On ne sait donc pas où placer le curseur. En voulait-il plus aux étrangers et en particulier aux Musulmans, ce qui l’aurait plus orienté vers une mosquée ? Est-ce qu’il en voulait plus à la gestion de la pandémie par les autorités, avec sa haine cristallisée sur Marc Van Ranst, dont les sympathies sont plutôt à gauche ? Quelle est la quote-part de ces ingrédients dans le projet qu’il a dessiné ? ».

Le rôle que s’est donné Jürgen Conings dans son propre scénario reste donc trouble. « Est-ce un exécuteur de quelque chose, au service d’idées plus importantes que lui, jusqu’à envisager sa propre mort ? Ou le braquage des lumières sur lui est plus important que ses idées ? C’est une volée de questions qui aujourd’hui n’ont pas forcément de réponses », pointe le criminologue.

Quant à ses motivations, là aussi, l’expert en radicalisation y voit un manque de cohérence. « Est-ce qu’il avait un projet clair, est-ce qu’il attend pour le concrétiser ? Est-ce qu’il a réévalué la situation et qu’il n’est plus prêt à le faire ? Est-il mort ? Ce sont tous les tiroirs qui sont ouverts et qui sont tous les jours passés au crible. »

Par déduction, on peut tout de même constater plusieurs choses. « Il n’a a priori plus ses armes lourdes, même s’il en a peut-être d’autres. Il avait des munitions et des rations de survie. A priori, il ne les a plus. Tout ça traduit son organisation, mais aussi le fait que cette partie-là de cette organisation ne tienne plus la route. Il ne semble donc ne plus être dans son plan original », décrypte Michaël Dantinne.

Une autre supposition évoquée est celle du jeu de piste, où Jürgen Conings laisserait volontairement certains indices ou certains leurres pour malmener les enquêteurs. « Si on part du principe qu’il joue à un jeu de piste avec les enquêteurs, avec plusieurs de ses affaires abandonnées çà et là, on doit se demander quel est l’objet de ce jeu du chat et de la souris. Est-ce que le but est qu’on parle de lui et qu’il soit au centre de l’actualité ? Si oui, cela signifie que c’est un projet ultra-narcissique, au détriment d’une idée. Et c’est voué à une sorte d’essoufflement. Si son but est de faire résonner ses idées d’extrême droite et d’antisystème, il n’est en réalité pas du tout dedans. Ce dont on parle actuellement, c’est de lui, moins de ses idées. Il fait résonner sa personne. »

L’homme applique-t-il encore à 100% son plan initial ? C’est peu probable. « Tous ces indices retrouvés, cela peut être le signe d’un homme qui s’est fait mettre en déroute, mais principalement par lui-même. Et qu’il n’a plus nécessairement les moyens de son premier projet. Aujourd’hui, s’il lui reste des armes plus conventionnelles avec un nombre de munitions limitées, est-il prêt à aller dans une confrontation avec les forces de l’ordre et mourir ? ».

Dans cette optique, la question du rapport à la mort mérite également d’être posée. « Chez les terroristes d’extrême droite, la mort est davantage perçue comme un dommage collatéral. Alors que chez les extrémistes religieux, à commencer par les islamistes radicaux, la mort fait partie intégrante de projet terroriste », différencie le criminologue.

Toutes les hypothèses sont donc encore ouvertes. « Conclure qu’il est en totale déroute parce qu’on a retrouvé certains éléments, c’est éliminer trop vite l’hypothèse du jeu de piste. Mais conclure que le jeu piste est le but recherché, c’est aussi aller trop vite en besogne. »

Les réponses seront dans ces questions : « Quel est son projet, dans quelle ligne s’inscrit-il, dans quelle mesure ses idéologies sont plus fortes ou se met-il au-dessus de celles-ci ? Jusqu’où est-il prêt à envisager sa propre mort ? », résume Michaël Dantinne.

Pourrait-on dès lors s’attendre à ce que Conings frappe là où on ne l’attend pas ? « Si on prend ce qu’on sait de lui, il est fiché pour des idées d’extrême droite, plutôt orienté dans un rejet du monde musulman. S’il est dans cette optique-là, il cherche donc un lieu symbolique à forte concentration de cibles. Donc, une mosquée, un vendredi, ça pourrait être une de ses cibles. »

Attend-t-il une date symbolique ? C’est possible. Peut-être le 21 juillet. Cette date est une grande fête pour l’armée.

Une hypothèse jugée possible mais peu probable selon le criminologue. « Ça peut encore arriver, mais il a déjà eu cette opportunité, en quelques sortes. Beaucoup de temps est passé, les mesures covid se sont assouplies… Vise-t-il des personnalités publiques au sens large, y compris les virologues ? »

Attaché aux symboles, Jürgen Conings pourrait soigneusement attendre son heure. « Attend-t-il une date symbolique ? C’est aussi possible. Il attend peut-être le 21 juillet. Cette date est une grande fête à l’armée, avec le défilé militaire. Mais c’est aussi la fête d’un pays qu’il en est venu à détester. Il s’est compliqué la tâche, car tout le monde le connaît maintenant. »

Pour le criminologue, la réponse à toutes ces interrogations « se situent dans sa personnalité, dont finalement on ne connaît pas énormément. On sait plus ce qu’il a fait, que ce qu’il est réellement. La seule certitude dont on dispose, c’est qu’il s’est mis au centre du jeu. « 

La probabilité de retrouver Conings vivant s’amenuise-t-elle avec le temps ? Pas spécialement. « Il pourrait être mort depuis un petit temps, ce qui expliquerait pourquoi on ne le retrouve pas. Qu’on le retrouve mort est tout aussi possible qu’on ne le retrouve jamais, ou qu’on le voit ressurgir à un moment inattendu. Il n’est en tout cas pas, a priori, dans une bouffée impulsive, car il y a un degré de préparation. On peut envisager qu’il a voulu braquer les projecteurs sur lui, mais que ça en restera là. Mais on peut aussi envisager qu’il s’agisse d’une personne amenée par une froide détermination. Une détermination telle qu’il aurait eu les moyens de survivre à cette traque et qu’il attend maintenant son heure. »

La seule certitude dont on dispose, c’est qu’il s’est mis au centre du jeu

A qui ou à quoi s’attaquerait-il en priorité ? « Si ses cibles avaient été la police ou l’armée, il aurait déjà pu concrétiser cela, il a déjà eu largement le temps de le faire, et il sait où les trouver. Il n’est donc pas vraiment dans ce profil. Mais ce n’est pas non plus à exclure dans le cas où il attend un contexte symbolique, qui résonne pour lui et qui échappe aux autres. Il est dans sa normalité, dans sa rationalité. La rationalité est quelque chose de très subjectif. »

Une autre inconnue est la présence ou non de complices pour Conings. Mais pour Michaël Dantinne, ce n’est pas l’élément déterminent. « On est dans un pays où l’on peut très vite prendre la tangente. Ce n’est pas si compliqué que ça de disparaître en Belgique, même sans complicité. Pour rappel, on a cherché Salah Abdeslam pendant des mois, alors qu’il était à Molenbeek. »

A-t-il fui à l’étranger ? Pour le criminologue, rester en Belgique et dans sa région confère un avantage certain, grâce à la maîtrise de l’environnement qui l’entoure. « Ce serait ‘facile’ d’aller se cacher à l’étranger car même s’il y a eu un signalement Interpol, il est moins connu qu’en Belgique. Mais quand on joue à cache-cache dans sa propre maison, on est toujours le meilleur. Se cacher en Belgique, sur des terrains qu’on connaît, cela présente une certaine facilité. Même si on y est plus recherché, parce qu’on maîtrise l’environnement. »

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