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Le monde de la nuit, le grand oublié de tous les Codeco

Charly Pohu Journaliste

Chez nous, les boîtes de nuit sont fermées depuis mars 2020. Dans les pays voisins, elles ont déjà pu ouvrir cet été. Lors du Comité de concertation, vendredi, une réouverture immédiate ne devrait pas être décidée. Un pass sanitaire pour les événements de 200 personnes en intérieur et 400 en extérieur possible à partir du premier octobre.

Lorsqu’on les intterroge, les politiques restent évasifs, comme souvent avant les Comités de concertation (Codeco). Mais au fil des derniers mois, d’une réunion à l’autre, le monde de la nuit a toujurs été le grand oublié des assouplissements. Vaccination en retard à Bruxelles, augmentation des hospitalisations, clusters dans des boîtes à l’étranger (comme au Pays-Bas, où ils ont dû refermer): ce sont à nouveau des arguments qui devraient peser, ce vendredi, et empêcher le Codeco d’agir.

Pourtant, le secteur de la nuit et de la fête n’en peut plus d’attendre. Il nen peut plus de ne pas être écouté. France, Allemagne, Espagne, Luxembourg: tant de pays ont déjà rouvert les discothèques. Moyennant pass sanitaire, test rapide, ou autres, mais les clubbeurs ont pu retourner dans leur antre. Pourquoi pas en Belgique? Pourquoi ne même pas avoir essayé?

« Parce qu’en Belgique on est frileux? Qu’on fait l’autruche? Qu’on diabolise le secteur de la nuit qu’on connaît mal? Qu’on préfère laisser libre cours aux soirées clandestines? », s’interroge Lorenzo Serra, porte-parole de la fédération du secteur de la nuit et des festivités, Brussels by night. Les clubs dans d’autres pays ont pu ouvrir, ce qui montre pour lui que l’Europe ne se consulte pas.

Pourquoi pas un covid safe ticket?

Selon les informations de la Libre Belgique, le Codeco de vendredi pourrait opter pour l’exigence du pass sanitaire, dès le premier octobre, pour les événements de plus de 200 personnes en intérieur et plus de 400 à l’extérieur.

« C’est un peu une question idéologique. Le monde de la nuit a toujours été un espace libertaire. Mais d’un autre côté, si on pense être fliqué par ce pass, on est déjà fliqué par tout un nombre d’applications, de banque comme de réseaux sociaux », réfléchit Lorenzo Serra. En juin, la fédération avait déposé un protocole, proposant justement d’utiliser le covid safe ticket – qui permettrait d’empêcher les super-contaminateurs et rendre les soirées sûres à 99% – pour organiser le retour dans les boîtes de nuit, dès le premier octobre.

Dans l’absolu, le pass sanitaire lui paraît tout de même disproportionné. « Pourquoi est-ce que le virus serait plus virulent dans une boîte de nuit entre deux et six heures du matin dans une boîte de nuit, qu’en début de soirée dans un restaurant? Ou que dans un shopping center ou dans un cinéma, qui sont tous deux pas bien ventilés? Ou il ne faut pas de pass. Et au début, on nous avait bien dit que dès 70% de vaccinés on pourrait revivre normalement parce que l’immunité collective était atteinte. »

Un des arguments faisant réfléchir le gouvernement est-il que le public cible des boîtes sont les jeunes, et que les jeunes sont moins vaccinés? Dans ce cas, précisément, le Covid safe ticket pour aller en boîte pourrait être une carotte à se faire vacciner, comme l’a démontré l’exemple français, estime Lorenzo Serra. « Mais il ne faut pas tirer sur les jeunes ainsi non plus. Il faut arrêter de cliver la société comme ça, en diabolisant les jeunes. »

La fédération préconise que le secteur de la nuit soit la solution, pas le problème. Avec des soirées encadrées, dans des lieux sûrs, moyennant un pass sanitaire, on éviterait surtout les fêtes clandestines, qui elles favorisent la contagion.

Les musiques électroniques foisonnantes en Belgique

Pourtant, notre pays est une vitrine du monde de la nuit.

« La Belgique se trouve à un carrefour européen, entre la culture anglo-saxonne, l’Allemagne et la francophonie », explique Elise Dutrieux, autrice sur la place de la femme dans les musiques électroniques. « Il y a vraiment un tas de pratiques, beaucoup d’explorations et d’expérimentations. »

Comme l’illustre le documentaire The Sound of Belgium, la Belgique, a depuis la première heure, été à l’avant-garde de la musique électronique. « Encore aujourd’hui, la musique est en dehors des territoires, il y a une identité très particulière à la Belgique. La scène belge est florissante, elle perturbe les normes de genre, il y a beaucoup de bricolage ce qui est très à l’image de la Belgique, elle joue avec les codes, c’est un melting pot comme l’est toute la Belgique », dépeint Elise Dutrieux.

En dehors des grands clubs et des festivals commerciaux, la scène est particulièrement florissante à Bruxelles, avec autant de styles variés qu’il y a de petits festivals, d’événements, de collectifs, même de performances dans des squats, souligne Elise Dutrieux. Une salle qu’elle apprécie particulièrment est le Beursschouwburg.

Via tous le différents faisceaux des musiques électroniques, Bruxelles et la Belgique attirent de nombreux touristes. Le manque à gagner est considérable. L’annulation du festival Tomorrowland, par exemple, représente 60.000 chambres d’hôtel non réservées à Bruxelles, et 300.000 euros de pertes en taxes pour la région bruxelloise. Dans les soirées des boîtes de nuit, environ 20% des personnes sont des touristes étrangers. Plus de 60% viennent de l’extérieur des 19 communes bruxelloises, selon les chiffres de la Brussels by night federation.

« Les jeunes travailleurs, start-upers etc, choisissent des villes pour un bénéfice personnel, et prennent souvent en compte l’aspect des festivités », analyse Lorenzo Serra. Bruxelles pourrait donc voir partir des talents, comme des jeunes entreprises dynamiques. Les salons et conférences professionnelles risquent en outre de ne pas revenir dans la capitale avant quelques années. « Il est donc important que les villes se réinventent, où la culture festive est très importante ».

Des festivités à l’extérieur : un bol d’air

A l’Atomium, à la caserne d’Etterbeek (See U Square), à Tour et Taxis, ou encore dans les Jardin de la cité administrative: les boîtes et organisateurs d’événements ont porté leurs activité hors les murs, cet été. « Cela a été un véritable bol d’air, ça fait du bien d’enfin pouvoir voir jouer nos artistes sur scène« , se réjoiut Lorenzo Serra.

Toilettes mobiles, son, lumière: en l’espace de quelques semaines, ces secteurs totalement à l’arrêt sont aujourd’hui devenus over-bookés : il est presqu’impossible d’encore trouver du matériel, tellement la demande est forte pour organiser des événements à l’extérieur.

« Mais ça ne restera qu’un bol d’air, et à moitié même« , note Lorenzo Serra. Ces événements n’ont pu véritablement commencer le 13 août. Et comme, en plus, même la météo, cet été, ne leur a pas fait de cadeaux…

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