Jules Gheude

Le mal belge est irréversible

Jules Gheude Essayiste politique

La trêve des confiseurs arrive. Une fois celle-ci passée, nous serons plongés dans la campagne pour les élections du 25 mai 2014. Je voudrais, à ce stade, émettre quelques réflexions qui m’apparaissent essentielles.

Alors que, de sondage en sondage, la N-VA confirme sa position de leader en Flandre, on a pu lire cette récente déclaration de Stefaan Declerck (CD&V) selon laquelle « la relation entre le nationalisme flamand et la démocratie-chrétienne est profondément ancrée dans l’ADN flamand. » Je revois la Une du Soir du 16 mars 1982 : « Le CVP dit stop à la solidarité nationale pour Cockerill-Sambre. » Après le Walen buiten de 1968, c’était donc le Geen centen meer voor het Waalse staal.

Depuis lors, la Flandre a su utiliser judicieusement ses outils d’auto-administration. Aujourd’hui, pour la quatrième année consécutive, elle affiche un budget en équilibre. Son taux de chômage est de 8%, ses exportations cartonnent et son enseignement fait bonne figure dans les classements internationaux. En revanche, la Wallonie est toujours à la traîne et figure parmi les régions les plus pauvres d’Europe. Sans véritable plan d’avenir, elle est confrontée à une gestion chaotique, avec un taux de chômage de 16%, une situation budgétaire précaire, des exportations en baisse et un enseignement peu valorisant.

Si le nationalisme flamand peut s’expliquer par des considérations historiques, il est clair qu’il se trouve aujourd’hui conforté par cette dissymétrie économique entre la Wallonie et la Flandre, celle-ci estimant être freinée par un cadre belge qui ne lui permet pas de réaliser pleinement la politique qu’elle entend mener. Le phénomène n’est d’ailleurs pas unique, comme on le constate avec l’Ecosse ou la Catalogne, régions elles aussi prospères et qui entendent se détacher de leurs cadres étatiques respectifs. On peut certes émettre des critiques à l’égard d’une telle évolution, mais il est vain de vouloir l’arrêter.

Le mal belge est, comme l’a bien dit François lors de sa démission du Sénat, en 1980, irréversible et aucune réforme institutionnelle ne pourra en venir à bout. J’entends dire, ça et là, qu’une Flandre, une Ecosse et une Catalogne indépendantes s’excluraient automatiquement du jeu de l’Union européenne. C’est exact. En droit international, un nouvel Etat est comme un nouveau-né, vierge de tout traité international. C’est la règle de la table rase (intransmissibilité des traités internationaux liant l’ancien Etat aux Etats successeurs).

D’aucuns pensent qu’une « Belgique résiduelle » (Wallonie et Bruxelles) resterait automatiquement liée aux traités conclus par l’ex-Royaume de Belgique. Ce n’est pas si simple. Une adhésion de plein droit à ces traités comme successeur de l’ancienne Belgique pourrait être contestée juridiquement par d’autres Etats, par exemple par le nouvel Etat flamand… Celui-ci se mettrait de facto en dehors des organisations internationales, que la déclaration d’indépendance soit jugée légale ou non par la Cour internationale de Justice. Mais, par là même, la Flandre mettrait aussi la « Belgique résiduelle « hors du jeu international de jure ! Ce fut d’ailleurs le cas pour la Yougoslavie, lors des sécessions croate et slovène de la Fédération yougoslave. La « Yougoslavie continuée », composée de la Serbie et du Monténégro, a dû demander sa réadhésion à l’ONU.

Mais qui peut imaginer un instant qu’une Flandre, une Ecosse ou une Catalogne indépendantes ne seraient pas rapidement reconnues sur la scène internationale? Un ambassadeur français m’a un jour confié que la France serait le premier pays à reconnaître un Etat flamand. Souvenons-nous aussi de la manière dont David Cameron a déployé le tapis rouge pour recevoir Bart De Wever. Cameron, dont le gouvernement a d’ailleurs marqué son accord pour la tenue du référendum écossais en 2014. Beaucoup plus sensible serait la question de la dette belge, dont le montant dépasse aujourd’hui légèrement celui du PIB. L’article 40 de la Convention ONU de 1983 précise que la répartition de la dette publique internationale doit être équitable, compte tenu des actifs qui passent à l’Etat successeur. Mais cette Convention n’a pas été signée par la Belgique !

Pour ce qui est de la dette des Etats envers les particuliers, le droit international en laisse le soin aux règles de droit interne. Les créanciers de l’Etat belge devraient donc, dans le meilleur des cas, se contenter des anciens actifs belges. Sombre perspective, quand on sait que la Belgique n’a cessé de vendre ses bijoux de famille…

Je voudrais, pour conclure, aborder cette question de l’eurocritique qui s’amplifie et qui m’effraie. Je ne suis pas de ceux, en effet, qui espèrent que le prochain Parlement européen sera constitué d’élus « hostiles ». On oublie trop facilement la raison première pour laquelle la construction européenne a été entreprise : éviter la répétition des cataclysmes de 14-18 et de 40-45. Un travail considérable a été fait depuis 1951. Bien sûr, tout est loin d’être parfait. Mais faut-il pour autant tomber dans l’attitude extrême qui consiste à effacer le tableau ?

Imagine-t-on ce que donnerait un retour aux anciennes monnaies, dans le contexte actuel de mondialisation ? Il faut, au contraire, mettre tout en oeuvre pour réduire au maximum la dépendance de l’Europe, qui demeure, il faut le rappeler, le premier producteur économique. La crise que traverse l’Euro révèle la nécessité de revoir le rôle de la Banque centrale européenne, ainsi que l’obligation des Etats-membres d’adopter une politique budgétaire rigoureuse. Il est aussi impératif que l’Europe puisse parler d’une seule voix au niveau de l’immigration et de la politique étrangère. Enfin, il faut tendre à l’harmonisation des politiques fiscales et sociales, de façon à éviter tout dumping déloyal.

On le voit, la tâche est loin d’être terminée. Il faut s’y atteler avec courage et détermination. Le pire serait, par défaitisme, de renoncer et de jeter le bébé avec l’eau du bain.

(1) Dernier livre paru : « Lettre à un ami français – De la disparition de la Belgique », préface de François Perin, Mon Petit Editeur, 2014.

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