Défendons le latin !

De nouvelles sirènes viennent de se mettre à hurler. N’entrons pas dans les détails : la part une fois faite aux accusations de rumeur et autres reculades, il est question de réduire, progressivement ou drastiquement, voire de supprimer, immédiatement ou à terme, l’enseignement du latin dans nos écoles secondaires. Les arguments suggérés, dits ou non dits, tournent, comme toujours, autour de slogans bien connus : égalitarisme, refus de la discrimination, urgence d’autres priorités, etc. Ce ne sont là qu’écrans de fumée visant à dissimuler le cynisme, plus cru, qui nous fut également murmuré :  » Cela réduirait la pénurie d’enseignants  » et réduirait d’autant les dépenses d’un secteur tragiquement fragilisé depuis des décennies. Autant se faire couper la tête quand on a mal aux dents !

Or, derrière ce verbiage, je crois percevoir une volonté de rendre obligatoire pour tous une médiocrité qui n’est que le fait de quelques-uns. Le bel égalitarisme en vérité ! Plutôt que de permettre à tous, grâce à une réelle égalité des chances, d’accéder à une culture et à une forme de pensée qui ont toujours été les fleurons de notre spécificité.

Le latin, en effet, offre une armature logique et linguistique irremplaçable pour ce qui regarde l’efficacité de toute communication verbale ou écrite. Cette fonction n’a d’équivalent, complémentaire et indispensable, qu’en l’apprentissage du langage mathématique et de ses multiples applications. Deux collègues de la faculté de médecine (les Prs Moonen et Poirrier), qui sont donc peu suspects de corporatisme, nous l’ont rappelé lors d’une intervention dans le cadre d’un colloque consacré à l’étude des langues anciennes (ULg, septembre 2003). Selon eux, en effet, l’exercice de lecture et de traduction des textes anciens û pour faire bref, la  » version latine  » û reste la meilleure préparation, lointaine mais d’autant plus prégnante, à l’établissement du diagnostic médical : une même exigence s’y retrouve de repérage des signes, de construction d’hypothèses devant s’emboîter entre elles avant l’indispensable vérification du sens. Etiologie et sémiologie, c’est-à-dire l’enchaînement des causes et l’architecture (toujours fragile et révisible) de leurs significations, y trouvent leur meilleur comptant.

Quant aux contenus culturels, on en a trop dit pour que j’y revienne longuement. Seulement ceci : quelques lettres de Sénèque suffiront à développer l’esprit critique (dans tous les sens du terme) pour ce qui concerne l’esclavage ou les combats de gladiateurs.

Enfin, pour les années à venir, je n’ose imaginer ce que seront les études universitaires en philosophie et lettres, si nos étudiants n’ont même pas eu l’occasion d’être un peu latinistes. Ils risqueront de se borner (ce que je crains déjà) aux monosyllabes exclamatifs, au style  » SMS  » et aux borborygmes issus des comic strips et autres  » entrées  » sur Internet. Yahoo !

Par Pierre Somville, doyen de la faculté de philosophie

Le latin offre une armature irremplaçable pour l’efficacité de toute communication écrite ou verbale

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire