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Le dernier écrit de François Perin

Le Vif

François Perin, ancien ministre de la Réforme des Institutions et professeur émérite de droit constitutionnel de l’Université de Liège, est décédé vendredi dernier. Voici la préface qu’il a rédigée au dernier livre de Jules Gheude : « Lettre à un ami français – De la disparition de la Belgique » (Mon Petit Editeur, Paris), paru cet été.

350 pages. Voici sans doute la plus longue lettre qui ait jamais été rédigée…

Jules Gheude l’adresse à un ami français, curieux d’en savoir un peu plus sur cette « question communautaire » qui n’a cessé de torturer le Royaume de Belgique depuis sa création en 1830 et à laquelle j’ai, comme on le sait, consacré une grande part de mon activité.

Dès l’adolescence, j’ai pris conscience, avec quelques condisciples de l’Athénée de Liège 1, de l’inconsistance de la Belgique, union contre nature imposée par l’Angleterre pour se prémunir contre son ennemi héréditaire français. Ainsi que le rappelle Jules Gheude, Talleyrand ne croyait pas aux chances de viabilité de cette construction artificielle, née d’un trait de plume diplomatique : Deux cents protocoles n’en feront jamais une nation ; cette Belgique ne sera jamais un pays : cela ne peut tenir.

Une prophétie qui, aujourd’hui, se trouve largement confortée par la réalité.

J’ai personnellement cru qu’une réforme institutionnelle de type fédéral serait de nature à garantir la cohabitation paisible des deux grandes communautés du pays et je me suis investi politiquement dans ce sens.

Mais j’ai compris très vite que le fédéralisme, que nous considérions, nous les francophones, comme un aboutissement, n’était pour les Flamands qu’un moyen de progresser plus vite sur la voie de l’indépendance.

J’en ai tiré la conclusion en démissionnant de la fonction sénatoriale, le 26 mai 1980 : la Belgique était irrémédiablement minée par le nationalisme flamand.

33 ans plus tard, jour pour jour, le Baromètre politique La Libre/RTBF/Dedicated nous révèle que la N-VA, le Vlaams Belang et la Lijst Dedecker totalisent 47,5% des intentions de vote en Flandre. Et je sais, pour les avoir abondamment fréquentés, que les démocrates-chrétiens et les libéraux flamands ne sont pas en reste dès qu’il s’agit de défendre les intérêts fondamentaux du Nord.

Les Editions Legrain ont publié, en 1988, mon « Histoire d’une nation introuvable ».

Si la nation belge m’apparaît inexistante, j’ai assisté, par contre, à la lente éclosion de la nation flamande. Une nation qui, aujourd’hui, existe bel et bien, comme le confirme d’ailleurs le préambule de la Charte flamande, adoptée, il y a deux ans, par un Parlement flamand unanime.

Cette évolution, les élites francophones se refusent à l’admettre. Tout se passe pour eux comme si la Belgique devait connaître une vie éternelle.

Or, l’option confédéraliste, qu’une très large majorité flamande prône depuis 1999, n’est, comme l’a été le fédéralisme, qu’une nouvelle étape pour accéder finalement à l’autonomie complète de la Flandre.

Jules Gheude connaît particulièrement bien la mouvance flamande. Il lit, avec assiduité, la presse flamande depuis 40 ans. C’est d’ailleurs la raison qui m’a amené à l’intégrer dans mon Cabinet de la Réforme des Institutions en 1974. Très vite, il est un devenu un ami, dont la fidélité ne s’est jamais démentie.

J’apprécie les initiatives citoyennes qu’il a prises, ces dernières années (Etats généraux de Wallonie en 2009, constitution du Groupe d’Etudes pour la Wallonie intégrée à la France – Gewif – en 2010), pour amener les esprits francophones à réfléchir à l’après-Belgique. Tout cela a débouché sur des travaux et analyses d’une grande qualité, qui s’avéreront utiles le moment venu.

Car il ne faut pas être Madame Soleil pour savoir que les élections législatives et régionales du 25 mai 2014 plongeront la Belgique dans une zone de hautes turbulences qui pourraient faire craquer l’appareil.

Il faudra certes bien du courage à l’ami français pour lire cette longue missive que Jules Gheude lui adresse et dans laquelle, avec une minutie d’entomologiste, il dissèque notre problématique communautaire, abordant également la question post-belge sous l’angle du droit international.



Car si une plume alerte s’emploie à relater clairement et rigoureusement les faits, il n’en demeure pas moins que le contexte qui les entoure reste fastidieux. Ce n’est pas le talent de Jules Gheude qui est ici en cause, mais bien la Belgique elle-même, ce non-pays compliqué et, somme toute, bien peu captivant.

Cet ouvrage a le mérite considérable d’éclairer les Wallons et les Bruxellois francophones, afin qu’ils soient prêts à affronter une scission du Royaume dont on ne peut dire avec exactitude le moment où elle se produira, mais qui apparaît de plus en plus inéluctable.

Rien n’est pire que de se retrouver, à un moment donné, mis devant le fait accompli, contraints de réagir dans l’urgence et la précipitation.

Le fait que la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française ait jugé opportun, en juillet 2011, de charger deux de ses membres, l’un de la majorité (Robert Lecou, UMP), l’autre de l’opposition (Jean-Pierre Kucheida, PS), de se rendre en Belgique afin de s’informer de la situation intérieure du pays, m’apparaît être un élément tout à fait fondamental.

Adopté le 15 février 2012, le rapport des intéressés constate que la division de la Belgique en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rend son existence de moins en moins probable.

Je peux comprendre que les médias belges ne se soient guère épanchés sur le sujet. Il ne faut surtout pas ajouter le désarroi et la peur chez ceux qui occupent une fonction officielle représentative, ni aggraver, dans l’opinion, le doute ambiant sur la survie de l’Etat dans un avenir rapproché. N’oublions pas que des élections générales auront lieu dans un an !

On peut, en tout cas, compter sur la RTBF et sur RTL pour assurer la livraison « c’est du belge », Place royale…

François Perin Ancien ministre
Professeur émérite de droit constitutionnel de l’Université de Liège

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