Marie-Martine Schyns, ministre de l'Education. © BELGA

Le décret « Réforme des titres et fonctions » en quête d’un peu plus de souplesse

Alors qu’il était attendu par tous, le décret « Réforme des titres et fonctions » ne satisfait personne. Voté en 2014, entré en vigueur en septembre 2016, il n’a plus quitté l’estrade académique depuis cette date… et pas pour les bonnes raisons.

Le décret « Réforme des titres et fonctions » est un premier pas vers le Pacte d’excellence. En effet, ce décret doit garantir aux élèves un enseignement de qualité, dispensé par le professeur le plus qualifié.

Voté en 2014 et entré en vigueur à la rentrée scolaire de 2016, le décret est rapidement voué aux gémonies par les directeurs d’écoles. Il visait pourtant à mettre fin aux « bricolages » mis en place par certaines écoles qui confiaient quelques heures de cours à des professeurs sur des matières à mille lieues de leur diplôme.

Comment fonctionne le décret

Quand une place d’enseignant se retrouve vacante, l’école doit rechercher une personne avec le diplôme correspondant exactement à la fonction (c’est le fameux titre requis). Si l’école ne trouve personne, elle peut alors se mettre à chercher un enseignant avec un « titre suffisant » (c’est-à-dire quelqu’un spécialisé dans cette matière et possédant une formation pédagogique). Si d’aventure toujours personne ne correspondait, alors seulement l’école peut se rabattre sur un « titre en pénurie ». Mais le décret n’a pas tardé à montrer son côté obscur… Notamment à cause de sa rigidité, dénoncent les écoles.

Engager non plus un, mais deux ou trois professeurs

Avant le décret, en engageant un enseignant pour une certaine matière, mais avec un nombre d’heures insuffisant pour lui offrir un horaire complet, l’école pouvait lui proposer un « complément d’heures » dans une autre branche apparentée, à titre « suffisant » donc.

Maintenant c’est impossible, l’établissement scolaire devra rechercher en priorité un deuxième professeur qui détient le diplôme adéquat (titre requis) pour donner ces heures complémentaires, avec le risque que les deux nouveaux engagés se retrouvent avec une grille horaire incomplète.

Ce qui contraint souvent les jeunes professeurs à devoir multiplier les heures de cours dans différents établissements (et les trajets qui vont de pair) afin de courir après le Saint Graal de l’horaire complet.

… même galère pour les remplacements

Et la procédure reste la même pour un remplacement. Si un professeur de français, qui donne aussi quelques heures d’histoire, venait à tomber malade, il devra être remplacé par deux professeurs, les heures d’histoire ne pouvant être reprises par le remplaçant du prof de français. L’école doit rechercher en priorité un professeur pour histoire avec le titre requis. Et si personne n’est trouvé pour ces quelques heures, les élèves n’auront pas cours…

Une cascade qui manque de souplesse

Ce phénomène de recherche en cascade a toujours existé, mais les directions d’école soulignent que le décret l’a quelque peu compliqué et surtout lui a ajouté une surcharge de travail administratif… En effet, à chaque passage vers une marche « inférieure » de la cascade, le pouvoir organisateur de l’établissement doit émettre un PV de carence (c’est-à-dire un justificatif pour le non engagement d’un titre requis faute d’en avoir trouvé un) et attendre 3 jours avant de pouvoir lancer une nouvelle procédure de recherche.

Résultat, certaines directions évitent de lancer des procédures de remplacement pour une absence jugée trop « courte », car cela entraine plus de tracasseries et paperasseries qu’autre chose. Et quand l’école cherche quand même quelqu’un, ce sont les professeurs qui ne se déplacent plus pour quelques jours comme l’explique monsieur Marc Embise, directeur de l’Institut Cardinal Mercier de Braine-l’Alleud : « Pour de courts remplacements ou intérims (moins de 2 semaines), il y a tellement de lourdeurs administratives que les professeurs ne se déplacent même plus… Comprenez-les, ils doivent chaque fois remonter un dossier complet (copies certifiées des diplômes, certificat de bonne vie et moeurs qui a une validité limitée dans le temps, etc.) A chaque changement de réseaux et/ou de province, ils doivent refaire tout leur dossier. Un changement d’école dans le même réseau limite quelque peu le travail de paperasserie, mais il y a quand néanmoins de nouveaux documents à obtenir. Les enseignants qui font ces remplacements sont noyés sous les contraintes administratives, sans oublier les contraintes administratives des écoles. Ce qui nous amène à ne plus remplacer un professeur pour une courte absence… »

Avec toujours comme résultat des heures de cours de perdues et des élèves qui iront à l’étude ou seront libérés durant le temps de l’absence de leur professeur.

Toujours plus d’heures de cours perdues

Ce nombre d’heures non données, est-il vraiment si élevé que cela ? Selon les directeurs du secondaire catholique de Bruxelles et du Brabant, « en septembre 2018, le nombre d’heures de cours pour lesquelles un enseignant n’a pas pu être engagé est trois fois plus important que par le passé ».

Un article du Soir (28/03/2017) précisait que, début 2017, une enquête dans l’ensemble du secondaire catholique avait été menée par ces directeurs. La moitié des écoles de ce réseau avait répondu et donnait comme résultat, sur base hebdomadaire, quelque 6.000 heures de cours n’étaient pas données dans les écoles qui ont participé à l’enquête. Cela représente 275 emplois (en équivalent temps pleins), souligne le quotidien. « Cela signifie que 100.000 élèves environ ont deux heures de moins dans leur grille horaire », déclarait Patrick Dekelver, directeur à Waterloo et président de l’Adibra (directeurs du secondaire catholique de Bruxelles et du Brabant), au Soir.

Face au nombre grandissant d’heures de cours non données, à la difficulté de remplacer les professeurs absents et aux tracasseries administratives que cette recherche entraine, les directeurs du réseau libre de Bruxelles et du Brabant Wallon ont lancé un appel aux parents de leurs élèves : écrire à la ministre de l’Education, Marie-Martine Schyns, pour lui faire part de ce problème grandissant, eux ne se sentant pas suffisamment écoutés.

Dans cette lettre, ces directeurs dénoncent: « Vos enfants, nos élèves, n’ont plus la chance d’avoir une scolarité complète. Nous sommes trop souvent amenés à les renvoyer chez eux, à la rue, ou dans le meilleur des cas en salle d’étude. Ceci n’est pas sans provoquer une perte de motivation pour certains élèves, mettant ainsi à mal les efforts fournis en termes d’accrochage scolaire. Des parties de programmes restent non vues, malgré les bonnes volontés souvent déployées en interne pour « limiter la casse », et ce compris pour les cours certifiés par les épreuves externes (CE1D, CESS). »

Concernant les années certifiantes, monsieur Embise se veut néanmoins rassurant : « C’est certain que quand une matière n’a pas été donnée dans son entièreté à cause d’une absence longue durée, les délibérations peuvent donner un coup de pouce si cela se justifie, car la décision finale est toujours dans les mains du conseil de classe. Une année certifiante porte sur un « tout », et pas juste quelques semaines de cours non données. Il faut donc prendre en compte les années passées, les résultats de l’élève, ses facilités et/ou difficultés. Il faut faire confiance au corps enseignant qui connaît ses élèves pour attribuer ou non un diplôme. »

Et les enseignants ?

Il n’y a pas que les élèvent qui pâtissent des effets pervers de ce décret. « Des jeunes enseignants doivent parfois circuler entre 3 ou 4 écoles afin d’avoir un horaire complet, dénoncent les directeurs, s’épuisant dans des déplacements plutôt que participer à la vie d’une école et s’investir dans divers projets pédagogiques et humains. »

On peut aussi s’interroger et surtout s’inquiéter sur le fait de « réduire » un professeur uniquement à son diplôme. Que devient le prof dynamique, motivé, et très pédagogue, mais qui n’a pas le titre requis? Il n’aura que peu de chance d’être engagé…

« Quand je parle de problèmes à l’engagement, c’est parce qu’on ne peut plus engager le professeur qui nous semble le plus compétent! Il faut engager un enseignant qui a le titre requis, et ce même si un autre enseignant nous paraît plus capable et motivé, insiste monsieur Embise. En résumé, l’administration nous empêche d’engager le professeur le plus compétent… car il faut se rendre compte que ce n’est pas parce qu’un professeur a le titre requis qu’il sera le plus compétent devant une classe. Il peut très bien avoir le titre requis, mais n’avoir que peu d’expérience, avec le risque de perdre toute crédibilité face aux adolescents.

Si je devais remplacer un professeur de maths, il y a actuellement 7 candidats potentiels dans la base de données de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais vous pouvez être certain que les 3/4 sont déjà en poste et laissent leur candidature au cas où. On peut aussi s’interroger quand on voit des professeurs avec une « longue expérience » chercher du boulot. Ils ont le titre requis, mais sont-ils vraiment les meilleurs candidats pour le poste?

De plus, la Fédération Wallonie-Bruxelles ne vérifie pas les diplômes et titres, c’est à l’école de le faire (et il y a régulièrement des profs qui ne comprennent pas comment fonctionne l’inscription sur le site de FWB) avec encore un surcroît de travail et une perte de temps. »

Suite à la demande des directions d’école, des parents ont effectivement envoyé un mail à la ministre de l’Education pour lui faire part de leurs inquiétudes. Si sa réponse se veut rassurante, force est de constater qu’elle est plutôt « académique » et de rappeler que ce décret était à la base voulu par tous. « Le décret « Titres et Fonctions » était voulu par tous. Il faut également se positionner du point de vue de l’élève. Il est important d’avoir des enseignants qui disposent du bon titre pour donner cours. C’est le coeur du décret et il est bon de rappeler pourquoi il existe : éviter d’avoir un enseignant qui donne cours alors qu’il n’a pas le diplôme qui convient. »

Une volonté unanime confirmée par le directeur de l’Institut Cardinal Mercier, mais nuancée quant à son application : « Soyons honnête, on attendait tous cette réforme des titres et fonctions, mais c’est son application qui a surpris tout le monde par son manque de souplesse! De plus cette application va même à l’encontre du Pacte d’excellence, car le Pacte prévoit une plus large autonomie des directions d’écoles, or la réforme telle qu’elle existe aujourd’hui nous retire une grande part de cette autonomie. Deuxièmement, le Pacte prévoit une augmentation du travail collaboratif entre les équipes pédagogiques or ce morcellement des cours avec de plus en plus de professeurs à temps partiel nous complique sérieusement la tâche, car comment voulez-vous, dans ces conditions, réunir les équipes pédagogiques? Entre les absences, les récupérations, ceux qui ne donnent pas de cours ce jour-là, c’est toute la collaboration entre ces équipes qui est mise à mal! »

Depuis 2016, des assouplissements ont été prévus, seulement ceux-ci n’étaient pas suffisants aux yeux des directeurs. Dans son courrier, la ministre en promet de nouveaux. « Des mesures concrètes de simplification ont déjà été prises par rapport au décret et dans ce contexte de pénurie d’enseignants, j’ai également proposé différentes mesures que le Gouvernement a déjà approuvées en vue d’une application rapide dans les écoles. »

Les aménagements proposés par la ministre de l’Education

Une première mesure avancée dans le courrier de la ministre Schyns est une simplification de la procédure de recrutement lors de l’engagement d’un professeur qui n’a pas le titre requis.

Une autre concerne les heures supplémentaires et « la possibilité pour un enseignant de prester des heures supplémentaires en cas de pénurie. Cette mesure permet de remplacer un professeur de Mathématiques par exemple, par 5 autres collègues qui prestent chacun 4 heures supplémentaires et donc d’éviter d’engager un nouvel enseignant alors qu’il en existe dans l’école pour donner quelques heures en plus. »

Cet assouplissement pourrait être plus difficile à mettre en oeuvre sur le terrain qu’il n’y parait nuance monsieur Embise, car « c’est laissé au bon vouloir de chacun, et surtout selon leurs disponibilités. Il faut savoir que les heures supplémentaires sont payées des « cacahuètes » et surtout qu’elles ne sont payées qu’en fin de trimestre actuellement. De plus, les deux premières heures supplémentaires ne sont pas payées, c’est du bénévolat. Les changements que la ministre Schyns veut apporter portent justement là-dessus: les heures supplémentaires seraient payées dès la 21e heure pour un AESS (Agrégation de l’Enseignement Secondaire Supérieur, soit le programme de formation afin de devenir professeur dans l’enseignement secondaire supérieur, ndlr) et 23e heure pour un AESI (Agrégation de l’Enseignement Secondaire Inférieur), elles seraient mieux rémunérées qu’actuellement et payées plus vite. Si ce changement arrive, cela serait vraiment un aménagement positif au décret. »

Et de préciser « Mais rendez-vous compte aussi que si cet assouplissement est approuvé, il implique quand même de remanier les horaires de presque toute une école, et de cela peut découler de gros changements, et ce tout en devant respecter les contraintes administratives et légales. Si pour la Fédération « il n’y a qu’à », sur le terrain c’est autre chose. Elle considère que c’est le problème des écoles, à nous d’être créatifs. »

Un troisième assouplissement serait « la création d’une fonction spécifique d’encadrement pédagogique dans les écoles quand elles ne trouvent pas un enseignant pour remplacer un absent, permettant ainsi d’éviter aux élèves l’étude ou le retour chez eux (ex. : des exercices de langue moderne lors de l’absence d’un enseignant avec une personne spécifiquement affectée). »

A l’heure actuelle, « rien n’est mis officiellement en place, car… nous manquons de professeurs! » précise monsieur Embise. « Mais certains profs n’hésitent pas à donner un coup de main, soit en donnant des dossiers de consignes et exercices pour que les élèves ne prennent pas trop de retard dans la matière en question quand leur collègue est absent, soit en restant sur leur temps de midi pour aider les étudiants qui en ont besoin. »

Encore et toujours la pénurie

La pénurie de professeurs existe déjà depuis bien longtemps comme le confirme le directeur d’ l’Institut Cardinal Mercier : « Cette pénurie n’est pas quelque chose de neuf, pour moi elle existe au moins depuis 2001. Je me souviens d’avoir fait un courrier en 2004 ou 2005 à une députée de la FWB pour dénoncer ce problème. J’avais reçu une réponse très polie et politiquement correcte comme quoi cette pénurie de professeur constituait sa priorité. Quinze ans plus tard, ce problème de pénurie existe toujours… Le décret a ajouté des freins à l’engagement et une certaine lourdeur administrative à un problème existant. »

Si les assouplissements au décret « Réforme des titres et fonctions » promis par la ministre de l’Education sont censés porter leurs fruits dès le mois de mars de cette année, il semble que la pénurie d’enseignants ait encore de belles rentrées scolaires devant elle…

Dès lors, on peut se demander si le vrai enjeu de l’enseignement n’était pas un énième remodelage de ce décret, mais bien de se poser la question de « pourquoi le métier de professeur a-t-il perdu de son prestige et n’attire plus personne » ? Et surtout d’essayer d’y apporter une réponse positive.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire