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Le déconfinement politique sera, lui aussi, délicat: nouvelles élections ou nouvelle majorité?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Des voix s’élèvent pour réclamer un scrutin anticipé une fois la crise sanitaire passée. La Première ministre évoque une nécessaire majorité. Tensions en vue.

« En démocratie, c’est aux citoyens de tirer des leçons d’une crise telle que celle du Covid 19, et de confier un mandat à leurs représentants à cette fin. Une fois la propagation du virus endiguée et la situation sanitaire totalement sous contrôle, il serait, d’un point de vue démocratique, incompréhensible qu’un scrutin ne soit pas organisé, précédé d’une campagne électorale de qualité, pour arbitrer les leçons, choix et priorités pour le ‘monde d’après’. » Voilà la suggestion ce qu’exprime Jérémy Tojerow, un citoyen très poltique, dans une carte blanche publiée ce vendredi matin par Le Soir.

Tirer les leçons de la crise

Ce citoyen, qui est juriste spécialisé en droit public et ancien conseiller à l’Institut Emile Vandervelde, service d’études du PS, interpelle : « N’est-ce pas la moindre des choses de solliciter des acteurs politiques de nouvelles propositions, idées, pistes et solutions pour faire face à ce contexte radicalement nouveau et permettre ainsi aux citoyens de renouveler le mandant de leurs représentants en connaissance de cause? L’enjeu de tenir un scrutin à l’issue de la crise sanitaire n’est pas d’espérer la victoire de tel ou tel parti. Rien ne permet d’anticiper un résultat. En revanche, il s’agit d’assurer que ces leçons de la crise soient bien au coeur du débat public et arbitrées par les citoyens. Quelle qu’elle soit, c’est à eux de dresser la feuille de route du monde d’après. »

A ceux qui rétorqueraient qu’il s’agirait d’une perte de temps à un mauvais moment, il souligne : « Ce serait une erreur de croire que tenir les citoyens à l’écart de la décision permette de gouverner efficacement et durablement. Comment fixer une feuille de route durable et légitime, qui mobilise le plus largement de nombreux pans de la société sans l’exercice démocratique par excellence? La seconde guerre mondiale a pris fin le 8 mai 1945. Elle a fait plus de 60 millions de morts, dont environ 45 en Europe. Détruit des villes et villages entiers. Mis à mal les capacités de production des économies, leur monnaie, leurs infrastructures. On a quand même ‘pris le temps’ d’organiser des élections générales le 17 février 1946 en Belgique. »

L’idée a d’ores et déjà reçu l’appui de Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCLouvain : « Merci pour ce texte stimulant ! Les priorités pour le ‘monde d’après’ qu’évoque Jérémie Tojerow supposent un renouvellement du contrat social entre l’Etat et les citoyens et donc (notamment) des choix constitutionnels, dans le cadre d’une substantielle refonte de la Constitution. »

https://twitter.com/marcverdussen/status/1251098204973805574Marc Verdussenhttps://twitter.com/marcverdussen

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Simultanément, La Libre publie une autre carte blanche Joseph Junker, cadre dans une société privée et père de famille, qui s’exprime dans le même sens : « Quand le Covid partira, il sera temps de repasser par la case élections ». « Cette crise du coronavirus offre une occasion unique et en même temps un devoir de repartir d’une feuille blanche, argumente-t-il. L’équipe amenée à diriger le pays pour les années à venir va devoir poser toute une série de choix fondamentaux, qui ramènent les préoccupations d’il y a quelques mois au niveau d’une ridicule plaisanterie. Songez au déficit abyssal que va créer cette crise, au prévisible choc économique et à l’impact social pour les professions fragiles, aux changements massifs d’habitudes et de paradigmes sociétaux qui pourraient se produire sur nos modes de travail, de transport, de commerce international… sans parler de la crise sanitaire en elle-même, du communautaire et de la désormais inévitable prolongation du nucléaire ! »

Elections ou nouvelle majorité ?

Un autre argument s’ajoute à cette nécessité de rebattre les cartes politiques : le prévisible chaos politique auquel nous assisterons une fois l’urgence sanitaire levée. L’incident politique autour des visites aux maisons de repos, autorisées par le Conseil national de sécurité et aussitôt suspendues par les Régions et critiquées de toutes parts, n’est qu’un tout petit aperçu des tensions qui vont resurgir lorsque de vrais choix de société devront être posés.

Dans les rangs du gouvernement minoritaire, certains s’accordent déjà pour dire que le soutien extérieur des six ou sept partis (PS, SP.A, Ecolo, Groen, CDH et DéFI + la N-VA en ce qui concerne les pouvoirs spéciaux) s’évanouira une fois l’épidémie sous contrôle. La Première ministre, Sophie Wilmès (MR), a d’ailleurs promis un nouveau vote de confiance en juin, après une première période de trois mois. Si la méfiance s’exprime, on reviendra à la situation antérieure : un gouvernement minoritaire en affaires courantes. Avec la perspective d’un nouveau blocage lié à l’incapacité du PS et de la N-VA de discuter.

Est-ce à dire que les espoirs politiques nés de l’entrée de crise se sont évanouis ? C’est possible. A l’époque, plusieurs présidents avaient osé parié sur le fait que le travail en commun sur la crise permettrait aux partis d’apprendre à travailler ensemble. Visiblement, cette collaboration semble difficile, que ce soit au fil des décisions à prendre ou des concertations du kern élargi organisé chaque samedi, à distance confinement oblige, entre le Conseil des ministres restreint et les présidents des partis qui le soutiennent.

Ces deux derniers jours, alors qu’elle est de plus en plus critiquée par ceux qui sont censés la soutenir, Sophie Wilmès a exprimé le souhait d’avoir un gouvernement « soutenu par une majorité en son sein ». Elle n’a, par contre, jamais parlé de nouvelles élections.

Il est fort à parier que le déconfinement politique sera aussi délicat que celui auquel nous allons devoir nous livrer sur le plan sanitaire.

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