Bertrand Candelon

Le décodeur de l’économie de Bertrand Candelon: gérer l’incertitude (chronique)

Bertrand Candelon Professeur de finance à l'UCLouvain et directeur de la recherche Louvain-Finance.

Une croissance stable nécessite le retour de la confiance.

Depuis le début de la crise de la Covid, l’incertitude économique et politique atteint des niveaux records. Une étude de Hites, Bloom et Furceri publiée par le Fonds monétaire international (FMI) estime qu’elle est supérieure d’environ 50% à sa moyenne entre 1996-2010 et cela malgré la période de déconfinement de l’été dernier et la grande crise financière de 2008. A l’heure actuelle, il est impossible de savoir comment se terminera l’année scolaire de nos enfants, quand les restaurants pourront rouvrir, si nous bénéficierons de vacances d’été, ni même si, en septembre, nous retrouverons une vie normale sans contrainte de mobilité. Le nouveau confinement imposé fin mars en Belgique, l’extrême lenteur de la campagne vaccinale ou l’émergence de nouveaux variants provoquent une lassitude croissante dans la population et n’incitent pas à l’optimisme. Mais quel est donc l’impact de ce niveau d’incertitude pour l’environnement économique?

Une croissance stable nu0026#xE9;cessite le retour de la confiance.

Les économistes utilisent des anticipations dans les modèles pour expliquer et prévoir les décisions économiques. Il apparaît, la plupart du temps, que celles-ci ont plus d’impact sur les décisions que les variables observées elles-mêmes. Par exemple, selon la théorie dite de l’équivalence ricardienne, une relance budgétaire n’aura aucun effet réel si les agents économiques anticipent la hausse d’impositions futures nécessaire pour la financer. De même, de nombreuses crises financières ont été occasionnées par des rumeurs, sans fondement réel, et ont néanmoins mis à genoux de nombreuses économies.

Les effets de l’incertitude engendrés par la crise de la Covid sont déjà visibles dans de nombreux indicateurs pour la Belgique. Tout d’abord, les ménages belges ont réduit leur consommation de plus de 8%, alors que leurs revenus étaient plus ou moins stabilisés par les plans de soutien. Ils ont préféré accroître leur épargne de précaution, bas de laine pour se protéger contre les chocs négatifs anticipés dans le futur. Les entreprises ont aussi réduit drastiquement leurs investissements (en 2021 ,ceux-ci seraient 18% plus faibles que le niveau anticipé). En effet, un investissement est un pari sur un avenir assez lointain (généralement dix ans pour un investissement productif). Quand celui-ci est incertain, les investisseurs préfèrent reporter leurs décisions et attendre d’avoir plus d’informations. Les flux d’investissements étrangers en Belgique ont suivi cette même évolution.

Les marchés financiers ne semblent, quant à eux, que peu affectés par cette incertitude ambiante puisqu’ils atteignent en ce moment des sommets. Il faut cependant rester prudent. Même si les marchés ont anticipé la fin de la crise sanitaire (leur horizon étant plus court que celui des investisseurs productifs), Candelon, Ferrara et Joëts ont récemment démontré que l’incertitude augmente la volatilité sur les marchés. Donc, une annonce, aussi anodine soit-elle, pourrait provoquer un retournement des marchés financiers.

Dans un tel environnement, et même si l’être humain possède l’extraordinaire capacité de rebondir et d’oublier les mauvais moments, comme l’a montré la hausse de la consommation l’été dernier, aucun plan de relance ne pourra permettre actuellement un rétablissement complet et pérenne des fondamentaux macroéconomiques d’avant-crise. Une croissance stable nécessite le retour de la confiance. Comme la fin de l’épidémie ne semble pas maîtrisable, le seul moyen d’y parvenir repose sur une gouvernance adéquate. Les décisions économiques doivent être prises en toute transparence, en concertation avec la population et être solides (ne pas varier en fonction des aléas de l’épidémie) afin de permettre aux agents de se projeter dans l’après-crise, quelle que soit sa date. Si cela ne s’avérait pas être le cas, l’incertitude actuelle entraînerait une modification des anticipations des agents et les effets économiques de la crise de la Covid deviendraient systémiques et permanents.

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