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« Le coût caché des médicaments reste exorbitant » (entretien)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’association de consommateurs Test Achats dénonce la manque de réaction, en Belgique, contre les médicaments dont le prix est trop élevé. Elle se réjouit des avancées rendues possibles par le vaccin contre la Covid, mais celui-ci… n’est pas gratuit.

Les prix des médicaments représentent une préoccupation pour bien des Belges. Certains cas de malades atteints d’affections rares peinent même à faire face au coût de leur traitement. Chaque année ou presque, le volet ‘médicaments’ du budget des soins de santé dérape. Test Achats, l’association de consommateurs, travaille de longue date sur la question du coût caché des médicaments. Sa porte-parole, Julie Frère, et la responsable de ce dossier, Martine Van Hecke, évoquent pour Le Vif/L’Express ce sujet d’actualité, et commentent également le dossier très actuel des vaccins contre la Covid. Un entretien qui a de quoi faire réfléchir.

Le coût des médicaments est un de vos sujets de préoccupation de longue date…

Oui, et ce qui n’est pas toujours évident dans cette thématique, c’est que le coût ne se fait pas toujours ressentir directement chez le patient. Ce n’est pas toujours au moment où l’on se rend à la pharmacie pour acheter ses médicaments qu’on nous réclame un prix exorbitant, non, car il y a souvent un accord de remboursement avec l’Inami : le problème, c’est tout qui se cache derrière et tous les frais pris en charge par notre système d’assurance-maladie. Depuis des années, la courbe ne cesse de monter, les prix sont de plus en plus élevés et nous craignons que l’on arrive à une saturation du système, que notre assurance ne puisse plus assurer certains remboursements.

Au départ de cette réflexion, nous avions déjà organisé, en septembre 2018, un grand séminaire en compagnie d’experts à l’issue duquel nous avions soumis des recommandations au monde politique. Et nous menons en parallèle des actions très concrètes devant l’Autorité belge pour la concurrence.

Des actions spécifiques pour certains médicaments?

Absolument. Plusieurs dossiers sont en cours et on aimerait qu’ils avancent enfin parce que des dossiers similaires bougent à l’étranger. Le dossier Avastin – Lucentis est l’un d’entre eux. Il y a eu une entente entre Roche et Novartis pour ne pas enregistrer l’Avastin, un médicament initialement prévu pour lutter contre certains types de cancer, afin d’agir contre une dégénérescence oculaire. Cette entente vise a maintenir en activité celui utilisé actuellement, le Lucentis, qui est nettement plus cher. Pour cette entente, il y a eu une condamnation en Italie à hauteur de 180 millions et en France à hauteur de 440 millions, mais rien ne bouge chez nous, alors que nous avions introduit le dossier en novembre 2014.

Dans deux autres dossiers que nous avons déposés, on constate que le prix de certains médicaments a été multiplié de façon démesurée alors qu’il s’agit de molécules sur lesquelles il n’y a pas eu de recherche ou d’essais cliniques importants – et donc pas d’efforts financiers conséquents investis. Là encore, l’Autorité belge pour la concurrence, en Belgique, tarde à réagir.

Qu’est-ce qui expliquerait cette timidité belge, selon vous?

Quand on parle de cela avec les responsables de l’Autorité belge, ils mettent en avant la grande difficulté à prouver les faits. Cet argument nous paraît parfois surprenant parce que cela bouge dans d’autres pays. On se demande aussi si ce sont des dossiers prioritaires pour notre Autorité.

Question naïve : l’industrie du médicament considérait-elle qu’il faut valoriser le coût de la recherche de façon démesurée?

Nous ne sommes évidemment pas opposés à ce que l’industrie pharmaceutique soit rémunérée pour les coûts de recherche et développement, et fasse même un juste bénéfice de la commercialisation des médicaments. Ce qui nous pose problème, c’est qu’il n’y a aucune transparence sur ces coûts de recherche et développement: c’est l’argument massue pour justifier tout. Cela ne va pas parce que dans ces investissements, souvent, il y a des fonds publics qui sont utilisés pour lesquels on n’impose aucune condition, notamment celle de proposer le médicament à un prix juste et raisonnable. On paye une première fois pour la recherche et une deuxième fois à travers l’assurance-maladie. Nous réclamons davantage de transparence pour voir ce qui serait « juste et raisonné ». De manière générale, les coûts du marketing dépassent parfois ceux de la recherche et du développement.

Dans le cas du dossier Spinraza (un médicament luttant contre une maladie génétique – Ndlr), le seul médicament vraiment innovant dans les dossiers que nous portons, nous avions fait le coût de la recherche à partir des rapports financiers publiés aux Etats-Unis : après un an, ils avaient déjà récupéré leur investissement, mais ils l’avaient multiplié ce ratio de façon considérable. Dans d’autres cas, l’argument est invoqué alors qu’il ne pourrait même pas l’être car ce sont de vieilles molécules qui sont réutilisées. Le dérapage des coûts s’explique aussi parce que les firmes pharmaceutiques négocient de façon individuelle avec chaque Etat : elles donnent pour débuter un prix public extrêmement élevé avant de le revoir à la baisse avec chaque Etat, à la condition que cela se fasse de façon secrète. C’est la loi du chacun pour soi et cela manque totalement de transparence.

La Belgique est-elle en position de faiblesse en raison de sa taille ?

Bien sûr. C’est la raison pour laquelle nous estimons qu’il faut s’allier : l’union fait la force. Des améliorations ont eu lieu en ce sens: la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et bientôt l’Irlande s’associent pour y arriver et c’est quelque chose que l’on salue. Dans le cadre du vaccin contre la Covid, cela s’est négocié au niveau européen et c’est un là aussi un élément positif que l’on salue. Mais il faut poursuivre dans ce sens.

Le coût des médicaments ne dépend-il pas aussi du caractère répandu ou non de la maladie ?

C’est un autre argument de l’industrie, bien sûr: si les coûts de développement sont élevés, il est difficile de les récupérer auprès d’un nombre trop limité de patients. Mais on l’a dit, ces coûts ne sont pas toujours trop élevés: dans le cas des maladies orphelines, un certain nombre de médicaments étaient déjà connus. En outre, le marché n’est pas toujours aussi réduit qu’on le dit: certaines maladies sont répandues dans un grand nombre de pays, avec un volume de ventes plus que considérable. Là encore, la transparence n’est pas toujours au rendez-vous.

Précisons encore que pour chaque nouvelle indication, il y a une nouvelle exclusivité commerciale de dix ans: on a voulu donner des incitants aux entreprises pour investir dans des maladies rares, mais ceux-ci sont vont parfois trop loins, les exigences ne sont pas assez sévères avec des médicaments pour les maladies orphelines qui deviennent hyper rentables. Il y a eu un détournement du système.

Enfin, on voit qu’il y a des maladies dans lesquelles les firmes pharmaceutiques n’investissement absolument pas. Les vaccins constituent d’ailleurs un des domaines dans lesquelles elles n’investissement absolument pas. Et là, tout à coup, c’est le cas avec la Covid. Nous sommes très contents d’une telle collaboration, qui montre surtout que c’est possible dès lors qu’il y a un enjeu financier important.

Le vaccin contre la Covid est le fruit d’une collaboration entre pays, est-ce un exemple vertueux ou y’a-t-il là aussi des coûts cachés?

Il y a des éléments positifs, certainement, comme le fait que la négociation ait eu lieu au niveau européen. Mais il y a évidemment des éléments qui restent problématiques. La Commission européenne négocie au nom des Etats membres, elle présente aux Etats les résultats de ces négociations qui ont cinq jours pour décider de l’acheter: très bien, mais au final, nous aimerions bien savoir quel est le prix de ce vaccin pour notre pays. Nous avons introduit écrit au ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, et à l’Agence fédérale pour les médicaments, afin de réclamer cette transparence: nous demandons une copie du contrat d’achat européen, mais aussi de l’avis belge qui a été remis à ce sujet. Car le vaccin contre la Covid est administré gratuitement, mais en fait… il n’est pas gratuit.

En ce qui concerne le vaccin, la secrétaire d’Etat Eva De Bleeker a déjà fait fuiter les pris sur Twitter, avant de les retirer…

Tout à fait et nous en étions ravis. Elle a d’ailleurs dit à plusieurs reprises qu’elle voulait être transparente. C’est important pour la confiance, en particulier dans ce domaine-là et en particulier pour ce vaccin-là. Ici, nous avons eu les prix, mais nous ne savons pas s’ils sont définitifs, s’il sont applicables pour une durée déterminée ou pas, s’il a de conditions pour le futur… En fait, on a eu des réponses, mais partielles seulement. Et on ne sait rien des éventuels coût qui seraient liés à des effets secondaires futurs, que les Etats auraient accepté de prendre en charge.

Au final, c’est vous et moi qui le finançons et nous avons le droit d’être informés sur le prix total de ce vaccin. Quand on regarde les chiffres de l’Inami par rapport au remboursement du coût médicaments, on est à plus de quatre milliards, cela représente à peu près 400 euros par citoyens! C’est loin d’être gratuit. Mais comme dans le cas de l’énergie, par exemple, c’est un impôt caché dont on ne se rend pas compte. Il n’en reste pas moins que l’on finance le système et qu’il risque, à terme, d’être mis en péril.

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