Le bruit de la semaine: le temps (chronique)

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Chaque semaine Thierry Fiorilli évoque un bruit. Cette semaine, il revient sur le temps.

Les vieilles photos, celles où on voit tout de suite que c’était vraiment une autre époque, ça raconte pas forcément que c’était le bon temps. Il y a bien celles qui montrent que ça dansait, que c’était une fête de mariage, ou que la guerre était finie, ou que les gosses s’amusaient bien, ou que c’était dimanche, que quelques oncles avaient solidement levé le coude, que cette fille-là tous les gars du village ou du quartier devaient parader en défilé sous sa fenêtre. Mais souvent, même quand elles renvoient à un moment de bonheur, surtout celles d’avant les années 1950, et évidemment pas celles des stars, les gens s’y affichent peu hilares. On a mis ses beaux habits mais on a la tête de qui accompagne la bande, oui, mais avec une disposition à la suivre clairement mesurée.

Quand les photos de 2020 seront de vieilles photos, ce sera facile de les situer sur une ligne de temps.

C’est à ça qu’on reconnaît les vieilles photos. Outre le grain, le sépia, la forme ovale et les endroits où ça s’efface, bien sûr. A l’apparence de ceux qui sont dessus. Des chapeaux qu’on ne vend plus aujourd’hui qu’au rayon farces et attrapes. Ou qu’on met pour un bal costumé. Ou sur une scène. Des manteaux très longs, très lourds, très sombres. Des corsages très serrés. Des cols improbables, des pantalons un peu courts, ou à pattes folles, des voilettes, des pochettes, des cache-poussière, des lunettes qui rendent sévère ou avec des couleurs qu’on n’ose plus, des trucs en feutre ou en velours côtelé, des bottines et des mocassins, des coupes de cheveux jamais revenues, des cigarettes et du plastique partout, des rues avec plus de gens que de voitures, des plages et des parcs avec plus de sable ou d’arbres que de gens, des marques et des enseignes qu’on n’a jamais connues, des murs et des meubles pas comme aujourd’hui. Et tout le monde qui se ressemble assez fort.

En fait, on peut dater pas trop difficilement. Pas comme au jeu où on doit replacer les inventions, découvertes et créations dans l’ordre chronologique (le stéthoscope, Les Misérables, le baromètre, l’astéroïde, le canon, le mescal, l’ordinateur, le sac poubelle, le diapason, la langue des signes, etc.), on se trompe toujours, et parfois de beaucoup.

Dans longtemps, quand les photos de 2020 seront de vieilles photos, et celles de 2021, comme c’est parti, et peut-être celles d’encore après, ce sera facile de les situer sur une ligne de temps. Celles de ministres, celles de podiums sportifs, celles de transports en commun, de grandes surfaces, de bords de terrain, de gens dans la rue, de policiers, de réunions internationales, de cérémonies officielles, de musées, de queues devant les cinémas, de couloirs de bureaux… Tous masqués = pas avant 2020 !

Peut-être ceux qui les observeront nous envieront. Parce que la vie sera pire. Peut-être ils seront émus. Parce que ce sera mieux. Et qu’ils songeront ça devait être incroyable cette époque où il fallait absolument ce truc, comme avant on ne sortait jamais sans haut-de-forme ou sans gants.

C’est ce qu’on se dit depuis sept mois. En regardant tout autour. Et en étant toujours aussi bouleversé. Comme devant les photos, quand elles étaient petites filles, de ces très vieilles dames qu’on n’a jamais connues qu’arrière-grands-mères.

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