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Laurent crée une asbl pour récupérer des millions libyens

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le prince Laurent vient de créer Environment Network, une nouvelle asbl destinée notamment à récupérer les 48 millions d’euros que l’État libyen doit à une autre de ses asbl, en liquidation. Avec ce pactole et cette nouvelle structure, le frère du Roi voudrait enfin réaliser de grands projets environnementaux. À 54 ans, il est déterminé à prendre son envol, malgré l’hostilité du gouvernement à son égard. Quitte à s’exiler.

Face à l’animosité du gouvernement Michel, le prince Laurent contre-attaque. L’enfant terrible de la famille royale vient tout juste de créer Environment Network, une nouvelle asbl dont les statuts ont été publiés le 6 septembre au Moniteur. Fondée le 18 juin dernier à Waterloo par le Prince lui-même, son épouse la princesse Claire, et un proche, Étienne Vrebos, l’association affiche un but très large : « la création, le développement et/ou la gestion de projets environnementaux ou écologiques, aux niveaux national et international ».

D’après l’entourage du Prince, les priorités de Laurent sont le développement des énergies renouvelables et de l’agriculture durable dans les pays en grandes difficultés économiques et sociales. Le frère du Roi voudrait notamment « mettre en place des équipes d' »ambulanciers écologiques » qui débarqueraient dans des zones sinistrées au chevet des populations et des écosystèmes en souffrance ». Voilà pour la noblesse des objectifs, qui n’ont pas encore été traduits en projets mûrs et concrets à ce stade.

Pour financer ces nouveaux plans, les statuts d’Environment Network tracent deux grands axes. Le premier vise un financement classique « par des subventions, des allocations, des dons, des cotisations, des donations, des legs et d’autres dispositions testamentaires et de dernières volontés » ou en levant des fonds « de toute autre manière légale ».

« Réussir des choses passionnantes »

Le second axe est davantage stratégique. Environment Network « reprendra les activités et l’actif net de l’asbl GSDT (Global Sustainable Development Trust), en liquidation ». Et c’est là que le jackpot pourrait tomber pour Laurent : un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 20 novembre 2014 a condamné définitivement la Libye à payer un dédommagement de 38.479.041 euros à GSDT (Le Vif/L’Express du 15 mars 2018). En cause : la rupture unilatérale par l’État libyen, en 2010, d’un contrat signé deux ans plus tôt avec GSDT visant à reboiser des milliers d’hectares désertiques sur la côte de l’Etat africain.

Avec les intérêts et les frais de justice, c’est plus de 48 millions d’euros que la Libye doit aujourd’hui verser à l’ex-asbl du Prince. « Cet argent, s’il est restitué, devra être affecté à une autre asbl ou fondation qui a le même objet social », avait expliqué Alex Tallon, liquidateur de GSDT, au Vif en mars dernier. On sait donc maintenant que ce sera Environment Network. Un véhicule qui pourrait ainsi contribuer – enfin – à l’émancipation professionnelle du Prince, qui aura 55 ans le 19 octobre prochain. Tourné vers l’avenir, Laurent souhaite « réussir des choses passionnantes » et laisser une trace positive pour la postérité.

Mais pour « réussir », encore faut-il avoir les coudées franches. Or, selon son entourage, Laurent aurait le sentiment d’être un « sous-citoyen » dont les projets seraient en permanence torpillés par des « interférences politiques ». Il serait persuadé que, d’Yves Leterme à Charles Michel, les gouvernements successifs lui ont systématiquement mis « des bâtons dans les roues » ces dix dernières années.

Reynders en ligne de mire

Parano le Prince ? Ce n’est pas l’avis de ses proches. Les millions libyens non récupérés de GSDT, l’échec récent de sa Maison des énergies renouvelables et sa dotation rabotée constitueraient trois illustrations de cette animosité gouvernementale envers le Prince. Trois dossiers emblématiques illustrant un « acharnement disproportionné » à l’égard de Laurent, estime Étienne Vrebos qui vient de signer un communiqué au picrate taclant l’exécutif, et Didier Reynders en particulier.

Vrebos, 68 ans, fut directeur de l’entreprise d’outils de jardinage Gardena Belgium (1974-2007) puis directeur commercial d’Husqvarna (2008-2013). Proche de Laurent, il a été administrateur de la fondation privée du Prince, GRECT, ainsi que de Cerbux Invest SA et REC Arlon 67 SA, deux sociétés constituant la Maison des énergies renouvelables et récemment vendues à la holding Alva de la famille Vastapane.

On l’a vu, suite au revirement de l’État libyen, l’asbl GSDT a dû être mise en liquidation en 2011. « Curieusement, alors que le Ministre des Affaires étrangères Didier Reynders a fait pression sur la Libye pour obtenir le paiement des autres créanciers belges, il n’a pas levé le petit doigt pour l’asbl du Prince », dénonce Étienne Vrebos dans son communiqué. « Cette discrimination est injustifiable, sachant qu’on apprend que plusieurs milliards d’euros de fonds libyens en principe « gelés » sous la garde de la Belgique, auraient été libérés vers le Luxembourg en faveur de destinataires inconnus. »

Quelque 15 milliards d’euros libyens de l’ère Kadhafi sont en effet gelés par l’ONU, depuis 2011, sur quatre comptes chez Euroclear Bank à Bruxelles. Les intérêts et dividendes générés par ce pactole fuiteraient discrètement, chaque mois, depuis 2013, vers de nébuleux bénéficiaires. Comme Le Vif/L’Express l’a déjà révélé, dix milliards d’euros de capital se seraient même mystérieusement « évaporés » lorsque le juge d’instruction bruxellois Michel Claise a tenté de les saisir l’an dernier. Didier Reynders est en outre intervenu personnellement pour que la FN Herstal et une autre société d’armement liégeoise voient leurs créances remboursées par la Libye. Le liquidateur de GSDT, lui, attend toujours…

Projets torpillés

Quant à la quasi-faillite de la Maison des énergies renouvelables, un des projets-phares du Prince situé rue d’Arlon, en plein quartier européen, « ce n’est pas la gestion, mais c’est l’interférence politique qui a tué le projet », dénonce encore Étienne Vrebos. En manque de liquidités, les sociétés détenant les bâtiments ont été revendues fin juin à l’homme d’affaires Aldo Vastapane. Les loyers perçus étaient insuffisants pour rembourser les emprunts bancaires. Pourtant, regrette Vrebos, les associations environnementales créées par le Prince « auraient pu être des locataires en osmose avec la particularité des lieux ». Mais ces associations ont été mises en liquidation suite à une volonté politique, dénonce-t-il.

C’est le cas de GSDT, estime Vrebos, mais aussi de l’Institut royal pour la gestion des ressources naturelles et la promotion des technologies propres (IRGT). Cette dernière asbl fut créée en 1994, à l’initiative de Laurent, pour permettre au Prince d’exercer une activité et toucher un salaire, à une époque où il ne disposait pas encore d’une dotation. Mais en 2008, l’IRGT a été brusquement privé de ses subsides, ce qui a conduit à sa mise en liquidation. En mars dernier, soit dix ans plus tard, le liquidateur a obtenu la condamnation des trois Régions du pays à payer 503.000 euros d’indemnités à l’asbl pour rupture fautive de contrat. « Mais c’était évidemment trop tard », déplore Vrebos.

Le coup de grâce pour le Prince ? Les « attaques purement politiciennes » de la N-VA faisant suite à la visite inopinée du Premier ministre sri-lankais à la Maison des énergies renouvelables, en octobre 2016. Le Prince s’est en effet « cru obligé » d’accueillir l’homme d’État qui s’était rendu d’initiative sur les lieux pour une visite impromptue. Or, en vertu d’une loi de 2013, les membres de la famille royale doivent demander une autorisation aux Affaires étrangères avant d’avoir des contacts avec des chefs d’Etat étrangers.

L’exil en tête

La suite est connue. La présence du Prince, en juillet 2017, à une cérémonie à l’ambassade de Chine en uniforme de l’armée, sans en avoir la permission, a été la goutte qui fit déborder le vase. Conséquence politique : la Chambre a voté, en mars dernier, une amputation de 15% de la dotation du Prince. Une réduction que Laurent va contester devant le Conseil d’État en invoquant une violation de ses droits de la défense et un abus de pouvoir.

Dans ce contexte tendu, la création d’Environment Network montre la détermination du Prince à « rebondir », en récupérant les millions libyens de GSDT pour financer de nouveaux grands projets environnementaux. Pour Laurent, qui ne peut exercer une activité professionnelle, c’est un peu le plan de la dernière chance pour « réussir quelque chose », après une succession d’échecs plus ou moins téléguidés par le politique ces dix dernières années. D’ailleurs, le frère du Roi pourrait à terme quitter la Belgique pour fuir ce gouvernement qui lui met des bâtons dans les roues. En tout cas, dans son entourage, on affirme qu’il pense à l’exil.

David Leloup et Thierry Denoël

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