Maartje De Vries et Benjamin Pestieau

La semaine de 30 heures : utopie ou nécessité ?

Maartje De Vries et Benjamin Pestieau Maartje De Vries est présidente de Marianne, l'organisation de femmes du PTB. Benjamin Pestieau est responsable du PTB pour les relations syndicales.

La semaine de 30 heures ! L’idée a suscité de nombreuses réactions depuis le lancement du livre « La taxe des millionnaires et 7 autres idées brillantes pour changer la société » qui sortira le 1er Mai et où la semaine des 30 heures est développée dans son deuxième chapitre. Il y a des réactions enthousiastes. Pour la CNE par exemple, la Centrale nationale des employés de la CSC, il faut reprendre au plus vite le chemin de la réduction du temps de travail. D’autres sont plus dubitatives. Le débat n’est pourtant pas nouveau en Belgique et encore moins à l’étranger.

A quoi ressembleraient nos vies ?

Ils sont de plus en plus nombreux ceux, et surtout celles, qui imaginent à quoi ressembleraient notre vie et nos sociétés si la norme était 30 heures de travail par semaine. Faisons rapidement l’exercice mental : comment seraient nos journées avec plus de temps libre et un travail mieux réparti ? Quelles relations aurions-nous avec notre famille, nos amis ou nos voisins et quels hobbys pourrions-nous réaliser ?

Ces questions sont à la base du combat d’Eva Brumagne, la directrice du mouvement des femmes Femma, l’équivalent de Vie Féminine en Flandre qui a fait de la semaine de 30 heures un cheval de bataille. Une condition pour sortir des milliers de femmes de la pression du temps et construire un autre modèle de vie qui permette non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes de combiner correctement travail, vie de famille, engagement et temps libres.

Ces questions sont aussi à la base de l’appel pour la semaine des 30 heures lancé par 150 personnalités allemandes issues du monde académique, syndical, politique ou environnemental dans le plus grand quotidien allemand (XX). Ils dénoncent entre autres « que d’une part beaucoup de personnes au chômage souffrent de dépression et de dévalorisation et d’autre part les salariés doivent, eux, assumer une surcharge de travail. » Pour eux, il s’agirait d’un projet positif pour l’ensemble de la société. Il contribuerait à sortir des milliers de travailleurs du stress, burn-out ou maladies chroniques ou psychosomatiques.

Ces questions sont enfin à la base de l’étude menée par Anna Coote, cheffe des politiques sociales au think tank britannique New Economic Forum, qui affirme : « on nous a sans cesse seriné que travailler le plus longtemps et le plus dur possible était la meilleure façon d’apporter notre contribution à la société. Mais, dans les faits, certains ont des horaires et charges de travail impossibles alors que beaucoup sont coincés dans des contrats incertains, temporaires et de courtes durées ou ne trouvent pas de travail. Nous devons revoir la manière dont nous évaluons et répartissons le temps rémunéré et le temps qui ne l’est pas. »

Que faire de tout ce temps libéré ?

Toutes ces personnalités ne sont d’ailleurs pas les premières à envisager l’avenir en fonction de cet idéal. Il y a près d’un siècle, en 1930, le célèbre économiste John Maynard Keynes prédisait qu’en 2030, le progrès nous permettrait de ne plus travailler que trois heures par jour. À cet avenir lointain, il associait ce qui constituerait selon lui le grand débat du XXIe siècle : que faire de tout ce temps libéré ?

Septante ans plus tard, des pays comme la Belgique sont quatre ou cinq fois plus riches qu’en 1930. Mais ce ne sont pas les loisirs ni le fait de profiter un peu de la vie qui constituent nos principales préoccupations, mais bien le stress et l’incertitude. Et, si cela ne dépendait que des politiques et des employeurs, nous devrions encore travailler plus dur et plus longtemps. Nous n’aurions prétendument pas le choix : sinon, nous ne serions plus compétitifs, nous ne pourrions pas « payer le vieillissement » ou nous serions rapidement face à « de graves pénuries de main-d’oeuvre ». Travailler moins serait-il le rêve oublié du 20e siècle ? Ou pas?

Une idée qui se concrétise…

Ce qui n’est qu’une idée commence d’ailleurs à se concrétiser. En Suède, Robert Nilsson, mécanicien de 25 ans à Göteborg, pourrait bien être le précurseur d’un futur où l’on travaillerait moins, en gardant un niveau de vie élevé. Il se lève à la même heure que tout le monde, mais ne se précipite pas au travail. Il va courir, prend un bon petit déjeuner et arrive à son atelier chez Toyota à midi… pour repartir à 18 heures. « Mes amis me détestent. Pour la plupart d’entre eux, comme je ne travaille que six heures, je ne devrais pas être payé huit », explique-t-il. Comme plusieurs entreprises en Suède, son usine travaille en deux équipes de 6 heures depuis 2002 déjà. En 2014, c’est la mairie de Göteborg qui a voulu – elle aussi – se lancer dans l’expérience.

Que faisons-nous des richesses produites ?

La semaine des 30 heures pose le débat de ce que nous faisons des richesses produites et comment nous les répartissons. « Alors qu’il a fallu 140 ans pour que la productivité soit multipliée par deux entre 1820 et 1960, elle a depuis été multipliée par cinq », explique Pierre Larrouturou, spécialiste français de la question de la diminution du temps de travail. Nous produisons donc beaucoup plus en moins de temps. Comment organisons-nous dès lors le travail ? Que faisons-nous de cette hausse de la productivité ? Vers qui va cet accroissement impressionnant de la richesse créée ? Sert-il à augmenter des dividendes qui atteignent déjà des sommets ? Sert-il à donner à chacun un salaire à la hauteur de son travail et à permettre à tous de mener une existence meilleure ?

Bien entendu, le monde patronal a de tout temps poussé des hauts cris et prédit un désastre économique chaque fois que la question de la diminution du temps de travail se posait. « La concurrence étrangère, déjà fort importante, augmenterait dans des conditions désastreuses si une loi réduisait la durée de la journée de travail », déclaraient par exemple des patrons en 1907. Or, non, l’économie ne s’est jamais effondrée suite à une diminution du temps de travail. Et, au contraire, les travailleurs ont vu des améliorations de leurs conditions de vie. Et pour cause, ce ne sont pas les mesures redistributives qui sont à la source des crises économiques. C’est au contraire l’absence de ces mesures qui en accélère l’avènement.

Nous travaillons déjà 30 heures

Dans le débat sur la semaine de 30 heures, il ne s’agit en fait pas du temps de travail global. La moyenne des heures travaillées se situe à 30 heures, voire moins, dans plusieurs pays d’Europe. Mais pour un grand nombre, la réalité est l’absence d’emploi et un mélange trouble de statuts bidon et de contrats précaires. Pour les autres, il s’agit de semaines remplies d’heures supplémentaires. Tel est le résultat de la libéralisation du marché de l’emploi, l’oeuvre de « la main invisible du marché ». Si la société reprenait en main l’organisation du travail, ne mettrait-elle pas un terme à cette jungle ?

Voilà une série de questions qu’il serait utile d’explorer. Des questions à contre-courant par rapport à la pensée quasi unique du moment. Des questions qui nous éloignent des options politiques qui nous ont conduites dans la crise et n’arrivent pas à nous en sortir aujourd’hui. Le champ politique actuel souffre de manque de débats sur les grandes options de fond. Ne serait-il pas temps de les ouvrir largement ?

Maartje De Vries et Benjamin Pestieau, auteurs du chapitre « Retrouver le temps de vivre: la semaine de 30 heures » dans La taxe des millionnaires et 7 idées brillantes pour changer la société.

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