Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens: tout le monde aurait pu jeter ce nouveau-né par la fenêtre (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Elle n’a que 17 ans. Heureusement. Une année de plus, juste une seule, et elle se serait retrouvée, majeure, sur un inconfortable banc en bois dans une salle froide, jugée par des gens beaucoup plus âgés qu’elle. Face à leurs robes, elle aurait dû dévoiler crûment son intimité encore en construction. Avec qui? Combien de fois? Et la pilule? Et le préservatif! Quand même, comment ne pas remarquer l’absence de règles? La prise de poids? Et puis, surtout, pourquoi avoir balancé le bébé par la fenêtre?

Mais ce n’est pas un être vivant que cette adolescente a jeté, le 8 février dernier. C’est une catastrophe, une incompréhension, une impossibilité. Qui venait juste d’être expulsée d’elle. En hurlant. « Un traumatisme [causant] un stress énorme aux conséquences parfois dramatiques », écrivait, en 2016, la docteure Amélie Josset, dans la revue Louvain Medical. Un accouchement seule, en pleine nuit, sans réaliser ce qui se passe: il n’existe sans doute pas de meilleure définition du mot « traumatisme ». Dans ces cas-là, poursuit cette analyse, « le nouveau-né peut ne pas être perçu comme un enfant mais être assimilé à un déchet« . A jeter. Que faire d’autre?

Les femmes enceintes se préparent habituellement à une naissance durant neuf mois, souvent bien entourées, généralement médicalement encadrées. Ce n’est tout de même pas pour ça qu’elles la vivent (toujours) bien. Cette jeune Ardennaise a dû s’y confronter en neuf secondes. Mais elle ne devra pas déballer, justifier ce néonaticide qu’elle ne comprend sans doute pas elle-même devant une cour d’assises. D’autres avant elle ont dû: parfois condamnées à dix, vingt ans de prison. Parfois acquittées, comme Jessica Billy, en 2010, sous les applaudissements du public présent à l’audience. Cet être qui, durant neuf mois, avait grandi dans cet utérus en position verticale, le long de sa colonne vertébrale, parfaitement camouflé, elle l’avait étouffé en le découvrant. Pour la première fois, un tribunal belge avait reconnu l’existence du déni de grossesse. Un phénomène dont la prévalence oscillerait entre 0,5 et 3 pour 1 000 naissances. Sans que l’issue soit toujours une défenestration ou un étouffement.

Mais dans ces cas-là, les femmes mises sur le banc des accusés s’y retrouvent trop seules. Sans le géniteur, probablement coupable d’avoir laissé à sa partenaire toute la responsabilité de la contraception – « Tu sais, avec une capote, j’y arrive pas… » (1) Sans sa famille, certainement responsable de ne jamais lui avoir parlé de sexualité – « Une fille bien n’ouvre pas (trop) les jambes! » Sans ces profs d’éducation sexuelle de toute façon inexistants. Sans ces gynécologues qui refusent obstinément, sans raison médicale valable, de poser aux jeunes femmes un stérilet en cuivre, moyen de contraception le plus fiable. Sans tous ces facteurs sociaux qui confinent les jeunes – puis les adultes qu’ils deviendront – dans l’ignorance.

L’ignorance conduit parfois au drame. A jeter par la fenêtre un truc hurlant, gluant, dégoûtant, qui vient de tomber sur le carrelage. A se débarrasser de l’impensé, de l’impensable. Pour que tout redevienne comme avant. Normal. Pas besoin d’un procès. Cette jeune fille de 17 ans, seule dans sa chambre cette nuit-là, en sang, en panique, en crise, en larmes, a déjà purgé sa peine.

(1) En 2012, à la suite d’un déni de grossesse et à un néonaticide, le compagnon de la femme condamnée à dix ans de prison expliquera qu’il n’utilisait pas de moyen de contraception, s’estimant trop âgé (54 ans) pour être fertile…

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La phrase

« On s’insurge aujourd’hui face à une main aux fesses, mais les commentaires déplacés sur une tenue ou sur un physique continuent d’être banalisés. Et qui dit banalisation, dit déni. »

Un collectif d’une centaine de membres de la communauté universitaire, dans une carte blanche publiée dans plusieurs médias à la suite de récentes accusations de harcèlement dans des universités flamandes (lire Le Vif du 10 février).

17%

d’inventrices dans le monde, pour 83% d’inventeurs: les comptes tirés des statistiques de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (et compilés par l’entreprise allemande Statista sur la base des brevets déposés en 2021) ne sont paritairement pas bons. A moins de vivre à Cuba, où les femmes inventrices sont majoritaires (53%). Mais certainement pas au Japon (et ses 10%). La Belgique? Même pas citée dans le classement.

Réduction spéciale pour les femmes

Le 8 février, le conseil municipal de Genève, en Suisse, a voté (à 44 voix pour et 25 contre) la prochaine introduction d’une carte donnant droit à 20% de réduction pour les événements culturels et sportifs… aux femmes. Cette ristourne correspond, selon le parti de gauche à l’origine de l’initiative, à l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Une mesure tantôt saluée par ceux estimant qu’elle répare une inégalité, tantôt décriée par ceux qui, au contraire, estiment qu’elle créera de nouvelles discriminations, envers les hommes, cette fois.

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