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La recomposition politique façon De Wever: bon constat, mauvais timing, avertissement (analyse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

En dénonçant la « balkanisation » de la Flandre, Bart De Wever, président de la N-VA, tente surtout de remettre son parti au centre du jeu. Mais le morcellement des voix est un risque réel pour 2024.

« Il y a trop de partis. Ce n’est pas sain. J’appelle cela la balkanisation de la Flandre. Si on ne fait pas attention, la Flandre deviendra bientôt ingouvernable. » Bart De Wever, président de la N-VA, a tenté de reprendre l’initiative, dimanche, en affirmant au journal De Zondag qu’il verrait d’un bon oeil une recomposition politique au nord du pays. Avec, pour modèle, la CSU qui brasse large en Bavière et pèse fortement sur la CDU nationale: son ministre-président, Markus Söder, est d’ailleurs le favori actuel des Allemands pour succéder à Angela Merkel.

En faisant ces déclarations ce week-end, le leader nationaliste pose un constat qu’il n’est pas le seul à faire: l’éclatement du paysage politique est un risque réel. Mais il a mal choisi son moment et, surtout, la N-VA est désormais trop affaiblie pour prendre ce leadership. D’ailleurs, ses propos n’ont reçu qu’un écho modéré et Luc Huyse, sociologue de la KUL et mentor de l’analyse électorale, souligne au Morgen que son approche « ne réussira pas ». Analyse en trois temps.

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1 Un bon constat

La Belgique risque bel et bien de devenir ingouvernable en raison de l’éclatement de son paysage politique. C’est un risque important pour 2024: la progression continue des extrêmes, Vlaams Belang et PTB, réduit sans cesse le nombre de voix utiles pour former une majorité responsable. La Vivaldi, qui associe tous les partis démocratiques sauf la N-VA, est d’ailleurs le fruit de cette complexité – jamais une majorité fédérale n’avait réuni autant de partis – et fait le pari d’un « projet positif pour la Belgique » en vue des prochaines élections.

Le constat posé par Bart De Wever en Flandre n’est d’ailleurs pas nouveau. Au milieu des années 1990, déjà, face à la progression de l’extrême droite, Guy Verhofstadt avait tenté de fédérer le centre-droit en volant des élus Volksunie et en allant jusqu’à essayer de voler les éléments les plus « démocrates » du Vlaams Blok: ce fut un semi-échec. Une décennie plus tard, c’est le CD&V Yves Leterme qui composait un cartel… avec la N-VA de Bart De Wever, propulsant sans le savoir ce dernier au firmament du paysage flamand. La N-VA est devenue le premier parti au Nord, mais s’est abîmée au pouvoir et, désormais, c’est le Vlaams Belang qui caracole en tête des intentions de vote. D’où cette nécessité de re-recomposer.

Le constat est posé de manière similaire en Belgique francophone, singulièrement au centre-droit, depuis autant de temps – mais pour des raisons différentes, et avec moins de résultats. Louis Michel, lorsqu’il était président du PRL (ancêtre du MR) avait tenté de faire une OPA sur le PSC (ancêtre du CDH): une stratégie qui avait accouché d’une souris. Depuis, tant Didier Reynders que Charles Michel ou Georges-Louis Bouchez ont cultivé de diverses manières l’idée d’une mouvement sortant le parti de son lit (le « M » est d’ailleurs l’initiale de Mouvement). Objectif? Faire contrepoids à un PS ultra-dominant et tenter de devenir le premier parti, pour avoir la main. C’est n’est pas pour rien, non plus, que le MR attaque le PTB, mais le valorise aussi pour affaiblir le PS: un jeu de billard à trois bandes. Mais dans les faits, cette agitation a porté peu de fruits, sauf parfois au niveau local.

Depuis longtemps, la « balkanisation » du paysage politique francophone est l’objet d’inquiétude et de velléités diverses. Mais peu de choses ont bougé: la fédération PRL-FDF a même explosé sous les coups de boutoir de la sixième réforme de l’Etat. La seule « révolution » n’est autre que la progression, hors cadre, du PTB.

2 Un mauvais timing

Si la sortie de Bart De Wever est reçue de façon modérée, c’est parce que le moment fait davantage songer à un opportunismé déplacé qu’à une véritable considération stratégique. La N-VA est considérablement affaiblie dans les intentions de vote – elle a perdu quelque 10% – et est sortie fragilisée de son éviction du pouvoir fédéral, après le dialogue avec le PS de cet été. Bart De Wever lui-même a perdu de sa superbe, multipliant les sorties hasardeuses et les erreurs de perception.

Sa main tendue vise, de façon quasiment déclarée, à ramener les brebis égarées au Vlaams Belang, tout en essayant de séduire les déçus de l’Open VLD et du CD&V, ulcérés par les concessions faites aux francophones avec la Vivaldi. La N-VA mène d’ailleurs une offensive généralisée contre les libéraux, « coupables » d’être à l’origine de sa mise à l’écart fédérale. Mais attention: en Flandre comme dans toute l’Europe, des alliances se fédèrent pour tenter de freiner les nationalismes et cette agressivité risque de lui revenir tel un boomerang à la figure.

Dans tous les scénarios de recomposition politique, il est en outre rare qu’un parti en perte de vitesse soit de nature à séduire par-delà ses frontières. Dans un autre registre, c’est toujours ce qui a contrecarré le souhaits des partisans d’une alliance entre Groen et le SP.A, au nord du pays: il y avait toujours un parti ayant l’ascendant sur l’autre. CQFD. Dans le contexte politique actuel, l’appel de De Wever a peu de chance d’être entendu.

3 Un avertissement

La déclaration de Bart De Wever peut aussi être vue sous l’angle d’un message interne et d’un avertissement.

Un message interne: réélu à la présidence du parti pour la sixième fois (!) en novembre dernier, le bourgmestre d’Anvers entend bien ancrer sa formation dans le camp démocratique, là où il l’a enracinée, avec un visage libéral et conservateur. L’élection à la vice-présidence, et la non-désignation de Theo Francken, était également un signal en ce sens, la semaine passée. C’est un ‘statement’ face à cexu qui rêvent d’autre chose.

C’est un avertissement, aussi, pour l’extérieur: la N-VA, pointée du doigt par les francophones et dans l’opposition fédérale, pourrait bien se radicaliser davantage encore sur deux thématiques sensibles: l’immigration et l’indépendance de la Flandre. En interne, et au sein du Mouvement flamand, certains rêvent d’un grand soir pour la Belgique en 2024 et d’une autre type d’alliance, de type Forza Flandria, avec une extrême droite acceptable démocratiquement. Si la balkanisation du paysage se poursuit, un autre « homme providentiel’ pourrait-il être, un jour, tenté de lancer un appel en ce sens-là? Et les autres partis ne doivnet-ils pas se méfier de cette perspective?

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