L'inauguration d'un centre de protonthérapie made in Belgium à Nice, en 2015 © Belga

La protonthérapie, succès belge pour traiter les cancers, arrive à Louvain

Muriel Lefevre

La protonthérapie, technique de radiothérapie qui permet de traiter des tumeurs cancéreuses sans trop « déborder » sur les tissus avoisinants, a révolutionné le traitement des cancers. Ce traitement rendu plus accessible par l’UCLouvain, pourra traiter un cancer sur 5 d’ici 2030. Soit près de 300 000 patients dans le monde. Une véritable succès story. Et l’un des centres à la pointe de ce domaine vient d’ouvrir en Belgique.

La protonthérapie, cette forme innovante de radiothérapie qui permet de traiter une tumeur maligne de manière très ciblée et qui, de ce fait, endommage moins les tissus sains, n’était pas encore disponible en Belgique. Les patients qui souhaitaient en profiter devaient se rendre à l’étranger, soit principalement en Allemagne, en France ou en Suisse. Si l’État belge remboursait le coût du traitement, l’organisation du déplacement demeurait très compliquée pour les patients belges. Une chose que certains regrettaient d’autant plus que le leader dans cette technologie, IBA, est belge. Cette expatriation médicale devrait néanmoins désormais faire partie du passé, puisqu’un premier centre de protonthérapie vient d’ouvrir à Louvain.

La protonthérapie, c’est quoi ?

La protonthérapie est considérée comme la forme la plus sophistiquée et ultra précise de la radiothérapie. Pour rappel, le principe d’une radiothérapie c’est que les cellules cancéreuses, les tumeurs sont détruites par irradiation. La protonthérapie utilise un faisceau de protons à haute énergie plutôt que des faisceaux à photons et/ou à électrons de la radiothérapie conventionnelle. Contrairement à une radiothérapie classique, qui a un champ d’action plus large, le proton agit à une profondeur donnée et ne se disperse que peu le long de sa trajectoire, épargnant ainsi grandement les tissus sains avoisinants. Cela permet donc un traitement très ciblé et particulièrement utile lorsque le cancer est situé dans une zone sensible comme l’oeil, le cerveau, la tête, le cou, le foie, le poumon ou encore le sein. Cette technique est aussi en plein essor pour traiter le cancer chez les enfants.

PARTICLE (Particle Therapy Interuniversity Center Leuven), le premier centre de protonthérapie belge

Ce nouveau centre, implanté sur le campus « Gasthuisberg » de l’UZ Leuven (Louvain) et exploité conjointement par des équipes d’UZ Leuven et des Cliniques universitaires Saint-Luc, est unique en Europe puisqu’il est composé de deux parties distinctes. Soit un espace dédié au traitement des patients et un bunker séparé pour la recherche de haute technologie, chaque partie disposant de son propre accélérateur de particules ou cyclotron. Cela confère à PARTICLE un avantage sur les autres centres de protonthérapie européens dans lesquels les recherches doivent se dérouler la nuit et le week-end, l’unité étant utilisée pour les patients pendant la journée. Comme le précise encore Xavier Geets, chef du service de radiothérapie oncologique aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain), PARTICLE a encore un autre avantage: « Ce centre a ceci d’unique qu’il est intégré dans un grand hôpital universitaire, avec un accès direct au scanner IRM et aux installations d’anesthésie. L’encadrement centré sur le patient est un atout majeur. Une collaboration entre six hôpitaux universitaires par-delà la frontière linguistique est sans précédent dans notre pays. Chaque lundi, un ou plusieurs dossiers de patients sont examinés par l’ensemble des experts concernés. »

Actuellement, seul le bunker consacré aux traitements est opérationnel, puisque le bunker de recherche n’entrera en fonction plus tard dans l’année.

IBA, l’histoire d’un succès

C’est en 1920, avec l’émergence des premiers accélérateurs de particules que naît la possibilité de traiter les cellules cancéreuses grâce à des électrons, mais aussi grâce à des particules plus lourdes comme les protons. Il faudra attendre 1954, pour voir un patient traité par protonthérapie avec le cyclotron du laboratoire de Berkeley. A l’époque, les cyclotrons sont des mastodontes énergivores et chers. Yves Jongen, directeur du nouveau cyclotron de l’UCLouvain lors de son installation à Louvain-la-Neuve en 1972, va révolutionner cette invention en la rendant plus petite et moins chère à construire, mais aussi avec un rendement décuplé (de 1% à 16%). De quoi ouvrir des perspectives d’utilisation dans le domaine industriel et créer un spin off de l’UCLouvain : IBA. Aujourd’hui, celle-ci est le leader mondial en technologie de protonthérapie, avec plus de 50 institutions partenaires et 1 500 employés. Ce sont ces mêmes technologies qui équipent le premier centre belge de protonthérapie.

Cette ouverture partielle a néanmoins permis, durant l’été 2020, et pour la première fois en Belgique, d’administrer des traitements par protonthérapie. L’un des premiers patients est un jeune homme présentant une tumeur rare au cerveau, a été pris en charge le 22 juillet 2020. Depuis, 7 patients ont déjà pu bénéficier de ce traitement comme le précise Jean-François Daisne, chef du service de radiothérapie oncologique à l’UZ Leuven : « Certains tissus sains particulièrement sensibles aux radiations sont parfois situés trop près de la tumeur, si bien qu’il est pratiquement impossible de les traiter sans mettre en danger la qualité de vie du patient. Le traitement des premiers patients s’est bien passé, grâce à notre équipe de soignants enthousiastes, qui ont suivi une formation approfondie pour travailler avec le nouvel équipement. »

Encore peu de patients qui sont éligibles pour une protonthérapie

On estime qu’en Belgique seuls 150 à 200 patients peuvent bénéficier d’une protonthérapie. Ce nombre pourrait néanmoins augmenter dans le futur s’il est prouvé de façon scientifique (soit validé par des études cliniques ou scientifiques) la réelle plus-value de ce genre de thérapie. En effet, pour l’instant, cette technique extrêmement couteuse, entre 3 à 10 fois plus cher que la radiothérapie classique, n’est remboursée que dans des cas très précis et toujours au cas par cas. Le plus souvent, et jusqu’à présent, il s’agissait d’enfants atteints de cancers rares, qui étaient envoyés dans des centres spécialisés à l’étranger, avec un remboursement intégral par l’INAMI du voyage et des traitements. Pour l’année dernière, par exemple, on dénombre une cinquantaine patients traités par protonthérapie.

C’est d’ailleurs son coût qui a poussé l’Inami à demander, en 2019, au Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) de se pencher sur la question et notamment pour savoir si le remboursement pouvait être élargi à certains cancers des adultes comme les gliomes, cancers des cavités nasales, récidives de cancers de la tête et du cou, cancers du sein, cancers du pancréas, cancers primitifs du foie et récidives de cancers du rectum.

Il en est ressorti que « l’analyse approfondie de la littérature scientifique internationale n’a malheureusement pas permis de trouver des preuves irréfutables de la supériorité de la technique par rapport à la radiothérapie conventionnelle ». Le rapport précise que « l’utilisation de la protonthérapie dans le traitement des cancers se heurte à un double problème. D’une part, on manque encore de preuves de son efficacité. D’autre part, son coût est extrêmement élevé. »

En d’autres termes, la question de la valeur ajoutée de cette technique par rapport aux autres techniques de radiothérapie pratiquées dans notre pays mérite donc d’être posée, puisqu’il n’est pas possible, dans l’état actuel des connaissances, de déterminer si ce traitement est plus ou moins efficace que la radiothérapie conventionnelle pour ces cancers, ni si cela présente des risques sur le plus long terme. Des risques qui pourraient, par exemple, être des cancers de tumeurs secondaires dues à l’irradiation ou que l’irradiation est trop ciblée et « loupe » une partie de la tumeur. Néanmoins, toujours selon le rapport, cette technique est potentiellement intéressante pour les enfants et les adolescents, dont les organismes en croissance sont particulièrement sensibles aux conséquences à long terme de l’irradiation. Ce qui explique qu’elle est déjà remboursée dans ces cas précis.

Toujours selon le rapport, trois autres études (essais cliniques randomisés) comparant la protonthérapie à la radiothérapie conventionnelle sont cependant encore en cours, mais leurs résultats ne sont pas attendus avant 2027. Par conséquent, les preuves scientifiques ne devraient pas beaucoup évoluer au cours des 10 prochaines années, toujours selon le KCE.

Des critiques que comprennent bien ceux qui se consacrent à la protonthérapie. Et c’est précisément pour cette raison que ces derniers insistent sur l’importance de la recherche dans ce domaine. Car c’est à travers elle qu’on pourra juger de l’efficacité réelle de cette thérapie.

La recherche est en ce moment axé sur trois axes très prometteurs, nous dit Edmond Sterpin, professeur au pôle d’imagerie moléculaire, radiothérapie et oncologie de l’UCLouvain et professeur à la KU Leuven. « Le premier est de déterminer au mieux les candidats potentiels pour une protonthérapie grâce, notamment, à l’intelligence artificielle et une imagerie de plus en plus précise. Celle-ci, en analysant les images, permettra de cibler en amont quel patient répondra le mieux à ce traitement. Cela permettra également de préparer directement le plan de traitement adéquat et ainsi gagner du temps. Un autre axe de recherche est ce qu’on appelle la flash thérapie à très haut débit de dose. Soit un traitement de quelques fractions de seconde qui par sa célérité épargneraient les tissus sains. Enfin, un dernier axe de recherches est de rendre la protonthérapie encore plus précise en diminuant l’incertitude résiduelle et la marge de sécurité ».

Un deuxième centre à Charleroi

Lorsqu’il y a quelques années on a annoncé la construction de deux centres de protonthérapie en Belgique, certaines voix se sont levées pour dénoncer l’absurdité de la chose dans un pays qui ne compte que 11 millions d’habitants et où, de facto, le nombre de gens pouvant bénéficier d’une telle thérapieserait très limité. Soit, rappelons-le, en l’état, à maximum 200 patients par an. A l’heure où le premier de ces centres ouvre ses portes, la question semble pourtant soulever moins de remous. Le projet basé à Charleroi, et donc situé à 70kms du premier centre, verra bel et bien le jour. Un budget de 48 millions lui a été alloué et les permis de construire ont été officiellement délivrés la semaine dernière. L’ouverture du centre ne devrait cependant pas être effective avant quelques années, car il faut déjà deux ans pour construire les machines et presque autant pour construire les bâtiments qui vont les accueillir.

Si le premier centre, celui de Louvain est viable avec 200 patients par an, un second est par contre un pari sur l’avenir, nous dit Jean-Christophe Renaud, prorecteur à la recherche de l’UCLouvain. « C’est un choix audacieux de la Wallonie. Ce centre est une bonne chose, car c’est en faisant des études cliniques que l’on prouvera, ou non, l’utilité d’une plus large utilisation de la protonthérapie. Pour l’instant, on ne le sait pas avec certitude : il faut essayer. C’est un pari sur l’avenir et c’est lui qui nous dira si c’est un très bon investissement ou non. Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour le dire. C’est pourquoi, il n’est pas plus mal que l’ouverture des deux centres ne soit pas simultanée, cela permettra au second de bénéficier de l’expérience du premier. » D’autant plus que les deux centres ne sont plus en concurrence à l’heure d’écrire ces lignes. « La relation est aujourd’hui apaisée et il existe une collaboration au niveau de la recherche », nous précise encore Jean-Christophe Renauld.

Les traitements fournis au PARTICLE ne sont pas uniquement réservés aux patients de L’UZ Leuven, la KU Leuven, les Cliniques universitaires Saint-Luc et l’UCLouvain. Collaborent aussi l’UZ Gent, le CHU-UCL-Namur, l’UZ Antwerpen et l’UZ Brussel. Et grâce à l’interaction avec d’autres hôpitaux non universitaires en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, c’est avec 80 % de tous les services de radiothérapie du pays que PARTICLE peut collaborer. Bien que le patient se déplace à Louvain pour son traitement, son médecin personnel reste étroitement impliqué.

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