Jean Hindriks

La pénurie des enseignants: un problème de longue date (carte blanche)

Jean Hindriks Docteur en économie (UCL et Itinera)

Notre enseignement obligatoire est face à une pénurie des enseignants. Ce problème n’est pas nouveau.

La lutte contre la pénurie faisait déjà l’objet d’une table ronde de l’enseignement francophone il y a une vingtaine d’années avec en synthèse le rapport Demotte & Hazette du 20 Aout 2002. Récemment dans une interview, la ministre de l’enseignement obligatoire francophone, Caroline Désir, déclarait « la pénurie des enseignants est une de mes priorités. On va améliorer les conditions de travail des enseignants débutants » (La Libre 24/06/2021).

Cette pénurie est bien visible sur le terrain. Chaque année les directeurs d’établissements scolaires peinent à recruter des enseignants avec les niveaux « requis ou suffisants ». Depuis quelques années, le problème est devenu si intense que les écoles ont été autorisées, à titre exceptionnel, de recruter du personnel sans les titres requis pour faire face aux absences.

Un décret anti-pénurie

Pour remédier à ce problème, le Parlement de Wallonie-Bruxelles a adopté un « décret anti-pénurie ». Le texte prévoit deux mesures phares. Primo, les enseignants pourront faire des heures supplémentaires dans leur établissement ou un autre. Secundo, dans une perspective d’ouverture des recrutements, les chefs d’établissement pourront engager des enseignants non diplômés avec une expérience acquise dans le privé, pour l’enseignement donné (une option en fait déjà disponible depuis longtemps via le service des désignations).[1] Ils pourront faire appel à des retraités ou préretraités. Sur papier ces mesures semblent pertinentes. Qu’en est-il dans la réalité ?

Les heures supplémentaires

Concernant les heures supplémentaires, le décret anti-pénurie du 17/07/2020 a bien élargi le champ d’application des périodes additionnelles en accordant une allocation pour surcroît de travail. Mais cette option n’est accessible qu’aux enseignants nommés à titre définitif. Pourquoi ne pas l’avoir rendue accessible à l’ensemble du personnel enseignant et notamment les plus jeunes ? [2]En outre, ces heures supplémentaires sont très limitées. Dans le fondamental, la limite est de 2h par semaine (sur un horaire complet de 22 périodes de 50 minutes par semaine). Mais le plus surprenant est la définition des heures supplémentaires. On s’attendrait à ce que le personnel « en congé » ne soit pas concerné. Et pourtant le décret stipule explicitement à l’art 119 plus de 13 types de congés qui « ne sont pas couvert par la notion de « congé ». Il est donc possible pour ces enseignants en congé de prester des heures supplémentaires ![3]

Retour des pré-retraités

Concernant le retour en service des retraités ou préretraités, la ministre Caroline Désir a révélé en Commission du Parlement que seules 13 personnes s’étaient inscrites dans une réversibilité de leur pré-retraite (DPPR disponibilité précédant la pension de retraite), pour un total de 2,23 équivalents temps plein (ETP) seulement. Cela n’est pas très surprenant quand on sait que la toute grande majorité des enseignants choisissent une DPPR irréversible. Cette « disponibilité » à partir de 58 ans est considérée comme de l’activité de service et n’a pas d’impact sur la pension qui est calculée sur base du dernier traitement avant mise en disponibilité.[4] Cette disponibilité est financée par la Fédération Wallonie Bruxelles jusqu’à l’âge de départ à la pension anticipée (63 ans en 2018). Cette mesure de fin de carrière concerne près de 7% des effectifs total dans l’enseignement (7.021 ETP sur un total de 100.207 ETP dans l’enseignement obligatoire francophone). Les conditions financières sont avantageuses et cela n’encourage donc pas le retour au service.

Travail après 65 ans

Dans cette même logique de réversibilité, on a aussi autorisé les enseignants de plus de 65 ans, voire de plus de 67 ans, de continuer à travailler plutôt que de prendre leur retraite. Mais ici aussi, l’initiative n’a pas rencontré le succès escompté. Selon la ministre, les plus de 65 ans encore actifs ne représentent que 53 ETP, et les plus de 67 ans 4,6 ETP. L’explication à ce faible succès est liée à l’âge. En effet la condition de 65 ans est beaucoup trop pénalisante. Il faut savoir que selon les chiffres du service fédéral des pensions, plus de 90 % des enseignants décrochent avant 65 ans (contre 60% des salariés et 40% des indépendants).

Recrutement dans le privé

Enfin pour ce qui concerne la perspective de l’ouverture des recrutements au privé, la réforme des titres et fonctions dans le décret anti-pénurie a pour l’essentiel modifier la condition du titre requis en une clause plus souple de « titre requis ou suffisant », mais sans vraiment régler la question de l’ancienneté zéro, et en maintenant une exigence à prester au moins 4 années consécutives au sein d’un même pouvoir organisateur pour prétendre à un engagement à titre définitif. Dans la pratique, faute de garantie, peu de personnes du privé ont concrétisé leur souhait initial de se réorienter vers l’enseignement. Et ceux qui le font perçoivent un salaire réduit de moitié et retournent dès que possible dans le privé.

Paradoxe belge

Tout cela nous amène à ce paradoxe belge. Nous avons une pénurie dans notre enseignement alors que nous y consacrons énormément de ressources. La Belgique dépense plus que ses voisins pour son enseignement : 5,5% de son PIB contre 4,5% du PIB en moyenne dans l’OCDE. Notre pacte scolaire organise une multiplicité de réseaux avec des concurrences malsaines et une surenchère de formations avec des filières désertes. Nous dépensons par élève dans l’enseignement obligatoire 11.380 euros contre 8.612 euros en moyenne dans l’OCDE. Les enseignants y sont parmi les mieux payés de l’OCDE et le taux d’encadrement est parmi les plus favorables de l’OCDE avec un ratio moyen de 13 élèves par enseignant. Ce chiffre concerne tout le personnel enseignant y compris les détachés, conseillers et personnel en disponibilité ou congé. La taille moyenne des classes est de 21 élèves contre 26 élèves dans l’OCDE. La lutte contre les pénuries ne passe donc pas par un refinancement de l’enseignement mais par une meilleure gestion des ressources. On devrait commencer par cesser de financer des filières sans étudiants dans le seul but du maintien de l’emploi.

Congés, disponibilités ou absences

Il nous faut avant tout remobiliser nos enseignants (et nos élèves) pour augmenter la présence effective de tous les enseignants dans les classes. Un acteur bien informé de l’enseignement m’a confié qu’en septembre si tout le monde était en place dans le fondamental, le personnel serait complet. La pénurie cache donc une autre réalité : l’absentéisme qui est la bête noire des chefs d’établissements scolaires notamment quand il s’agit d’un absentéisme intempestif de courte durée et répétée (car il est dans ce cas impossible de remplacer l’absence). L’absentéisme pour maladie est parfois encouragé par le système. Ainsi des enseignants peuvent accumuler jusqu’à 180 jours de droits à des congés maladie (15 jours par année prestée) et ensuite consommer ce budget en absence maladie avec traitement complet (sans être malade). Il faudrait revoir ce système en veillant à ne pas créer d’effet d’aubaine (consommons vite nos jours avant suppression du système).

Que faire alors ?

Des pistes d’action concrètes anti-pénurie passent par une gestion rigoureuse du personnel dans l’enseignement en donnant notamment plus de pouvoir aux directeurs d’écoles et aux équipes pédagogiques pour éviter le despotisme de certains directeurs. Conférer plus de responsabilité aux écoles au travers du plan de pilotage sans donner plus de pouvoir se traduit immanquablement par plus de démotivation. On pourrait commencer par la possibilité de mettre à l’écart des enseignants en défaut d’activité qui sabotent le travail des équipes pédagogiques et ne respectent pas les valeurs essentielles de l’enseignement. Cette possibilité existe déjà mais il faut la rendre effective. Plus de confiance aux équipes, c’est aussi moins de bureaucratie et moins de paperasserie inutile pour libérer du temps pour l’enseignement, le dialogue et la remédiation. Il faut continuer à simplifier les procédures de recrutements (comme avec le CERBERE) tant pour l’enseignant que les chefs d’établissement. Il faut améliorer la situation des jeunes enseignants comme le souhaite la ministre. Il faut un soutient structurel pour aider écoles à faire face aux problèmes de discipline et de violence (75% des enseignants sont des femmes). Il faut impliquer les parents pour qu’ils se sentent concernés par l’école (inviter des parents à venir en classe). L’école n’est pas un substitut aux parents démissionnaires. On peut encourager la collaboration entre réseaux et les communautés locales. On peut offrir la possibilité d’un mécanisme de congé dans le secteur privé pour exercer une fonction enseignante. On doit améliorer la plateforme de recrutement Primoweb pour mieux permettre aux directeurs d’école de faire face aux pénuries en temps réel avec le profil d’enseignant souhaité et compétent. On peut aussi lancer une campagne nationale de mobilisation générale portée par nos médaillés olympiques pour conscientiser notre jeunesse aux vertus de l’école et du travail comme moyen d’émancipation sociale et aux illusions de l’argent facile véhiculées par les mono-neurones sur les réseaux sociaux. Ce qu’il faut éviter c’est la solution de facilité qui consiste à baisser les conditions d’accès au métier d’enseignant.

[1] Voir art 20 du décret du 22 mars 1969.

[2] Cette mesure des heures supplémentaires se heurte à une volonté syndicale qui vise à répartir le travail sur un maximum de personnes pour acquérir des jours de prestation ouvrant un droit à la nomination.

[3] Dans l’enseignement la notion de congé signifie aussi être en congé de sa fonction de nomination tout en étant actif dans une autre fonction.

[4] Pour rappel cette mesure DPPR a été offerte en compensation de la suppression de 3000 postes enseignants dans les années 90 avec un accès à partir de 55 ans.

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