La pension complémentaire à hauteur de 3% du brut: ce qu’en pensent les experts

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Probables ? Réalisables ? Souhaitables ? Six experts ont passé au crible, pour Le Vif, les différentes propositions prévues par le projet de réforme de Karine Lalieux (PS), ministre des Pensions. Dont celle portant sur la pension complémentaire à hauteur de 3% du brut. Une bonne idée, selon les spécialistes.

La réforme des pensions, une réforme à prendre, à moduler ou à jeter ? Quatrième mesure de la réforme décodée par nos six experts: généraliser la pension complémentaire à hauteur de 3 % du brut. Découvrez quatre autres mesures décodées en fin de texte.

La situation actuelle

L’employeur peut constituer une pension complémentaire pour le salarié, les indépendants peuvent se la constituer eux-mêmes, les fonctionnaires n’y ont pas droit.

Quelle probabilité?

  • FORTE

Florent Hendrickx: « C’est une mesure libérale portée par une socialiste. Politiquement, elle ne peut échouer. »

Marie-Noëlle Vanderhoven: « Très probable, mais pas à court terme. »

Selena Carbonero: « Ça fait partie de l’accord de gouvernement. On verra la forme que ça prendra. »

Pierre Devolder: « Il y aura peut-être un délai mais on devrait y parvenir tôt ou tard. »

Une bonne idée?

  • OUI

Florent Hendrickx: « La meilleure du lot, et la seule qui essaie vraiment d’apporter une réponse aux grands enjeux structurels. Le deuxième pilier, bien utilisé, c’est une arme redoutable pour lutter contre la précarité, les inégalités et pour la pérennité du système. Aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède ou en Islande, le premier pilier (répartition) y est plutôt perçu comme un minimum universel, complémenté par un deuxième pilier (capitalisation). Aux Pays-Bas, il s’agit d’une pension légale fixe complétée par des fonds de pension privés. Au Danemark, c’est un premier pilier dégressif, complété par les capitaux d’un fonds de pension public. Il faut rendre obligatoire le recours au deuxième pilier (à hauteur de 3% ou plus), l’étendre à toute la fonction publique, améliorer la portabilité d’un employeur à l’autre et permettre au travailleur de contribuer directement dans le plan et ainsi opérer une fusion avec le troisième pilier. Il n’aurait plus qu’un seul et unique plan de pension. »

Marie-Noëlle Vanderhoven: « C’est important de limiter les risques. Il faut garder une bonne combinaison entre la répartition (très sensible à l’évolution démographique) et la capitalisation (peu sensible à l’évolution démographique mais sensible au marché). Mais ça suppose aussi de renoncer à des augmentations de salaire immédiates. Il faudra y arriver progressivement, en utilisant la marge salariale et éventuellement avec un mixte de cotisations personnelles et patronales. Il faudra rassurer les employeurs, car malgré les taux d’intérêt bas, ils sont tenus de garantir un rendement de 1,75%, et les salariés, sur le fait que la fiscalité restera stable d’ici à ce qu’ils touchent leur pension complémentaire. Mais 3% ne doit pas devenir la norme: on doit pouvoir constituer davantage pour tenir compte du faible taux de remplacement de la pension légale pour les plus hauts salaires, qui cotisent sur un revenu déplafonné mais reçoivent une pension calculée sur une rémunération plafonnée. »

Jean Hindrik: « Trois pour cent, c’est presque un doublement de ce qui existe aujourd’hui. Aux Pays-Bas, c’est à peu près du moitié-moitié, entre pension légale et pension complémentaire, et le taux de pauvreté chez les seniors est le plus faible de toute l’Europe: la pension légale, assez basse, est identique pour tous, indépendamment de vos contributions, et basée sur vos années de résidence dans le pays et complétée par la pension complémentaire, qui est bien sécurisée et robuste (elle a résisté au crash financier de 2008). La solution qui apparaît la plus efficace, ce sont des mécanismes de participation automatique: quand vous démarrez chez un employeur, vous êtes d’office affilié à un plan de pension complémentaire avec un taux de 3%. Vous pouvez refuser, ou demander 1% au lieu des 3%, mais il faut faire la démarche. Ce qu’en général , on ne fait pas. En Angleterre, ils ont instauré ce système: il a fait passer de 20% à 85% la participation à la pension complémentaire, avec des taux de cotisation bien plus élevés que 3% (on est à 6%). Chez nous, on est autour de 70 à 75% mais beaucoup d’affiliés ont de toutes petites cotisations. »

Pierre Devolder: « La meilleure façon de permettre à chacun d’avoir un pilier en capitalisation, complémentaire à la répartition, c’est de l’organiser de manière collective à l’échelon de l’entreprise et d’en fixer un taux minimal, sinon, comme c’est le cas aujourd’hui avec 1% ou 0,5%, vous épargnez peu, donc vous aurez peu de revenus complémentaires à votre pension légale ; 6 ou 7% seraient l’idéal, mais on ne peut pas demander ça aux entreprises. »

  • OUI MAIS

Sylvie Lausberg: « Ce n’est pas une mesure particulièrement genrée mais si ça bénéficie à tous, ça bénéficiera aussi aux femmes. Reste qu’elles doivent avoir une pension légale digne. Une femme restée au foyer pour les enfants, qui se met à travailler quand ils sont grands et puis qui est quittée par son mari se refait financièrement en moyenne dix ans après la séparation ; l’homme, après trois ans. Elle se retrouve donc avec une pension ridicule. L’ effort doit être collectif, pas uniquement pour les pensions: les employeurs ont un rôle à jouer pour réduire le gap salarial. »

  • NON

Selena Carbonero: « Renforcer les pensions complémentaires se fait chaque fois au détriment des pensions légales. C’est une forme de privatisation de la sécu, ou d’un de ses pans. Et ça repose la question du blocage des salaires, qui pousse le travailleur à se dire « j’essaie de récupérer quelque chose au niveau d’un second pilier de pension ». Si on augmente les salaires bruts, on augmente les cotisations sociales qui financent principalement la sécurité sociale, donc les pensions. »

Quels bénéficiaires?

Pierre Devolder: « Tous les salariés puisque ce serait inclus dans le contrat de travail. »

Florent Hendrickx: « Les petits travailleurs qui n’ ont actuellement pas d’assurance groupe. A terme, tout le monde: c’est un pas vers le financement alternatif, incontournable si on veut assurer la pérennité du système. »

Marie-Noëlle Vanderhoven: « Les travailleurs à long terme puisque ça améliorera leur niveau de vie à la retraite en leur permettant d’avoir une pension plus en lien avec leur (dernier) salaire. »

Selena Carbonero: « Pour les salariés qui sont dans un plan de pension sectoriel, c’est un petit plus mais ça ne supprimera pas les inégalités au sein du régime des pensions complémentaires: pour les 55-64 ans, la moyenne globale de réserve s’élève à 57 582 euros ; pour les hommes, elle y est de 72 800 ; pour les femmes, 34 870… Pour un dirigeant d’entreprise, c’est 85 989 euros ; et 2 577 pour un affilié à un plan sectoriel pour salariés… »

Est-ce payable?

  • OUI

Marie-Noëlle Vanderhoven: « Si on y va progressivement, en utilisant une partie de la marge et en révisant la garantie de rendement. »

Pierre Devolder: « Pour les entreprises qui n’incluent pas encore la pension complémentaire dans leur pack salarial, 3% en plus dans la masse salariale, ça coûte. Mais au Royaume-Uni, ça s’est bien passé – par des techniques d’enrôlement, notamment. On peut le faire. »

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