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 » La N-VA propose une vision plus cohérente de la Belgique « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

« Le confédéralisme de la N-VA n’est pas un projet extrémiste, estime Bart Maddens, politologue à la KUL et proche du mouvement flamand. Même s’il reconnaît que ce projet va loin, il estime que Bruxelles reste un lien empêchant tout séparatisme. Et dénonce « les hypocrisies francophones ».

Lors du congrès de son congrès de pré-campagne, du vendredi 31 janvier au dimanche 2 février, la N-VA va voter un texte définissant son confédéralisme. Bart Maddens, politologue de la KUL, dit n’avoir « jamais vu de projet aussi détaillé au sujet de l’avenir de la Belgique ». Et conteste le fait qu’il s’agisse d’un projet extrémiste. Il s’en explique.

La N-VA propose une Belgique à deux avec des Bruxellois forcés à choisir la Flandre ou la Wallonie en ce qui concerne les matières personnalisables comme la culture, l’enseignement ou la sécurité sociale. Est-ce une vision plus cohérente de la Belgique, selon vous?

En tout cas, ce que veut la N-VA est désormais clair. On a souvent dit par le passé qu’elle ne savait pas réellement ce qu’était le confédéralisme, qu’il s’agissait d’un slogan ou encore qu’elle n’avait pas de solution pour Bruxelles. Et c’était effectivement le cas dans le programme de 2010, qui était très flou. Il y a désormais de la clarté.

La N-VA s’inspire du modèle européen, avec un Conseil belge en lieu et place du gouvernement fédéral…

Oui, c’est très clair, je n’ai jamais vu de projet aussi détaillé au sujet de l’avenir de la Belgique. C’est bien plus détaillé, par exemple, que les cinq résolutions qui avaient été adoptées par le parlement flamand en 1999. On peut y être favorable ou non, mais on ne peut pas nier que cela soit précis.

Du côté francophone, on considère cette vision comme très radicale. Et les autres partis flamands n’y sont globalement pas favorables non plus.
En ce qui concerne la radicalité du projet, je serai nuancé. Il y a effectivement une série de propositions qui sont assez radicales parce qu’elles touchent aux racines du problème.

Par exemple?

La suppression la Constitution belge au profit d’un traité constitutionnel entre les entités fédérées, la disparition des élections fédérales, seuls les parlements régionaux étant directement élus, ou encore la scission pure et simple de la sécurité sociale, ce sont effectivement des propositions radicales. Franchement, je ne m’attendais pas à un projet qui approche à ce point un pur modèle confédéral.

Mais d’un autre côté, ce que la N-VA propose n’est pas non plus si révolutionnaire que cela. Cela s’inscrit dans la ligne de la pensée flamande au sujet de la réforme de l’Etat depuis les cinq résolutions du parlement flamand de 1999.

Qui réclamait à l’époque des paquets de compétences homogènes…

Oui, sur base d’une construction reposant pour les matières personnalisables sur deux entités fédérées, avec un statut plus spécifique pour Bruxelles et pour la Communauté germanophone. On laisserait les Bruxellois choisir leur système de soins de santé ou d’allocations familiales. La scission complète de l’Impôt sur les personnes physiques figurait déjà, elle aussi, dans les cinq résolutions du parlement flamand.

Il faut quand même rappeler que ces cinq résolutions n’étaient pas un projet nationaliste flamand, mais bien une initiative des partis traditionnels, à l’époque.

Sous l’impulsion du ministre-président CVP d’alors, Luc Van den Brande….

Mais oui. Ce n’est donc pas si extrémiste que ça. On peut même dire que cela s’inscrit dans la droite ligne de la réforme de l’Etat depuis 1970. La N-VA respecte à la lettre les spécificités entre Régions et Communautés. Bruxelles reste compétent à 100% pour toutes les matières territoriales. Cela signifie aussi que la Région bruxelloise serait renforcée par une telle évolution, avec des compétences supplémentaires, par exemple la responsabilité sur l’impôt des sociétés.

Finalement, on pourrait même dire que la N-VA est moins radicale que les cinq résolutions qui prévoyaient la cogestion de Bruxelles pour tout ce qui dépasse l’aspect urbain de la ville. Toute la politique de la mobilité ou de l’environnement, par exemple, qui a un impact évident sur les autres Régions, reste entre les mains bruxelloises.

La N-VA touche cependant à deux tabous absolus pour les francophones: la création de sous-nationalités à Bruxelles et la scission de la sécurité sociale.

C’est vrai. En ce qui concerne la sécurité sociale, la N-VA va loin puisqu’elle veut régionaliser les soins de santé et les allocations familiales, mais aussi les pensions et le chômage. En ce qui concerne Bruxelles, on a fait une caricature de ce projet en parlant d' »apartheid ». C’est exagéré.

Pourquoi?

Tout d’abord parce que cela s’inscrit dans ce que les autres partis flamands défendent. Durant la négociation de la sixième réforme de l’Etat, le CD&V s’est longtemps accroché à un transfert des allocations familiales vers les Communautés, avec une obligation de choix pour les Bruxelles.

Mais au final, les allocations seront gérées par un organe commun, la Commission communauté commune (Cocom)!

Oui, c’est une lourde concession de la part du CD&V. Ce n’était pas son point de vue initial. Il faut préciser que pour la N-VA, le choix des Bruxellois n’est pas définitif, il peut être modifié dans le temps. Enfin, chaque Bruxellois peut choisir son établissement de soins. Finalement, ce choix bruxellois est purement administratif, comparable au choix de votre mutualité. J’y vois aussi un parallèle avec le pacte d’Egmont qui prévoyait en 1977 un droit d’inscription: les habitants de la périphérie pouvaient choisir de s’inscrire administrativement à Bruxelles. C’était aussi un choix qui aurait eu certaines conséquences fiscales et administratives. Et il s’agissait alors d’une revendication francophone.

Mais cet accord n’a pas été entériné. Et ici, on parle d’un choix qui peut avoir de lourdes implications financières!

Je comprends évidemment que cela soit politiquement sensible pour Bruxelles. Oui, cela induira une forme de concurrence. Ceux qui choisiraient pour la Flandre payeraient peut-être moins d’impôts ou recevraient de meilleurs services, mais en même temps, ils seraient contrôlés plus sévèrement en ce qui concerne leurs allocations de chômage. Il y aura des pour et des contre. En tant que non-Bruxellois, je serais même jaloux parce que je n’aurais pas le choix!

C’est un donc un projet cohérent à vos yeux. Et visionnaire?
Cohérent, oui, mais visionnaire, qu’est-ce que cela signifie? Cela simplifierait surtout le fonctionnement des institutions belges. Il resterait évidemment une série de complexités à Bruxelles.

Et cela impliquerait une coopération au niveau confédéral…

C’est pour cela aussi ce que ce projet n’est pas séparatiste, il reste un lien de collaboration fort entre les deux entités fédérées via Bruxelles.

Mais c’est un grand pas vers le séparatisme, quand même?
Même pas. Dès le moment où il reste un lien bruxellois aussi fort, il serait très difficile de faire un pas vers l’indépendance de la Flandre. Je trouve personnellement que le projet francophone de fédération Wallonie-Bruxelles et la négation des Flamands de Bruxelles via les accords de la Sainte-Emilie est un projet bien plus séparatiste. Si cela devait se réaliser, il serait bien plus aisé de faire le pas vers le séparatisme.

Il y aurait donc à vos yeux une hypocrisie du côté francophone ?
Il y a à mes yeux deux hypocrisies, oui, vues d’un point de vue flamingant. Les francophones disent toujours que Bruxelles doit être une Région à part entière, adulte, avec les mêmes compétences, les mêmes institutions et la même autonomie que les deux autres. Mais quand on parle de financement, ils estiment que Bruxelles est un cas à part en raison de son statut de métropole et de capitale de la Belgique, avec ses problèmes de chômage des jeunes ou de sécurité. Bruxelles aurait donc besoin d’un financement plus important, ce qui est prévu par la sixième réforme de l’Etat.

Mais il y a les navetteurs, un impôt qui est perçu sur le lieu du domicile et non celui du travail… C’est une compensation !

Oui, mais cela démontre que Bruxelles a un statut particulier, qu’elle ne peut pas être placée au même niveau que les deux autres Régions. Soit elle a un statut particulier, soit elle a un financement équivalent aux deux autres Régions : c’est l’un ou l’autre.

La deuxième hypocrisie ?

Les francophones ont toujours dit, au sujet du transfert des allocations familiales ou des soins de santé, que ce ne devait pas être divisé entre Flamands et francophones à Bruxelles, que l’on y mène une seule politique pour tous les Bruxellois, tenu compte des spécificités de la Région. Les Flamands l’ont concédé, mais à peine cela était-il approuvé que Paul Magnette, président du PS, affirmait qu’il faudrait une harmonisation maximale avec la politique menée par la Région wallonne, de façon à avoir une action semblable au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Je peux le comprendre : il y a toujours eu, du côté francophone, une schizophrénie entre Régions et Communauté. Mais ce n’est pas logique. Et cela confronte les Flamands avec les conséquences de la sixième réforme de l’Etat.

Les partis flamands traditionnels disent que ce n’est pas le moment de faire une nouvelle réforme de l’Etat. Quelle est la chance que ce projet se réalise ?

La question sera de savoir si la N-VA deviendra incontournable au parlement flamand, en tenant compte également du score du Vlaams Belang qui est écarté du pouvoir par le cordon sanitaire. La chance ne me paraît pas très grande si l’on regarde les sondages ou les résultats des dernières élections provinciales. La N-VA a réussi un bon score aux provinciales de 2012, 28,5%, mais aux dépens du Vlaams Belang : ensemble, ils ne disposent que de 37% des voix, c’est 10% trop peu pour obtenir une minorité de blocage au parlement flamand.

La N-VA réalise de plus en plus que ce palier sera trop haut. Si elle n’est pas incontournable, la chance sera mince que cela se réalise. Les partis traditionnels estiment que les cinq résolutions du parlement flamand de 1999 sont réalisées, ce qui n’est pas tout à fait le cas, et qu’il s’agit d’un chapitre clos. L’urgence est à l’exécution de la sixième réforme de l’Etat, qui prendra du temps à réaliser, c’est vrai, avec 26 accords de coopérations à conclure et tout le personnel à transférer.

Le nouveau Sénat pourrait préparer le terrain, dit le CD&V…

Ce serait en quelque sorte un enterrement de première classe, un gain de temps.

Une façon de préparer les esprits, aussi ?

Cela signifie que pendant cinq ans, il ne se passerait rien. Cela veut tout dire que le ministre-président flamand Kris Peeters propose de faire cet exercice au Sénat et pas au parlement flamand. Entre 1995 et 1999 il y avait deux débats institutionnels : un au Sénat et un au parlement flamand. Le premier n’a produit qu’une liste anodine de détails, sans aucun impact. Le deuxième a produit les cinq résolutions, qui ont déterminé le débat communautaire pendant quinze années.

Pour la N-VA, il est difficile de faire le choix entre l’urgence socio-économique et le confédéralisme. Dans leurs textes, il y a un lien entre les deux. Mais il faudra choisir !

Il y a eu un changement de stratégie de la N-VA pendant les vacances d’été, amorcé par la sortie du député Siegfried Braecke.

Un ballon d’essai ?

C’était un couac de communication et je ne pense pas que cela était prévu de cette manière. Mais il est apparu ensuite que c’était bien le point de vue de la N-VA. Ce changement de stratégie était nécessaire parce que la N-VA s’est rendu compte qu’elle risquait de s’enliser dans des contradictions pendant la campagne: elle veut un big-bang institutionnel, mais souhaite former un gouvernement rapidement, Bart De Wever affirmant qu’il ne voulait plus passer 500 jours à négocier dans un château. Cela rompt avec la doctrine Van Rompuy selon laquelle, pour pouvoir réaliser une réforme de l’Etat, il faut coupler la discussion à la négociation gouvernementale. En outre, pour de telles réformes, il faut une majorité des deux tiers et donc, mathématiquement, la présence du PS alors que la N-VA affirme qu’elle souhaite former un gouvernement sans lui. Une troisième contradiction : la N-VA toujours dit qu’elle n’était pas un parti révolutionnaire, qu’elle choisissait la légalité, mais je m’attends à ce que la liste des articles soumis à révision soit trop limitée pour mener de telles réformes. Ce ne sera donc pas constitutionnellement réalisable. Pour y arriver, elle devrait opter pour une voie anticonstitutionnelle.

C’est pour cela qu’elle privilégie désormais le volet socio-économique et qu’elle se contenterait d’une déclaration vague en faveur du confédéralisme. C’est un changement de cap important.

Mais le confédéralisme reste pourtant le thème principal de ce congrès, non?

Je n’en suis pas si sûr. La N-VA a fait connaître son projet début novembre. Il y a déjà eu des débats à ce sujet. C’est en réalité une vieille information. Le texte sera sans doute adopté au congrès. Mais la vraie nouvelle, ce sera vraisemblablement que Bart De Wever est candidat Premier ministre en tant que tête de liste à la Chambre, avec un certain nombre de points de rupture socio-économiques en guise de priorités.

Il est par ailleurs significatif que lors de la présentation du projet, Bart De Wever ait dit qu’il s’agissait de l’idéal vers lequel il veut aller. Cela est en contradiction avec le premier point du statut de la N-VA qui prône l’indépendance de la Flandre. La Belgique restera l’entité membre de l’Union européenne.

Il y a une évolution réelle de l’ADN de ce parti. Même s’il est difficile de savoir, en cas de vote lors de l’assemblée générale du parti pour une éventuelle participation au gouvernement fédéral, laquelle des deux tendances l’emportera, entre ceux qui font du socio-économique leur priorité et ceux qui défendent toujours le confédéralisme. Je peux supposer qu’il y aurait une majorité des deux tiers pour un programme de droite incluant une réforme des pensions, la limitation des allocations de chômage dans le temps, la suppression de l’index… Pour cela, encore faudrait-il trouver une majorité. L’Open VLD et le MR pourraient s’y retrouver. Mais je doute que le CD&V suive car l’ACW y est encore forte, on le sous-estime. Le CD&V s’affiche aujourd’hui un profil très flamand et très à droite pour contre la N-VA sur le plan électoral, mais ce sera différent après le scrutin avec des personnalités comme Jo Vandeurzen ou Hilde Crevits.

Le parti qui risquerait de poser un vrai problème pour la constitution d’une majorité de droite au fédéral, n’est-ce pas le CDH?

Ce serait la mort du parti, en effet. Même sous la présidence de Benoît Lutgen, cela reste un parti plutôt de centre-gauche. Du côté francophone, seul le MR pourrait suivre, mais il ne dispose que de quinze sièges à la Chambre. Même avec une victoire spectaculaire, il ne pourrait jamais atteindre à lui seul la majorité pour les francophones et ce serait un suicide électoral pour lui d’y aller seul. Dans un tel scénario, on aurait des majorités francophones de gauche en Wallonie face à un gouvernement fédéral de droite et cela mènerait à un blocage permanent. C’est une construction impossible.

C’est peut-être précisément l’objectif de la N-VA de démontrer que la Belgique ne fonctionne plus, que le confédéralisme est nécessaire. Mais le CD&V et l’Open VLD en sont conscients et ne le suivront jamais dans une telle stratégie.

A mes yeux, si la N-VA n’est pas incontournable au parlement flamand, le scénario le plus plausible reste un gouvernement anti-N-VA dans la continuité de l’actuel, qui veillera à la stabilité pendant cinq ans. Les partis traditionnels flamands espèrent toujours que la N-VA ne sera qu’un phénomène temporaire. Cinq ans plus tard, le momentum sera passé pour Bart De Wever.. On voit déjà qu’il y a un certain nombre de problèmes dans les communes flamandes où il est au pouvoir. D’où la perception chez les parti traditionnels que la N-VA est un géant aux pieds fragiles et qu’elle pourrait exploser d’ici cinq ans.

En 2014, ce sera donc un choix très difficile pour De Wever lui-même…

On peut aussi considérer au contraire qu’il s’agira d’un choix facile. Il serait candidat Premier ministre, mais la chance est infime qu’il le devienne, cela signifie qu’il restera bourgmestre d’Anvers.

Liesbeth Homans pourrait-elle devenir ministre-présidente flamande?

Je ne sais pas s’ils auront un candidat. Geert Bourgeois a déjà dit qu’il était disponible, mais les réactions ont été très négatives dans la presse. La N-VA pourrait donc laisser la ministre-présidence à Kris Peeters, elle est étonnamment aimable à son égard ces derniers temps.

La N-VA veut former rapidement un gouvernement flamand, de préférence avec seulement le CD&V. Mathématiquement, la chance est relativement grande que ce soit possible. De cette manière, elle utiliserait cela pour forcer des réformes au fédéral. Car toutes les réformes prônées par la N-VA restent des compétences du gouvernement fédéral, ce qui prouve que le centre de gravité de l’Etat ne s’est pas déplacé, contrairement à ce que l’on prétend. Mais ce ne sera pas simple non plus, car la N-VA devra prouver au CD&V qu’elle ne bloquerait pas l’application de la sixième réforme de l’Etat. Or, je la vois mal approuver un accord de coopération créant la communauté métropolitaine bruxelloise. Pour participer au pouvoir, à tous les niveaux, la N-VA devra faire d’énormes concessions, ce qui serait du suicide électoral.

2014 sera donc compliqué pour le parti dans tous les cas de figure?

C’est clairement le cas. Le risque est grand que le parti se retrouve dans l’opposition à tous les niveaux si elle n’est pas incontournable.

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