Carte blanche

La mort de George Floyd ne doit pas rester une tendance

« Pour la première fois de ma vie en 2020, je marche dans les rues de Bruxelles et la pensée que je puisse être abattue du fait de ma couleur de peau m’effleure de temps à autre », écrit Carmen Manga, Camerounaise d’origine.

Le 25 mai 2020, à Minneapolis, George Floyd décède, asphyxié par la pression du genou du policier Derek Chauvin sur son cou. George a quarante-six ans, mais il est surtout noir et vit aux États-Unis, deux circonstances aggravantes, semble-t-il, en 2020. La mort de cet Afro-Américain, telle une allumette, embrase les États-Unis puis le monde entier. Le racisme anti-noir inhérent à ce continent n’a pas changé de cap, il est juste désormais filmé et diffusé via le tribunal du peuple : les réseaux sociaux. Les yeux embués, la colère froide, les trémolos dans la voix, l’inquiétude dévorante, je scrute l’actualité. C’est un des miens que l’on vient de sacrifier sur l’autel de la détestation. Nous partageons la même couleur de peau, nous descendons d’esclaves, nous sommes tolérés sur cette terre, mais pas acceptés.

La toile en ébullition, crée des hashtags, des slogans, des chaînes à partager. Chacun y va de sa photo larmoyante et humaniste pour dénoncer le racisme, les personnalités publiques dénoncent le carcan qui sévit, les références historiques sont extirpées de livres poussiéreux. Tout le monde est devenu Noir et veut se battre pour que le racisme envers ce peuple soit combattu jusque dans les tréfonds de notre âme. Manifestations sur manifestations, on dénonce ce qu’on a toujours montré du doigt avec ostentation. Mais pour George Flyod on s’époumone plus fort, on pleure plus bruyamment, on lève le poing plus haut. Assez c’est assez !

Les Européens, médusés et crédules, regardent l’Amérique faire face une nouvelle fois, à ses démons. Est-ce la distance entre les deux continents qui leur fait penser que chez eux en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Autriche, le sort des Noirs suit un cheminement différent ? Avant d’opérer le procès d’une Amérique clopinant devant leur racisme, ont-ils accompli leur introspection ? Rédiger ou liker un post sur Facebook pour condamner la mort de George Floyd suffit-il à oublier vos glissements et à laisser votre coeur immaculé de toute injustice ? Je réponds pour vous : non.

Belge, d’origine camerounaise, je suis noire, je vis en Belgique depuis toujours et je sais dans mon for intérieur que ma négritude dérange une frange de la population. L’homicide de George Floyd constitue la forme la plus infâme et funeste de discrimination. Mais au quotidien, en Europe, les Noirs, sont soumis à la xénophobie. C’est un racisme qui permet que la police fasse usage du plaquage au sol lors d’une arrestation, sans être inquiétée même si cela engendre la mort. C’est un racisme démocratisé et légitimisé qui émane des urnes et facilite l’accès au gouvernement, des partis d’extrême droite. C’est un racisme qui se love dans les commentaires post-colonialistes, condescendants, vénéneux des médias qui se complaisent encore à 2020 à véhiculer des images lancinantes d’un continent poubelle. C’est un racisme où l’arrivée à des fonctions dirigeantes pour des Noirs constitue un écueil et quand c’est le cas suscite un étonnement. C’est un racisme où la médiasphère ne reflète pas la société dans laquelle on vit et où les personnes de couleur manquent à l’écran. C’est un racisme où on peut dire sur une chaîne de grande écoute que les tests pour vaccins COVID19 peuvent dans un premier temps être expérimentés sur des prostituées en Afrique. C’est un racisme où on me demande si je parle africain, où on croit que l’Afrique est un pays et non un continent, où la fonctionnalité d’Internet au Cameroun surprend. Chacun des actes que je viens de citer blesse mon coeur.

Pour la première fois de ma vie en 2020, je marche dans les rues de Bruxelles et la pensée que je puisse être abattue du fait de ma couleur de peau m’effleure de temps à autre. Imaginer alors aux États-Unis pour ces hommes et femmes noirs qui quittent leur domicile, mais ne savent jamais s’ils seront de retour. Personne ne mérite ce traitement. Si les balles tuent en Amérique, n’oublions pas qu’elles exécutent aussi en Europe. Mais peut-être préférons-nous mettre un voile dessus. Les balles et les mots détruisent des vies en 2020. Comment agissons-nous dans notre quotidien pour empêcher cela et nous montrer solidaires avec les Noirs dans les difficultés qu’ils traversent. Nous devons nous poser cette question en usant d’honnêteté. C’est la seule façon d’avancer.

Le mardi 2 juin, sur les réseaux sociaux, c’était le « black out Tuesday ». La règle est de poster un écran opaque en l’affublant de #blacklivesmatter ou #icantbreathe. L’initiative, bien que ponctuelle est louable. Mais comment agissons-nous demain ? On reprend le cours du déconfinement en se préoccupant juste de notre prochaine destination de vacances et de pouvoir aller au restaurant ? La douleur et la colère ressenties depuis huit jours méritent plus que des posts cosmétiques pour ménager notre gêne. Elles doivent se traduire en actes en commençant par le respect des Noirs au quotidien. Un Noir équivaut à un Blanc. La mort de George Flyod ne doit pas rester une tendance de l’été 2020.

Carmen Manga, créatrice de contenus, 2/06/2020

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