« C’est ce que fait la haine. Elle brûle tout sauf elle-même, alors quel que soit votre motif, votre visage ressemble à celui de votre ennemi. » Toni Morrison. Aujourd’hui, l’inclinaison est à l’excommunication et à la prohibition de toute réflexion sensée.
Autant commencer par cette évidence qu’il faut rappeler à chaque pas, le racisme n’a pas sa place dans notre humanité ici comme ailleurs. Il n’y a absolument aucune circonstance atténuante à se désintéresser de cette abjection qui réduit les hommes à des animaux de somme. Il faut également rappeler que la traite humaine a de tout temps existé sous toutes les latitudes. Si l’on parle le plus souvent du commerce triangulaire qui a consisté à échanger des « marchandises » négrières entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, il ne faut pas pour autant omettre que les arabo-musulmans ont été des champions dans ce domaine. Les émirs et les sultans d’antan achetaient des cargaisons entières de jeunes éphèbes noirs pour en faire des eunuques gardiens de leurs harems. Cela s’est poursuivi jusqu’au début du XXème siècle avec les empereurs ottomans à Topkapi et ailleurs.
Aujourd’hui même, en 2020, il y a une résurgence du commerce des esclaves en Libye, à quelques encablures à peine des côtes européennes. La Mauritanie et l’Arabie saoudite logent toujours des Ku Klux Klan bien à elles. L’esclavage est toujours de mise à Nouakchott. Quant à Riad, il suffit de se renseigner sur les jeunes filles asiatiques que les potentats engagent comme petites bonnes pour ne plus les relâcher. Au moyen de l’extorsion de leurs passeports et autres délicatesses.
La mort horrible de George Floyd a été l’occasion pour beaucoup, en Europe en tous les cas, en France et en Belgique essentiellement, de transformer un combat respectable en une dépravation inimaginable. Voilà donc que, place de la République à Paris ou dans le quartier de Matonge à Bruxelles, des voyous revanchards, nourris au biberon de la haine, profitant allégrement de la tolérance que ces deux pays leur offrent, voilà-t-il pas qu’ils s’en prennent au passé de ceux qui leur ont permis de s’affranchir de leurs dictatures.
Disons-le tout net, la nouvelle inquisition n’aura pas de prise. En France et en Belgique, il n’existe pas de racisme systémique. Ici, on n’exécute pas les apostats, on ne crucifie pas les hétérodoxes, on ne lapide pas la femme infidèle, on ne crache pas sur les hérésiarques, de même qu’on ne jette pas à terre les statues des monarques ou des maréchaux d’empire. Le passé est le passé et il n’est pas question de déboulonner les bronzes ou les marbres en place. Il faut toujours contextualiser les évènements passés.
L’universalisme est un paradigme tyrannique. Il requiert une exigence de tous les instants. L’universalisme nous oblige à nous mettre dans la peau du noir, de la femme, de l’homosexuel et nous projette dans le passé pour approcher ces acteurs qui ont appartenu à leurs temps. On peut porter un jugement sévère sur ces anciens dirigeants et mettre en avant les atrocités commises en Algérie ou au Congo mais mettre en place des bûchers pour brûler ceux qui ne correspondent pas à notre vision d’aujourd’hui, jamais, au grand jamais !
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L’antiracisme est un combat qui doit être une constante dans nos sociétés européennes comme dans d’autres parties du globe. Sauf que cet antiracisme est en train de se mordre la queue pour se transformer en racisme. Il suffit de voir ces foules en colère, avec pour certains la bave aux lèvres, les babines retroussées, les pavés à la main, pour se rendre compte que nous avons affaire des gens qui sont venus pour faire un autodafé et insulter le blanc coupable d’avoir eu, il y a plus de cent ans, des gestes déplacés ou des pensées honteuses et d’insister, comme le loup de La Fontaine qui désignait l’agneau : « Si n’est toi, c’est donc ton frère« . Le totalitarisme est de nouveau parmi nous. Un stalinisme du pauvre hère qui plie les genoux et qui courbe l’échine, celui d’un communautarisme qui se fabrique une victimisation indigéniste. La lutte des races a mis de côté la lutte des classes. Car voilà des jeunes et des moins jeunes qui ont failli boire la tasse au milieu de la Méditerranée, qui ont fui Bouteflika, Kadhafi et les oppresseurs et les tyrans de Kinshasa et de Niamey, pour venir cracher une haine incompréhensible à Paris ou à Bruxelles.
Les meutes sont à l’oeuvre, et les meutes ne se mettent en mouvement que pourvues d’une tête qui indique à la multitude ce qui doit être déboulonné et ce qui doit être fracassé. La nouvelle inquisition s’est mise en branle. La supposée victime s’est dotée d’une morale qui lui permet de se venger lâchement à grand tapage de pavages et d’insultes. Les anomalies tapageuses du passé ne doivent pas être remplacées par une destruction de la mémoire commune. Renverser une voiture ou pulvériser une vitrine ne fera pas de Bugeaud ou de Léopold II des babas-cool d’aujourd’hui. Ils ont été ce que l’histoire a retenu d’eux. Il convient d’étudier leur époque et de démonter les auréoles que d’autres leur ont tressées, c’est comme cela que certains peuvent grandir aux yeux des autres.
L’histoire n’est pas une science exacte. Et la plupart du temps, elle n’est écrite que par les vainqueurs. Il convient avant tout de mettre toutes les cartes à plat et de chercher où se trouvent les failles, pas à prendre un briquet et de l’essence pour y mettre le feu. Les aigreurs et les fanatismes ne sont finalement là que pour désigner les erreurs de l’Occident, pour traduire l’Ouest en jugement. Comme si en deçà de la Méditerranée, le racisme et l’esclavage n’existaient pas. Ces jeunes qui hurlent leur aigreur et leur inimitié, ici, à Paris ou à Bruxelles, n’ont jamais eu la moindre occasion de s’opposer au Caire ou à Conakry aux tyrans qui ont fait de leurs pays d’origine des propriétés privées.
Je terminerai ma chronique par cette citation de Pascal Bruckner tirée d’Un racisme imaginaire (2017) : « Il n’y a plus de races sinon celle, proliférante, des racistes qui pullulent comme vermine à rééduquer. »
Kamel Bencheikh, écrivain