Jan Jambon © Belga

La Flandre est à la traîne dans tous les domaines

Comme on peut le lire dans son accord de coalition, l’ambition affichée de Jambon est que la Flandre devienne une référence incontestée dans l’Europe des années 2020. L’organisation patronale flamande Voka s’est demandé à quel point cette ambition était réaliste.

Pour ce faire elle a pointé certains paramètres, tels que la mobilité, la formation ou encore le taux d’emploi et les a confrontés aux objectifs affichés. Nos confrères de Knack y ont ajouté la pauvreté et la politique de santé. Ils ont également comparé les performances flamandes dans ces domaines avec les moyennes des pays que le gouvernement Jambon cite en exemple : Pays-Bas, Suisse, Danemark, Norvège, Finlande, Norvège et Suède. Et nous nous sommes également penchés sur le champion d’Europe de chaque catégorie.

1. Mobilité

Dirk Lauwers (Université de Gand et d’Anvers) : « Le gouvernement flamand veut investir 300 millions d’euros dans les infrastructures cyclables. Il est également très ambitieux en ce qui concerne la transition vers des moyens de transport respectueux de l’environnement, ce qu’on appelle le transfert modal : elle veut atteindre 40% de mobilité durable, c’est-à-dire vélo, transports publics, etc. Dans un même temps, elle n’alloue que 10 millions d’euros supplémentaires à De Lijn, ce qui est probablement inférieur à l’inflation. Ces 40 % sont donc peut-être un peu trop ambitieux.

Celui qui souhaite se comparer à la Scandinavie ou aux Pays-Bas, doit prendre en compte la situation dans son ensemble. Grâce à l’augmentation de la capacité routière, les Pays-Bas ont pu réduire de moitié la congestion de leur réseau entre 2008 et 2013. Sauf qu’aujourd’hui, ils sont revenus à leur niveau record de 2008. La loi sur les embouteillages est d’ailleurs intraitable: une voie supplémentaire sera fermée d’ici 5 à 10 ans. La Scandinavie elle combine une augmentation de la capacité routière à une bonne gestion des transports publics et des incitants financiers: une taxe embouteillage, une forme simplifiée de tarification routière (en Norvège et en Suède), des frais d’immatriculation pour les véhicules qui grimpent jusqu’à 85 % du prix d’achat (au Danemark), une carte de stationnement pour les riverains de 100 euros par mois à Stockholm. Et il ne faut pas oublier la sécurité routière. Au moins un quart des embouteillages à Bruxelles et à Anvers sont dus à des accidents.

Le transfert modal nécessitera donc des investissements beaucoup plus importants que ceux prévus. On devrait également mettre fin à certains tabous: la taxation routière et la réduction de la vitesse sur les rings autour de Bruxelles et d’Anvers sont des musts.

2. Plus de gens au travail

Stijn Baert (Université de Gand) : « Un taux d’emploi de 80% en Flandre est très ambitieux. Sous le gouvernement Bourgeois, il a augmenté de 2 à 2,5 %, tandis que le gouvernement Jambon veut lui l’augmenter de 4 %, et ce dans un climat économique moins favorable.

Le fil rouge de l’accord de coalition est que le travail devrait être plus rémunérateur, ce qui est une bonne chose. Des mesures telles que la prime à l’emploi, les investissements dans la garde d’enfants et le VDAB en tant que directeur central du marché du travail sont importantes. Mais cela suffira-t-il ? Il n’est pas certain que suffisamment de fonds seront mis à disposition pour y parvenir. Le VDAB devra aider non seulement les chômeurs qui veulent travailler, mais, à partir de maintenant, également les chômeurs qui ne cherchent pas de travail, les inactifs. Le VDAB en aura-t-il les moyens ?

Par ailleurs, de nombreuses questions qui ont une incidence sur le marché du travail, comme la fiscalité du travail, sont encore réglementées au niveau fédéral. Ce qui va aussi jouer des tours au gouvernement Jambon. Une régionalisation plus poussée des compétences est donc nécessaire pour que la Flandre atteigne le taux d’emploi de 80% ».

3. Pauvreté

Wim Van Lancker (KU Leuven): « Ces dernières décennies, la pauvreté enfantine a doublé en Flandre. Le seuil de pauvreté n’a pas diminué au cours des dix dernières années et jamais autant de personnes n’ont rejoint la Banque alimentaire. Autant de constats qui rendent d’autant plus étonnant que le gouvernement Jambon ne formule pas un seul objectif dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Pas un seul.

Les allocations familiales? L’accord de coalition décrit juste de quoi il s’agit. Il stipule que les prestations vont dépendre du niveau de revenu. Excellent, mais c’est déjà largement le cas.

Ce manque d’ambition est gravissime. La lutte contre la pauvreté est avant tout une question de choix. Et il y a certainement des solutions : au Canada, la pauvreté infantile a été réduite de moitié grâce à une allocation familiale intelligente. Tout est une question de volonté. Apparemment, on n’en a pas en Flandre. »

4. Soins

Pieter Van Herck (Voka Welfare and Health Policy Advisor) : « En matière de prévention, nous sommes en retard par rapport aux pays scandinaves, aux Pays-Bas et à la Suisse. Pour suivre le rythme, un budget de 100 millions d’euros est nécessaire, mais le gouvernement Jambon n’a rien prévu de tel.

Nous obtenons de très mauvais résultats en matière de garde d’enfants, de protection de la jeunesse et ainsi de suite. En Europe, nous nous traînons à l’arrière du peloton et nous sommes loin derrière les pays scandinaves. Le gouvernement flamand a décidé d’y allouer 118 millions d’euros supplémentaires, ce qui n’est pas rien, mais ne permettra guère de réduire l’écart.

Entre-temps, nous dépensons beaucoup d’argent pour les allocations familiales, qui sont parmi les plus élevées d’Europe. Le gouvernement Jambon a aboli l’indexation des allocations familiales du troisième enfant. Il y a eu beaucoup de protestations à ce sujet, mais on peut se demander si l’on n’aurait pas mieux fait de dépenser plus d’argent pour les garderies, par exemple.

En ce qui concerne la prise en charge des personnes handicapées, nous sommes, en Europe, dans la moyenne, bien que les pays scandinaves font beaucoup mieux. Le gouvernement Jambon a tout de même décidé d’injecter 270 millions supplémentaires dans ce domaine.

En ce qui concerne les soins en général, il nous est impossible d’arriver au niveau des pays scandinaves. Ça ne risque pas non plus d’être le cas dans 5 ans, tant ces pays investissent depuis des décennies. »

5. L’éducation

Jan Van Damme (KU Leuven) : « Il semble très ambitieux que le gouvernement flamand souhaite offrir une ‘excellente éducation’. Mais soyons réalistes: Un gouvernement seul n’y parviendra pas. Il faut une politique sur 20 à 30 ans pour y parvenir. La qualité de notre éducation s’est lentement détériorée. Son amélioration sera tout aussi lente.

C’est une très bonne chose que le gouvernement Jambon se concentre sur des tests standardisés pour évaluer l’apprentissage (pour l’instant) du néerlandais et des mathématiques. Mais pourquoi les examens, un programme minimum, sont-ils la référence ? Le minimum n’est pourtant pas synonyme d’excellence ?

Il me manque deux mesures cruciales. Premièrement, comme dans d’autres pays, nous devrions travailler davantage sur le développement cognitif, y compris depuis la maternelle. Deuxièmement, nous devons introduire des bachelors pour l’enseignement primaire dans les universités. Cela permettra d’approfondir les recherches sur l’enseignement primaire et d’avoir des enseignants d’un niveau général supérieur. En Belgique francophone, ils le font depuis dix ans. J’en appelle à la N-VA pour qu’elle cesse d’être à la traîne par rapport à nos compatriotes francophones. »

6. Gouvernement numérique

Wim Marneffe (UHasselt):  » Tout comme le gouvernement Bourgeois, le gouvernement Jambon veut numériser davantage. Le désavantage numérique du gouvernement flamand par rapport aux pays scandinaves et aux Pays-Bas est dû en partie à nos nombreuses règles et obligations.

L’accord de coalition flamand stipule que tous les départements doivent se concentrer sur la numérisation. Par exemple, le gouvernement veut automatiser l’attribution de droits sociaux et il est question de poursuivre le développement de Vitalink, un système avec lequel les prestataires de soins de santé peuvent facilement et en toute sécurité partager entre eux les données numériques concernant leurs patients.

Chaque ministre doit donc faire sa part, mais rien de tout cela n’est encore très concret. Le succès de la numérisation dépendra essentiellement d’une vision générale cohérente et non de mesures ad hoc par domaine politique. C’est peut-être la raison pour laquelle il est bon que le Premier ministre Jambon soit responsable des TIC (Technologies de l’information et de la communication NDLR). Mais, bien sûr, nous ne pourrons pas rattraper les pays scandinaves et les Pays-Bas d’ici cinq ans. D’autant plus que ces pays progressent eux aussi dans ce domaine. »

7. Éducation et formation permanente

Stijn Baert (Université de Gand) : « Dans ce domaine, la Flandre a un écart énorme avec les pays avec lesquels elle souhaite se mesurer. L’un des problèmes est que les gens ne comprennent pas ce qu’un apprentissage permanent peut leur apporter. Pourquoi devrions-nous investir dans ce domaine? Dans d’autres pays, on change plus souvent d’emploi, voire de secteur. Ce qui entraîne un plus grand besoin de formation continue.

Le gouvernement flamand attend beaucoup de l’introduction du double apprentissage, qui combine cours et travail, dans l’enseignement secondaire. Il espère que les jeunes générations prendront ainsi l’habitude de poursuivre leur formation par la suite. C’est tout à fait possible, mais le souhait que l’apprentissage permanent passe de 9% à 25% en Flandre me semble exagéré.

Je me demande également si le gouvernement Jambon a prévu les budgets nécessaires pour cela. Après tout, il ne s’agit pas seulement de rendre le travail plus attrayant, mais aussi de pouvoir continuer à se former, et tout cela coûte de l’argent. Est-ce qu’il y aura de l’argent pour cela ? Je crains que la Flandre ne soit pas en mesure de faire un saut à ce point ambitieux. Le gouvernement Jambon n’atteindra donc pas son objectif en matière d’éducation et de formation permanente ».

8. Infrastructure

Dirk Lauwers (Université de Gand et d’Anvers) : « Après des décennies de désinvestissement dans les infrastructures, de nouveaux investissements sont enfin prévus, néanmoins je reste sceptique, et ce pour cinq raisons.

Premièrement, l’accent est mis unilatéralement sur les nouvelles routes et pistes cyclables. Or il n’y aura pas de transfert modal si l’on ne concède pas plus d’espace aux transports publics et au vélo. Deux: il manque des instruments pour gérer l’augmentation du trafic automobile. Troisièmement, je n’ai pas de montants précis. Ces dernières années, les Pays-Bas ont investi entre 2,5 et 3,5 milliards d’euros par an dans les autoroutes. Et la Flandre ? Quatrièmement, le gouvernement parviendra-t-il à boucler dans les temps le très complexe processus de conception et de décision ? Si on se tourne vers le passé, on peut en douter. Par exemple, la ligne de tram entre le Park & Ride de Kontich et Anvers aurait pu être tracée dès 1991, mais la politique n’arrive toujours pas à trancher. Enfin, on oublie une question fondamentale : y a-t-il encore de la place en Flandre pour des infrastructures supplémentaires ? »

9. Emplois de haute technologie

Bart Van Craeynest (économiste en chef Voka) :  » La haute technologie est le secteur de l’avenir et la Flandre ne s’en sort pas trop mal pour l’instant. Nous avons encore un petit arriéré en ce qui concerne l’emploi dans l’industrie de haute technologie et les services à forte intensité de connaissances. Aujourd’hui, il y a environ 133.000 emplois de ce type en Flandre et nous aurions besoin de 15.000 emplois supplémentaires pour rattraper les pays de référence.

La Flandre ne peut cependant pas faire grand-chose, mais elle peut tout de même créer les conditions-cadres. Par exemple, nous devons augmenter le nombre d’ingénieurs et de diplômés en TIC – secteur où nous sommes les plus faibles de toute l’Europe. Encourager ces études est une tâche importante, mais les fruits d’une telle politique ne se récoltent que sur le long terme.

Il est également important pour les entreprises de haute technologie de trouver du financement pour se lancer et pour poursuivre leur croissance. Il y a beaucoup de capitaux en Flandre, mais on n’encourage pas à investir dans ce type d’entreprises. Ici aussi, la Flandre ne peut pas faire grand-chose : la fiscalité est une compétence fédérale.

Nous devons donc être conscients qu’il faudra un certain temps à la Flandre avant de rattraper les pays de référence. Et nous ne devons pas non plus oublier que ces pays augmenteront eux aussi le nombre d’emplois dans les secteurs de haute technologie. »

10. Recherche & Développement

Bart Van Craeynest (économiste en chef chez Voka) :  » Notre écart en recherche et développement avec les pays de référence est frappant. Si nous voulons rattraper notre retard, nous avons besoin de 500 millions d’euros supplémentaires par an. Pour parvenir à suivre les Danois, champion dans ce domaine, il nous faudrait même 800 millions d’euros. L’accord de coalition prévoit 250 millions, ajoutez quelques investissements et vous obtenez 300 millions supplémentaires par an. C’est déjà pas mal, mais ce n’est qu’un peu plus de la moitié de ce dont nous avons besoin pour combler l’écart.

En Flandre, la recherche et le développement sont concentrés dans certains secteurs, tels que l’industrie pharmaceutique, et dans de grandes entreprises internationales. Le gouvernement flamand doit veiller davantage à ce que la recherche et le développement soient transmis à d’autres secteurs et à de plus petites entreprises.

Nous allons dans la bonne direction, mais je ne vois pas comment nous pourrions combler l’écart avec les pays de référence. »

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