Baudouin et Mobutu à Gand, en 1969. Le président congolais traite d'égal à égal avec le roi, qu'il appelle " mon cousin ". © belgaimage

La diplomatie secrète du roi Baudouin

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Il était une fois un roi qui imposait à son pays un ministre de son choix. Qui tentait de faire démissionner son Premier ministre. Qui intervenait dans la politique africaine de la Belgique. Ce souverain, décédé il y a vingt-cinq ans, c’est le roi Baudouin, dont l’influence politique contraste avec l’exercice du pouvoir royal aujourd’hui.

Un dimanche d’été. Il y a vingt-cinq ans. Ce matin du 1er août 1993, la Belgique est comme tétanisée. Elle vient d’apprendre la disparition inopinée de son roi,  » mort cette nuit, à 63 ans, dans sa résidence de Motril, en Espagne « , annonce la radio. Des milliers d’anonymes affluent devant le palais royal, à Bruxelles. Depuis le petit matin, certains déposent des fleurs devant les grilles du bâtiment ou allument des bougies. Des scouts entament un chant en hommage à Elan royal, le totem de Baudouin. Les drapeaux tricolores apparaissent aux fenêtres. L’émotion ne cesse de grandir au cours de cette  » semaine sainte  » vouée à la mémoire du roi.

La presse relaie, voire exacerbe le chagrin des Belges.  » Un grand vide s’est installé dans les coeurs, à la mesure de l’homme d’exception qu’était Baudouin Ier « , écrit Jacques Gevers, rédacteur en chef du Vif/L’Express, dans son éditorial du 6 août. Les médias présentent le roi comme un homme simple, souvent triste, qui a beaucoup souffert. Le symbole va devenir un mythe.

Le samedi 7 août, les dirigeants du monde entier assistent aux obsèques dans la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule : l’empereur du Japon Akihito, l’un des rares amis de Baudouin à une époque où la majorité des familles royales boudaient le jeune roi ; la reine Elizabeth d’Angleterre, montée sur le trône en 1952, un an après Baudouin, et qui participe pour la première fois de sa vie à des funérailles officielles à l’étranger ; les  » chefs d’Etat non couronnés « , du Français François Mitterrand à l’Egyptien Hosni Moubarak ; le Polonais Lech Walesa et le Tchèque Vaclav Havel,  » venus apporter le salut des pays d’Europe centrale libérés de dictature communiste « , rappelle José-Alain Fralon, auteur de Baudouin. L’homme qui ne voulait pas être roi (Fayard, 2001).

Baudouin refusait de n’être qu’une potiche, un roi purement protocolaire

 » Il y a des rois qui sont plus que des rois « , dira le cardinal Godfried Danneels dans son homélie. Le primat de Belgique suggère que Baudouin était un saint, par son vécu des valeurs évangéliques, son attention portée aux exclus, handicapés, prostituées, enfants… En 1960, Fabiola, avant de quitter son pays pour épouser le roi, avait déjà confié à un hebdo catholique espagnol :  » Le roi Baudouin est un saint. Si vous voyez comme il prie […]. Il ne serait pas étonnant qu’à sa mort, dans beaucoup d’années, il monte au ciel.  » Une possible béatification est évoquée peu après son décès. Mais porter ainsi le souverain aux nues pourrait déstabiliser la société belge, font remarquer certains analystes. L’impossibilité de régner de Baudouin, qui a refusé de signer la loi sur l’avortement, trois ans plus tôt, a laissé des traces et fragilisé la monarchie.

L’humanité, la gentillesse et la droiture dont il ne s’est jamais départi pendant quarante-deux ans de règne sans confort ne doivent pas cacher une réalité : Baudouin refusait de n’être qu’une potiche, un roi purement protocolaire. L’accroissement des tensions communautaires en Belgique a joué un rôle considérable dans sa volonté de tenir un rôle politique de premier plan. Les réformes institutionnelles en cascade l’inquiétaient. Il était conscient que l’élargissement du fossé entre Flamands et francophones pouvait conduire à l’éclatement de son pays.

En 1983, l’arrivée à la Cour d’un nouveau chef de cabinet, Jacques van Ypersele de Strihou, homme discret à l’éternel sourire, permet au roi de se décharger de nombreux dossiers. L’éminence grise se fait des ennemis : on lui reproche de tout concentrer entre ses mains. Mais on reconnaît sa fidélité indéfectible au roi et à la patrie. Pour la première fois,  » van Yp  » sort de son devoir de réserve : il accepte de nous parler de la personnalité de Baudouin, de son attitude avec ses visiteurs. Van Ypersele a conseillé le roi lors des crises politiques traversées par la Belgique. Encouragée par la multiplication de ces crises, la  » magistrature d’influence  » du roi a été une réalité perceptible.

La marque de Baudouin sur la politique africaine de la Belgique a été plus forte encore. Le roi a vite compris que les affaires congolaises restaient le domaine où le Palais pouvait et devait jouer un rôle direct. De la fin de l’époque coloniale aux turbulences de l’ère Mobutu, son interventionnisme a mis plus d’une fois le gouvernement belge dans l’embarras. De même, Baudouin s’est mêlé de la politique belge à l’égard du Rwanda, pressant même, en 1990, le gouvernement d’intervenir militairement à Kigali pour secourir le régime de son ami le président Juvénal Habyarimana. Quel contraste avec l’effacement actuel de la monarchie ! Aujourd’hui, il est plutôt question de limiter les pouvoirs du roi. L’évolution de l’opinion en faveur d’une fonction royale encore plus réduite se confirme de sondage en sondage.

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