Sophie Wilmès, Koen Geens, Alexander De Croo, Paul Magnette

La course des Premiers ministres: voici leurs chances respectives (analyse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Sophie Wilmès, Koen Geens, Alexander De Croo et Paul Magnette sont prêts à occuper le Seize. Chaque parti a des arguments. L’équilibre sera subtil.

Les tensions au sein de la naissante Vivaldi ont été à deux doigts de la faire vaciller pour de bon, lundi, après les préoccupations exprimées par le CD&V, au départ d’une note apparemment dépassée. Le week-end avait déjà été fébrile, avec la course entamée pour le futur Premier ministre. L’enjeu est immédiat: la désignation d’un formateur ou d’une formatrice doit avoir lieu cette semaine, car c’est généralement celui ou celle qui occupera le Seize.

Quatre favoris se dégagent pour remporter cette étape de montagne. Leurs chances de maillots jaunes sont pratiquement équivalentes, mais les arguments qui plaident en faveur de l’une ou de l’autre sont significatifs des équilibres au sein de la future coalition entre socialistes, libéraux écologistes et CD&V – pour autant qu’elle voit le jour.

Sophie Wilmès (MR): le subtil équilibre

Elle entame la course en tête. Au Seize depuis le 27 octobre 2019, après le départ de Charles Michel à l’Europe, Sophie Wilmès a transformé une période de transition en une conquête du pouvoir et de la notoriété. A sa manière, plus féminine, simple et sans grande prétention. La crise du coronavirus a révélé cette libérale de la périphérie qui trône désormais en tête de tous les sondages de popularité. C’est d’ailleurs, selon son président Georges-Louis Bouchez, l’argument numéro un grâce auquel elle aurait « 70% de chances » de rester Première ministre: la désigner serait écouter le voeu des électeurs belges. L’argument vaut ce qu’il vaut: un sondage n’est par définition qu’un instantané de l’opinion publique.

Outre sa notoriété, Sophie Wilmès a l’avantage d’avoir su travailler avec tous les partis lors de la crise, rassurant ceux qui soutenaient son gouvernement de l’extérieur: elle a du tact, sait écouter et changer d’opinion ou s’excuser si besoin – des qualités qui ne sont pas minces dans ce monde de brutes. Elle représente en outre un libéralisme affirmé, mais non arrogant, contrairement à son président. Mais Sophie Wilmès a le désavantage d’incarner aussi les potentielles failles de la Belgique dans la gestion du coronavirus et elle est francophone, alors que le gouvernement sera minoritaire du côté flamand. Le MR occupe en outre le Seize depuis six ans, ses partenaires pourraient considérer que cela a assez duré.

Koen Geens (CD&V): la garantie royale

Lorsqu’il a été désigné missionnaire royal, à l’automne dernier, Koen Geens était présenté par certains comme le favori du palais royal pour le Seize. Le poste de Premier ministre est une tradition au sein de son parti, qui serait bienvenue en cette période d’incertitude pour l’avenir du pays, comme un barrage contre le nationalisme flamand. A l’époque, le ministre de la Justice roulait toutefois pour un dialogue entre N-VA et PS qui a été torpillé par le président socialiste, Paul Magnette.

L’homme est affable, il incarne une certaine dignité de la fonction et, dans le cas qui nous occupe de la formation d’une Vivaldi avec le seul CD&V à bord (sans le CDH), il serait un peu la garantie dont le parti a besoin. En d’autres termes, alors que la base sociale-chrétienne est fébrile, le poste de Premier ministre permettrait au CD&V de contrôler l’agenda (pensons à la réforme de l’IVG ou aux avancées institutionnelles). Mais son parti est le Petit Poucet de cette formation, il irrite les autres par sa versatilité et Koen Geens lui-même ne serait plus forcément le favori en interne.

Alexander De Croo (Open VLD): la noblesse libérale

Vice-Premier ministre libéral flamand depuis octobre 2012, l’homme s’est imposé comme un poids lourd de la politique belge, l’air de ne pas y toucher. Ce n’était pourtant pas gagné: tout le monde se souvient que cet entrepreneur dans l’âme avait généré le chaos et le blocage de longue durée en « tirant la prise » du gouvernement Leterme pour réclamer une résolution rapide du dossier BHV (scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde) alors qu’il était président de parti, en 2009. Depuis, l’incident est oublié, même si l’expression « tirer la prise » est devenue un classique: il s’est assagi, fait moins de vague et représente une forme de noblesse libérale d’antan.

Alexander De Croo a le désavantage d’incarner un profil trop « droitier » pour les socialistes francophones, notamment. Mais il pourrait paradoxalement se servir de cet argument pour rassurer la Flandre orpheline de la N-VA, prompte à accuser la Vivaldi d’être précisément trop à gauche. Il pourrait aussi bénéficier de la rivalité entre PS et MR qui pourraient refuser l’un et l’autre de céder le Seize, très visible.

Paul Magnette (PS): la première famille

Le bourgmestre de Charleroi était un politologue réputé, cela reste un analyste fûté de la politique belge. Depuis plusieurs jours, Paul Magnette ne cache pas ses ambitions en affirmant qu’il ne « refuserait pas » si on lui proposait de devenir Premier ministre. Un euphémisme pour dire qu’il en rêve. Le président socialiste a un argument de poids: il est à la tête du premier parti de la première famille politique de la Vivaldi. En soi, cela devrait suffire à la propulser au Seize. De là, le président socialiste pourrait en outre contrôler la relance qu’il appelle de ses voeux et les accents sociaux du gouvernement, tout en écartant le MR de son piédestal.

C’est précisément ce qui pourrait lui coûter le poste: les libéraux francophones ne veulent pas de lui car il donnerait l’image d’une coalition « trop à gauche », alors qu’elle penche déjà naturellement de ce côté avec la présence des écologistes. Paul Magnette est en outre « trop francophone » pour une minorité flamande (singulièrement le CD&V et l’Open VLD) qui serait continuellement attaquée par la N-VA et le Vlaams Belang comme étant le « torchon du PS ». Parfait bilingue, le président du PS a pourtant l’argument de poids d’être le plus fort et, s’il ne le concrétise pas au Seize, il pourrait le monnayer très cher.

Un lapin du chapeau royal

Comme au Tour de France, si ses quatre favoris venaient à se neutraliser, il n’est pas impossible que le palais royal (avec l’assentiment des partis) finissent par s’entendre sur un profil plus « lisse » ou davantage de naturer à donner des garanties pour cimenter le tout. On songe aux trois autres présidents de partis flamands: Egbert Lachaert (Open VLD, qui a porté tout le processus de préformation), Joachim Coens (CD&V) ou Conner Rousseau (SP.A). Tous trois n’affichent pas d’ambition. Les écologistes semblent hors-jeu: le palais ne leur a accordé jusqu’ici aucune mission.

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