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« La classe moyenne ne se rend pas compte à quel point elle s’en sort bien »

La classe moyenne belge ? Elle fait tourner l’économie, mais elle trinque à tous les niveaux, entend-on souvent. Est-ce exact ? Et qu’apportera l’avenir ? « Notre classe moyenne râle, mais elle prospère », estime le professeur Ive Marx, socioéconomiste à l’Université d’Anvers.

Temps difficiles? Ive Marx n’y va pas quatre chemins. « Comparée au reste de l’Europe, la classe moyenne belge n’a pas de raisons de se plaindre. » Le socioéconomiste de l’Université d’Anvers a travaillé avec sa consoeur Sarah Kuypers à une étude scientifique hautement actuelle intitulée « Europe’s disappearing middle class? Evidence from the world of work » (Edward Elgar Publishing). La classe moyenne est-elle vraiment sur le point de disparaître, comme on le suggère ici et là ?

Évidemment, il faut répondre à la question: qui appartient à la classe moyenne? Les sociologues ont un avis différent que les économistes. Les premiers regardent le niveau de formation et surtout la profession. Les économistes préfèrent prendre le revenu comme critère. « Autrefois, quand il n’y avait qu’un membre de la famille qui gagnait de l’argent, l’emploi était décisif pour la position économique du foyer », raconte Marx. « À mesure qu’il y a eu de plus en plus de ménages à double revenu, l’emploi s’en est dissocié : si dans une famille, les deux partenaires exercent une fonction d’ouvrier, le foyer a beaucoup de chances de ne pas faire partie de la classe sociale inférieure, mais de la classe moyenne. Et si un parent célibataire exerce un emploi typique de classe moyenne, enseignant ou infirmier par exemple, et doit s’en sortir avec un revenu, celui-ci se trouve souvent en bas de l’échelle sociale. Un bon emploi ne garantit donc plus l’appartenance à la classe moyenne, c’est la situation familiale qui est décisive. »

Pour l’étude européenne, les chercheurs ont analysé le revenu, et ils ont tenu compte de la taille de la famille. Quelqu’un fait partie de la classe moyenne si son revenu se situe entre 60 et 200% de la médiane. Concrètement : un célibataire qui a un revenu familial net oscillant entre 1373 et 3433 euros fait partie de la classe moyenne. Pour une famille qui a deux enfants de moins de quatorze ans, ce montant se situe entre 2163 et 7210 euros. À l’intérieur de la classe moyenne, il y a de grandes différences. C’est pourquoi la classe moyenne est divisée en sous catégories : la classe moyenne « inférieure », « du milieu » et « supérieure ».

Les trois quarts de la population belge font partie de la classe moyenne: 16% font partie de la classe inférieure, 31% de celle du milieu, et 30% de la supérieure. Plus de 18% des Belges sont pauvres alors que 5% figurent parmi ceux qui gagnent le plus gros salaire. En dix ans, ce nombre a légèrement baissé. « Étonnamment, la classe moyenne belge est restée pratiquement stable. La plupart des gens font partie de la classe moyenne ‘du milieu’ et ‘supérieure’, soit plus de 60% », déclare Marx.

Sur base de la recherche scientifique européenne, Marx ose même dire: « Notre classe moyenne prospère. « Dans beaucoup de pays européens, on voit que dans le meilleur des cas le revenu se maintient. Aux Pays-Bas, en Allemagne et en France, il recule même légèrement. La Belgique va à l’encontre de cette tendance : chez nous, le revenu de la classe moyenne augmente légèrement. Le revenu moyen de classe moyenne ‘du milieu’ figure parmi les plus élevés de l’Europe, seules l’Autriche et la Suède nous devancent. C’est pourquoi on peut très bien dire que notre classe moyenne prospère. »

« Le maintien du niveau de la consommation en Belgique est dû surtout à ce qu’on appelle les ‘stabilisateurs automatiques’ : nos revenus et l’association de nos salaires à l’index garantissent une stabilisation de notre économie en temps de crise, car le pouvoir d’achat se maintient en grande partie. En outre, contrairement au reste de l’Europe, la Belgique n’a pas mené de politique d’économie stricte. Tout cela a fait que l’économie a continué à tourner assez bien et que notre classe moyenne s’en tire à bon compte ».

La classe moyenne est non seulement très importante pour les politiques, mais aussi pour les syndicats. Marx : « On pense souvent que le syndicat est une affaire d’ouvriers, mais les membres du syndicat viennent surtout de la classe moyenne. Et le syndicat aussi est plus sensible aux acquis de la classe moyenne qu’au sort des pauvres. »

La classe moyenne a l’idée que c’est toujours elle qui trinque pour les économies. « Et c’est le cas », dit Marx. « La classe moyenne fait tourner l’économie, elle trinque pour les assainissements. Mais elle est bien récompensée. Pensez aux soins de santé bon marché, à l’enseignement presque gratuit, etc. »

Cependant, la classe moyenne râle, et cela n’échappe pas à Marx. « La classe moyenne doit travailler durement, elle endure beaucoup de stress pour bien combiner ce travail avec sa vie familiale. Et beaucoup d’entre eux se demandent s’ils arriveront à garder leur niveau de vie quand ils prendront leur pension. Et leurs enfants vivront-ils aussi bien qu’eux ? Ils voient par exemple que les prix de terrain à bâtir et d’habitations ont grimpé en flèche. Comment leurs enfants feront-ils pour payer ça ? Il y a beaucoup d’incertitude sur l’avenir. Je comprends qu’elle râle, mais cela n’empêche pas qu’elle prospère aujourd’hui, certainement comparée à d’autres pays européens. La classe moyenne ne s’en rend pas compte. »

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