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La classe moyenne inférieure, ces deux millions de Belges qui ne sont, tout juste, pas pauvres

Muriel Lefevre

La classe moyenne inférieure – soit ces personnes qui frôlent la pauvreté, mais pas assez que pour pouvoir bénéficier d’aucune aide sociale- , est un groupe souvent oublié. Il concerne pourtant près de 2 millions de Belges. Une frange de la population qui est aussi de plus en plus vulnérable, révèle une étude.

Un Belge sur six appartient à ce qu’on appelle la partie inférieure de la classe moyenne : les ménages qui disposent de 60 à 80% du revenu médian, parfois aussi appelé revenu moyen. Le revenu médian est le revenu qui divise la population en deux parties égales, 50 % de la population a un revenu supérieur et 50 % un revenu inférieur. Il permet de refléter fidèlement les revenus typiques de la classe moyenne sans être faussé par des variations importantes d’une minorité très riche ou très pauvre. En 2016, la classe moyenne inférieure représentait 18 % de la population.

C’est ce que montre une étude du Centre de recherche sociologique de la KU Leuven sur la classe moyenne inférieure en Belgique, commandée par le think tank Minerva et Decade Goals, une collaboration de treize organisations (dont des syndicats et des caisses d’assurance maladie) contre la pauvreté. Pour l’étude, les scientifiques ont cartographié les revenus et les conditions de vie de la population belge sur une période de 30 ans.

La classe moyenne inférieure (qui se distingue de la classe moyenne centrale et de la classe moyenne supérieure) est généralement restée relativement stable en taille. En 1985, 21 pour cent des Belges appartenaient à cette classe, alors que dans les années 2000, cette proportion s’est stabilisée autour de 18 pour cent. Cela contraste avec le groupe des pauvres qui a lui fortement augmenté (de 9,8 % en 1985 à 15,9 % en 2016) et la classe moyenne centrale qui a, elle, diminué (de 38,4 % à 32,8 %). On notera encore que la classe moyenne supérieure est restée stable autour de 28 %, tandis que les riches sont passés de 3 % à 5,4 % entre 1985 et 2005, avant de retomber à 4,5 % en 2016.

Si dans les chiffres, le nombre de personnes dans cette classe est donc resté stable, sa composition a elle significativement changé. Elle se compose aujourd’hui, plus qu’en 1985, de personnes âgées (aucune autre classe de revenu ne compte autant de personnes âgées), mais aussi de locataire et de personnes qui travaillent, mais qui sont mal rémunérées (les salaires de cette catégorie ont moins augmenté qu’ailleurs). On constate aussi que les célibataires, avec ou sans enfants, y sont surreprésentés (leur nombre a presque triplé en 30 ans) et que la proportion de personnes moyennement et hautement qualifiées a augmenté.

Le chercheur Wim Van Lancker explique cela par le fait que la plupart des ménages ont aujourd’hui deux revenus. Ceux qui n’ont qu’un seul revenu auront plus de difficulté à se maintenir dans le niveau de vie de la classe moyenne. Une donnée qui fait que la stabilité de la classe moyenne à travers les décennies est en partie faussée. « Dans les faits un groupe de plus en plus important au sein de la société a du mal à joindre les deux bouts », écrit-il dans De Standaard.

Van Lancker montre également que l’Etat-providence est une arme à double tranchant pour cette catégorie de revenu : dans cette classe moyenne inférieure, la redistribution des biens pousse presque autant de personnes vers la classe en dessous que vers le haut. La mobilité sociale – la fréquence à laquelle ils peuvent gravir les échelons, mais aussi descendre dans une autre catégorie de revenu – est la plus élevée de toutes les catégories de revenu. Alors que 34% d’entre eux remontent de catégorie par leur travail, 21% tombent malgré tout dans la pauvreté.

L’action des pouvoirs publics a une influence majeure dans cette mécanique. Par rapport à 1985, l’effet de la redistribution gouvernementale a changé radicalement. A cette époque, après redistribution, 33% des personnes en situation de pauvreté et 34% des personnes dans la classe moyenne inférieure amélioraient leur situation. En 2016, ces proportions ont chuté respectivement à 28 et 27%. Ceci alors que de plus en plus de personnes voient leur situation s’aggraver.

Il est important de noter dans l’étude que seul le revenu et non le capital a été pris en compte, car il n’y a pas suffisamment d’informations disponibles pour faire la comparaison. « La réalité pourrait être sensiblement différente, en particulier pour les retraités qui s’en sortiraient mieux « , dit Van Lancker. Ceci s’explique parce qu’ils sont souvent propriétaires de leur logement, qu’ils ont en outre fini de payer. Les personnes en âge de travailler de cette classe sont moins souvent propriétaires d’une habitation, et la majorité des propriétaires doivent encore s’acquitter du payement de leur maison

« Mais l’inverse est aussi vrai : on n’a pas tenu compte des dettes. Or une grande partie de la population active est endettée, ce qui plombe son niveau de vie. »

« Au sein de la classe moyenne inférieure, il y a donc deux réalités, l’une pour les personnes âgées et l’autre pour les personnes en âge de travailler. Cette classe de revenu ne peut donc pas être simplement assimilée à la pauvreté « , dit M. Van Lancker.

Cela ne change rien au constat que toujours autant de gens ont du mal à joindre les deux bouts. Tout le monde connaît le pourcentage de pauvres, mais le problème est plus vaste. Il suffit de voir le mouvement des gilets jaunes, qui pour certains appartiennent à cette classe moyenne inférieure. « Les personnes peu qualifiées, les locataires et les chômeurs sont les principaux perdants « , déclare encore Van Lancker. Le gouvernement s’est souvent concentré sur la partie de la classe moyenne la plus aisée avec par exemple les primes au logement ou les voitures de société. Réorienter une partie du budget de la prime au logement vers les locataires serait un pas dans la bonne direction, selon M. Van Lancker.

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