Nicolas De Decker

La certaine idée de Nicolas De Decker: le monde d’après (chronique)

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ce monde d’après était plus amusant, mais encore plus emmerdant que le monde d’avant.

Le monde d’avant était emmerdant. C’était celui des consultants ternes et de leur PowerPoints déprimants. L’homme politique ancien, celui qu’on trouvait dans des journaux qu’on ne lisait déjà plus, paraissait tout droit sorti d’un slide insipide, le même depuis la fin des années nonante. C’était, clic, premier slide, le « bosseur pragmatique », clic deuxième slide, qui « connaissait ses dossiers », clic troisième slide, porteur de projets « résolument tournés vers l’avenir », clic quatrième slide, loin des « petites polémiques politiciennes », clic cinquième slide, et « toujours du côté des solutions plutôt que des problèmes ». Ce PowerPoint emmerdant est terminé, merci pour votre inattention, au plaisir d’encore susciter votre désintérêt par le vide: dans le monde d’avant, les politiques n’osaient rien dire par peur de choquer, alors ils mettaient leur cravate et ne disaient rien, si interchangeables que la révolution portait un noeud papillon.

Ce monde d’apru0026#xE8;s u0026#xE9;tait plus amusant, mais encore plus emmerdant que le monde d’avant.

Cette langue de bois nous avait tous noyés dans un océan de ressemblances, on en avait tous marre, tellement que c’est ainsi, en fait, qu’advint le monde d’après.

Il était le produit de notre ennui, la turpitude de notre lassitude.

C’est ainsi que le monde d’après les consultants emmerdants serait amusant.

Dans le monde d’avant, les politiques ne disaient rien pour ne pas se faire remarquer, dans le monde de demain, il faudrait tout dire pour se faire remarquer: ce qu’on appelait « parler vrai » consistait à asséner les pires faussetés sans la moindre retenue. Dans ce monde nouveau, tout se passait comme si des poètes alcoolisés avaient pris le contrôle des PowerPoints, et qu’ils avaient transformé les litanies de banalités en bulletpoints d’un workshop d’Oulipo. Dans ce monde d’après qui était déjà le nôtre aujourd’hui, et dans lequel la seule parole politique qui se distingue est celle qui dit faux, le premier slide disait que les vraies élites elles étaient noires, elles étaient féminines, elles étaient pauvres, elles étaient musulmanes même, et que ceux qui résistaient à ces élites dominantes, les riches, les blancs, les mâles, les « catholaïques », ils étaient les vrais opprimés. D’ailleurs, on voit très bien, à l’aide des deuxième et troisième slides, que les vrais racistes sont les antiracistes et donc que les vrais antiracistes sont les anti antiracistes, clic, et que les vraies sexistes sont les féministes et donc que les vrais antisexistes sont les antiféministes, clic. Dans ce monde d’aujourd’hui, slide suivant, clic, il fallait féliciter les non-vaccinés pour les convaincre de se faire vacciner, parce que si on leur disait qu’ils étaient plus nombreux à tomber malades que ceux qui s’étaient protégés contre la maladie, on allait les vexer, et que pour obliger des gens à se faire vacciner, il fallait surtout ne pas les y obliger. Dans ce monde de demain, clic, on allait produire beaucoup plus de CO2 mais ça allait réduire la production de CO2, passons vite au slide suivant, c’est tellement gros, clic clic, la meilleure manière d’aider à reconstruire une région inondée serait de ne pas l’aider à reconstruire.

Ce monde d’après était plus amusant, mais encore plus emmerdant que le monde d’avant, car les mots faux avaient remplacé les mots vides. C’était le monde en pire.

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