Leo Tindemans et Wilfried Martens. © BELGAIMAGE

La carrière politique de Leo Tindemans

Retour sur la carrière politique de Leo Tindemans, ancien Premier Ministre décédé ce vendredi à l’âge de 92 ans.

Le pacte d’Egmont, du nom de l’accord historique de pacification communautaire scellé en 1977 dans le Palais éponyme, qui devait, dans la foulée du travail avancé par l’ex-Premier ministre Gaston Eyskens, remodeler la Belgique en un Etat fédéral, est resté comme l’un des rendez-vous manqués de l’histoire institutionnelle du pays. Face notamment à la pression du Mouvement flamand et aux objections constitutionnelles du Conseil d’Etat, Leo Tindemans, l’homme aux records de voix, figure marquante du CVP des années ’70, avait renoncé un an plus tard à porter la responsabilité de l’accord, un geste qui sonna l’hallali de sa carrière de Premier ministre.

Subtil équilibre censé mettre fin au contentieux communautaire, l’accord conclu en mai 1977 par les partis gouvernementaux sociaux-chrétiens, PSC (Charles-Ferdinant Nothomb), CVP (Wilfried Martens), séparés depuis le « Walen buiten » de 1968, socialiste (André Cools et Willy Claes, puis Karel Van Miert, au nom du PSB encore uni), Volksunie (Hugo Schiltz) et FDF (Antoinette Spaak), prévoyait notamment la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. La possibilité pour les francophones d’un certain nombre de communes de la périphérie de pouvoir continuer à voter à Bruxelles était toutefois maintenue. En échange, la minorité néerlandophone de la capitale obtenait un certain nombre de garanties.

L’encre de l’accord à peine sèche, des protestations se firent jour, notamment dans la presse du nord du pays relayant celles du Mouvement flamand. Des marches furent organisées et des tensions secouèrent, en leur sein, le CVP et la VU. Deux nouveaux partis seront créés: le Vlaamse Volkspartij (VVP) et le Vlaams-Nationaal Partij (VNP) desquels émanera en 1979 le parti d’extrême droite Vlaams Blok, aujourd’hui Vlaams Belang.

Dans un premier temps, les auteurs du Pacte tiennent bon, mais de son côté, Leo Tindemans est moins franc. Face aux critiques, le pacte est corrigé par les accords de Stuyvenberg en 1978, mais la dynamique qui se réinstalle n’est que de façade. Sollicité, le Conseil d’Etat remet ses avis, dont certains particulièrement critiques sur le contournement de la Constitution. Tindemans fait volte-face. Le fil va alors se casser entre les partenaires qui suspectent le Premier ministre de trahison. Ce dernier s’en prend à la « junte » des présidents de partis qu’il accuse de vouloir corseter le parlement.

« Je considère que la Constitution n’est pas un chiffon de papier »

Lors d’une séance à la Chambre, le 11 octobre 1978, Leo Tindemans est interpellé par certains des présidents de partis gouvernementaux qui lui reprochent son manque de pragmatisme face à la crise communautaire qui menace d’exploser. Le Premier ministre surprend alors toute l’assemblée. « Je considère que la Constitution n’est pas un chiffon de papier. Je quitte cette tribune et me rends chez le Roi pour lui présenter la démission du gouvernement », lâche-t-il dans une formule restée célèbre.

L’événement poursuivra la carrière de Leo Tindemans et singulièrement son cheminement avec le futur homme fort du CVP, Wilfried Martens. Celui-ci était l’un des animateurs de la soit-disant « junte » à la base du Pacte d’Egmont jeté aux oubliettes. Quand Martens lui succède, pour douze ans, en 1979 (hormis les courts intermèdes Van den Boeynants et Mark Eyskens), Leo Tindemans, barré par les francophones, s’empare de la présidence du CVP, comme pour assouvir un désir de vengeance, celui de vouloir à son tour endosser le rôle de belle-mère. Il s’en défendra mais une chose est sûre, entre les deux hommes, l’hostilité marquera à jamais leurs relations.

En revanche, la sortie de charge du chef de gouvernement ne fit que confirmer son extrême popularité. Leo Tindemans s’envole à près d’un million de voix aux élections européennes de 1979 – 983.000 exactement – un record historique resté inégalé. Il revient au gouvernement en 1981, comme ministre des Affaires étrangères dans l’exécutif Martens V. Il y reste huit ans au travers de mandats marqués par une politique atlantiste, résistant notamment aux gigantesques manifestations pacifistes des années ’80 contre l’installation en Belgique des missiles américains.

Requinqué après sa scission d’avec le PSC, le CVP bénéficie dans les années ’70 d’un « effet Tindemans » qui lui ramène plus de voix à chaque élection: 80.000 en 1974, 134.000 en 1977 et près d’un million en 1979. Leo Tindemans jouait sa carte personnelle pour proposer le changement avec un slogan tel que « Met deze man wordt het anders » (Le changement, avec cet homme).

Bourgmestre d’Edegem

Né le 16 avril 1922, à Zwijndrecht (province d’Anvers), Leo Tindemans avait fait son entrée en politique à l’âge de 36 ans comme secrétaire national du CVP-PSC. Trois ans plus tard, en 1961, il était entré dans l’hémicycle de la Chambre, en remplacement de Frans Van Cauwelaert, décédé. Il y restera 28 ans, avec un intermède de 2 ans au Parlement européen. Leo Tindemans exerce également à l’échelon local. De 1965 à 1973, il a été bourgmestre d’Edegem, en province d’Anvers.

Ce sont les événements de Louvain en 1968 qui lui offrent son premier poste de ministre, chargé alors des Relations communautaires dans le cinquième gouvernement de Gaston Eyskens. A l’époque, personne ne mise sur la pérennité de ce gouvernement qui finira pourtant pas s’imposer et mieux, réaliser en 1970 la première réforme de l’Etat créant les trois communautés culturelles. En 1973, il devient vice-premier ministre dans le gouvernement Leburton. A partir de 1974, il sera Premier ministre, de quatre gouvernements – la situation économique et communautaire est turbulente – jusqu’en 1978.

Son premier gouvernement, avec les libéraux, puis élargi au Rassemblement wallon (RW) jusqu’à son implosion, prépare les lois annonciatrices des futures Régions. Les gouvernements suivants du Premier ministre conservateur adoptent un plan de relance, en 1976, sans consultation des partenaires sociaux, pas d’accord entre eux, puis, en 1977, des mesures d’économies drastiques contre lesquelles les syndicats répondront pas les « grèves du vendredi ». Dans son dernier gouvernement, Leo Tindemans remplacera les libéraux par les socialistes, auxquels s’ajouteront la VU et le FDF. Il s’agira essentiellement d’un gouvernement institutionnel, qui finira par tomber en 1978… sur le Pacte d’Egmont.

Dans la dernière partie de sa carrière, Leo Tindemans reviendra au Parlement européen (1989) où il sera chef de groupe du Parti populaire européen, en 1991. L’intégration européenne l’anime, lui qui avait présidé le Parti populaire européen de 1976 à 1985. En 1974, il avait été chargé par ses collègues chefs d’Etat et de gouvernement d’un rapport sur la construction européenne. Il prônera notamment la monnaie unique (devenue réalité), un renforcement du pouvoir parlementaire, une politique étrangère et de sécurité commune et la création d’une agence de l’armement.

En 1999, Leo Tindemans met fin à sa carrière politique, estimant qu’il est « un homme politique du XXe siècle, pas du XXIe ».

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