Foulek Ringelheim en 1998. © PHOTO NEWS

La bio posthume de Foulek Ringelheim: « je fus gavé d’histoires de déportations, de rafles, de chambres à gaz »

Le fondateur de l’Association syndicale des magistrats livre à titre posthume un récit poignant sur son enfance cachée aux nazis et la pulsion de vie plus forte que la mort.

Foulek Ringelheim a été un magistrat atypique. Engagé dans des combats majeurs pour moderniser la justice (Amour sacré de la justice, Labor), il était habité par les mots. On n’imagine à quel point. Sa carrière d’écrivain entamée à l’âge de 63 ans ( Le Juge Goth, chez Luc Pire, et La Seconde Vie d’Abram Potz, chez Espace Nord) prend une autre dimension avec la sortie posthume – il est décédé en 2019 – de Boule de juif (Genèse Edition). Un récit d’enfance coulé dans une langue ornée de toutes les couleurs de la vie, y compris les plus noires: celle d’un gamin turbulent élevé par une yiddishe mamè illettrée et indomptable, propulsée d’Europe centrale vers un coron d’Ougrée. « Elle a réussi à m’enfoncer la judéité dans la tête. L’amour que je lui rendais, en dépit de son autorité tyrannique, alliait tendresse, compassion et culpabilité. Quand elle mourut, mission accomplie, dans sa soixante-sixième année, mon chagrin fut abyssal. »

En 1938, le futur petit Foulek (Gabriel en polonais) ne veut pas sortir du ventre de sa mère: « Je suis né à mon corps défendant. » A-t-il pressenti que son enfance ne serait pas rose, ballotté entre une paisible ferme de Bertrix où il manque devenir un bon petit catholique et l’orphelinat Saint-Joseph, à Geer, qui l’en dégoûte, malgré son désir éperdu de s’intégrer? « L’expression « bonne soeur » fut mon premier oxymore », darde l’écrivain au souvenir de l’odieuse soeur Marie-Camille. « Pas plus qu’on n’oublie son premier baiser, on n’oublie pas sa première gifle. Je savais pourquoi soeur Marie-Camille ne m’aimait pas: je ne faisais pas partie de la famille, j’étais un petit Juif. Elle m’avait « juiflé », l’ignoble. Je priai Dieu de faire crever soeur Marie-Camille. » Après la guerre, quand sa mère Fradla lui demanda d’envoyer 300 francs à l’institution religieuse qui lui avait présenté la note vertigineuse de 14 647 francs pour la mise à l’abri de ses deux fils, Foulek en préleva 100. Fils obéissant à sa manière.

Le voilà en latine à l’athénée du boulevard Saucy à Liège. Le retour de la paix et la fin de ses primaires ont été agités. Il a fait les quatre cents coups avec les garnements du quartier de Saint-Gilles, découvert la sexualité et le pouvoir des livres dans une bibliothèque publique. Un séjour à Paris, où est installée une partie de sa famille, et les mouvements de jeunesse communistes ou sionistes de gauche finissent par le propulser dans un monde nouveau et plein d’espoir. Son père, bel homme aimable venu de Galicie en 1929 pour travailler dans la sidérurgie sérésienne et déporté à Auschwitz en 1942, est achevé par une marche de la mort (l’évacuation des camps par les nazis) en janvier 1945. « A l’âge où l’on découvre les mondes merveilleux de Perrault ou d’Andersen, je fus gavé d’histoires de déportations, de rafles, de chambres à gaz, de fours crématoires, d’extermination. » Plongé dans le monde non juif, participant à des combats de gauche et résolument athée, sa judéité a été un mystère et une évidence pour Foulek Ringelheim. Malgré son attachement à l’Etat d’Israël, « opprimer un peuple, s’emparer de sa terre, ce n’est pas juif », écrit-il, mais la renaissance de l’antisémitisme sous le nom de scène de l’antisionisme l’effrayait plus encore.

Boule de juif, par Foulek Ringelheim, Genèse Edition, 135 p.
Boule de juif, par Foulek Ringelheim, Genèse Edition, 135 p.

(1) Boule de juif, par Foulek Ringelheim, Genèse Edition, 135 p.

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