Aux Pays-Bas, des magasins restent ouverts avec la distanciation sociale comme règle. © AFP

La Belgique ne fait pas mieux que les Pays-Bas, malgré un confinement plus strict

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Vincent Laborderie, maître de conférences à l’UCLouvain, publie une étude qui jette un pavé dans la mare en faveur du confinement  » intelligent  » pratiqué par nos voisins.

Que n’a-t-on dit au sujet de l’irresponsabilité des Pays-Bas et de sa stratégie d’immunité collective pour lutter contre le coronavirus, sans confinement dans un premier temps, puis avec des mesures plus limitée? A l’analyse, la différence de bilan entre nos deux pays est limitée, voire même à l’avantage de nos voisins : selon l’université Johns-Hopkins, qui fait référence, le taux de mortalité est même de 12,76% pour la Belgique et de 10,61% pour les Pays-Bas.

Vincent Laborderie, maître de conférences à l’Institut d’études européennes de l’UCLouvain, a précisément étudié la comparaison entre les deux pays. Objectif ? Déterminer l’efficacité marginale de mesures de confinement strict telles qu’elles sont en vigueur en Belgique.

« À la lumière de la comparaison réalisée avec les Pays-Bas, il apparaît que cette efficacité est soit nulle, soit non mesurable, conclut-il. Ce résultat surprenant doit conduire à remettre fondamentalement en cause l’idée, à la base de toute politique de confinement, selon laquelle il faut être le plus restrictif possible pour être efficace. Les résultats obtenus par les Pays-Bas invalident en tout cas les mises en garde répétées quant à un rebond incontrôlable de l’épidémie au moindre relâchement. »

Le chercheur ajoute : « En réalité, il semblerait que les mesures de confinement suivent une évolution bien connue en sciences économiques et sociales : à mesure que l’on intensifie mesures prises, leur efficacité marginale diminue jusqu’à devenir nulle ou négative. Ramené à la politique de lutte contre la propagation du covid-19, cela revient à considérer que les éléments les plus déterminants sont constitués par les fermetures de tout lieu de rassemblement (écoles, universités, cafés, restaurant, lieux publics), la mise en place de mesure de distanciation sociale (distance physique et interdiction des rassemblements), et le recours au télétravail. »

Des leçons pour l’avenir proche

Ces conclusions risquent de faire du bruit, à l’heure où le Conseil national de sécurité devrait prolonger le confinement en Belgique. « Concentrons-nous plutôt sur les enseignements à tirer pour l’avenir, écrit Vincent Laboderie. Alors que le pic épidémique semble avoir été atteint ou dépassé en Belgique, les mesures de confinement seront très probablement prolongées afin d’éviter un rebond de l’épidémie. Mais la question est alors de savoir si un tel prolongement est viable. En effet, il risque de causer des dommages irréversibles aux niveaux économiques, sociaux et humains. Il n’est par ailleurs pas certain qu’un tel confinement soit accepté suffisamment longtemps par l’ensemble de la population. L’exemple néerlandais offre peut-être une solution à ce dilemme. »

C’est-à-dire ? « Tout en étant efficace contre la pandémie, le ‘confinement intelligent’ permet de limiter les effets indésirables tant pour l’économie que dans la population. » Philosophiquement, il permet de limiter les atteintes aux libertés individuelles, souligne Vincent Laborderie.

Mais ce n’est pas tout : « Des différences, en apparence minimes, avec le confinement belge peuvent jouer un rôle très important. Ainsi la possibilité de rendre visite à une connaissance agit certainement comme une soupape psychologique. On pense en particulier aux personnes victimes de violence conjugale. De même, la possibilité de faire jouer ensemble les enfants en extérieur permet de sortir du huis clos et du tête-à-tête entre parents et enfants. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que des mesures en apparence seulement économiques comme la réouverture des commerces non essentiels ont aussi un impact social et humain. Les employés, souvent modestes, de ces magasins retrouvent leur travail, alors que les clients peuvent se fournir en biens qui, bien que jugés non essentiels, peuvent l’être en réalité. Par exemple, comment confectionner massivement des masques aujourd’hui, alors que les commerces vendant des machines à coudre et du tissu sont fermés ? »

Conclusion de la conclusion : « Si l’on suit cette vision selon laquelle toute possibilité de contamination doit être éliminée à tout prix, les Pays-Bas devraient aujourd’hui se retrouver dans la situation de la Lombardie au début du mois de mars. L’écart avec la réalité est ici énorme et doit nous amener à repenser de manière approfondie la manière de combattre cette épidémie. »

Hypothèses sur les effets pervers de notre confinement

Pour arriver à ce constat, Vincent Laborderie a comparé l’évolution du nombre de nouveaux cas détectés ainsi que celle des nouvelles hospitalisations. Il ne tient pas compte des décès parce que les données sont faussées en raison du mode de comptabilité et de l’arrivée tardive émanant des maisons de repos. Sur les graphiques, les tendances observées dans les deux pays sont similaires.

Le chercheur formule quelques hypothèses relatives aux effets pervers d’un confinement tel qu’il se pratique en Belgique, comparativement aux Pays-Bas.

Au sujet des sorties extérieures : « Que l’on ne se sorte pas de chez soi ou que l’on reste à distance hors de chez soi n’y change rien. Il est bien évident que l’on a plus de chances de n’être en contact avec personne en restant à son domicile. Mais la différence n’a pas d’impact statistique. On peut même avancer que le confinement strict a des effets pervers sur la santé, et donc sur la gravité des symptômes en cas de contact avec le covid-19. Un organisme affaibli par le confinement (absence d’exercice physique, stress voire dépression) a en effet plus de chances de développer des symptômes sévères. »

Au sujet des magasins qui restent ouverts : « Ayant peu de magasins ouverts, les clients se concentrent au même endroit. Cet effet de jouerait pas si les magasins de vendaient qu’un seul type de produit. Mais en Belgique on est obligé de se rendre dans un hypermarché pour acheter un produit technologique ou tout autre bien non alimentaire. La même remarque vaut pour les animaleries qui vendent des articles de jardinerie ou pépiniéristes. Ces magasins spécifiques étant fermés, la concentration de clients est d’autant plus grande dans les animaleries. Les Belges se retrouvent donc en contact avec un nombre potentiellement élevé de personnes. »

Au sujet du télétravail et des déplacements : « Il faut tenir compte du peu d’écart dans les pratiques de télétravail entre la Belgique et les Pays-Bas, malgré une législation différente. La fréquentation des lieux de travail a ainsi baissé de 29% aux Pays-Bas contre 46% en Belgique. Mais surtout, la différence de fréquentation des transports en commun est encore plus minime : -60% en Belgique contre -52% aux Pays-Bas. Or on sait que la diffusion du covid-19 est, comme toute maladie contagieuse, très forte dans les transports en commun. Elle l’est en tout cas beaucoup plus que sur un lieu de travail où les distances sont respectées et une partie du personnel absent. Le recours au vélo des Néerlandais est la première idée qui vient à l’esprit pour expliquer cette faible différence de fréquentation des transports en commun. »

« Le résultat est étonnant et sans appel : les deux politiques ont une efficacité égale, écrit-il. Plus précisément, il est impossible de percevoir une meilleure efficacité de la politique menée en Belgique. Les Pays-Bas semblent même être plus performants en terme de maîtrise des arrivées à l’hôpital. Moins contraignante pour la population et moins destructrice pour l’économie, la politique néerlandaise apparaît donc tout aussi efficace que la nôtre pour enrayer l’épidémie de covid-19. On ne peut que conclure à l’inefficacité des mesures de confinement strictes prises en Belgique et non aux Pays-Bas. »

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