Le vol spatial réussi de SpaceX, mi-novembre. © AFP

« La Belgique doit agir pour éviter que l’espace ne devienne le Far West »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le député fédéral Samuel Cogolati (Ecolo) dépose au parlement une proposition de résolution réclamant une action de notre pays pour sanctuariser l’espace. Entre dérégulation, unilatéralisme et privatisation, le risque de dérive est bien réel. Entretien.

Samuel Cogolati (Ecoloe), député fédéral, suit de près les questions internationales. Il explique les motivations de la proposition de résolution qu’il dépose, et qui sera prise en considération ce jeudi à la Chambre, pour demander que la Belgique agisse pour « sanctuariser » l’espace.

Ces dernières semaines, de nombreuses informations font état d’une nouvelle conquête spatiale : la lune, et peut-être mars dans un second temps, pourraient servir dans notre quête de nouvelles ressources. Avec de nombreux acteurs impliqués : la Chine, les Etats-Unis, mais aussi des entreprises privées…

Oui, et ce que nous en lisons va rarement au-delà des dépêches d’agences de presse. Cela se limite à dire que la Chine a décroché un petit bout de la lune, que SpaceX a réussi son premier vol entièrement privé dans l’espace, ce qui est du jamais vu… Mais on manque un peu d’esprit critique.

Ce sont des évolutions technologiques intéressantes, mais qui ne sont pas sans danger?

C’est clair. Il y a d’une part des évolutions technologiques très intéressantes. Il y a aussi, désormais, un capital privé très très présent dans la conquête spatiale, ce qui n’était pas le cas auparavant puisque c’était le domaine réservé des grandes puissances étatiques. Mais c’est rare d’avoir des approches critiques se demandant ce qui est en train d’arriver au droit de l’espace. C’est un domaine qui est peu connu, qui date des années 1960-70 et qui a fortement changé vu que le contexte international est très différent.

On peut observer deux grandes évolutions. Premièrement, c’est vraiment une nouvelle ère de conquête et je dirais même de colonisation de l’espace. De façon très claire et assumée, la volonté est de l’exploiter pour de nouvelles ressources naturelles, des métaux rares, de l’eau à l’état solide sur la lune et, dans dix-vingt, des ressources sur mars. Des Etats développement même de nouveaux accords bilatéraux dans ce sens comme les accords Artémis signés le 13 octobre dernier avec les Etats-Unis, le Canada, les Emirats arabes unis, le Grand-Duché de Luxembourg – mais pas la France, ni la Belgique, ni l’Union européenne.

Pourquoi le Grand-Duché de Luxembourg?

Il a adopté il y a quelques années de cela, le 20 juillet 2017, une loi dont l’article premier dit déjà tout : « Les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation ». Ces Etats remettent complètement en question les vieux principes du droit international selon lesquels l’espace, les corps célestes, la lune… constituent le patrimoine mondial de l’humanité, avec un principe de non-appropriation.

Un peu comme c’était le cas pour l’Antarctique, finalement?

Exactement. Il s’agissait de ressources planétaires n’appartenant à aucun Etat nation en particulier. Dans ces accords Artémis, il y a une remise en question explicite de ce principe de non-appropriation : on autorise non seulement des Etats, mais aussi des entreprises privées, à s’approprier des ressources naturelles. Un autre principe pose question, ce sont les ‘safety zones’, des zones de sécurité où il sera permis de réaliser des opérations diverses sur les corps célestes. On fait face à un bouleversement avec des Etats qui se basent sur la logique unilatérale du « premier arrivé, premier servi ».

Il n’y a pas de garde-fou?

C’est cela le gros problème. Je n’ai pas peur d’utiliser le mot Far West. Plusieurs Etats font complètement cavalier seul alors que nous étions auparavant dans une logique Onusienne avec le Traité de l’espace de 1967, puis le Traité sur la lune de 1979, dont la Belgique fait partie. Sous la présidence de Donald Trump, les Etats-Unis ont complètement quitté cette logique. Il y a un risque de course sans limites avec d’autres puissances comme la Russie ou la Chine.

L’autre grosse évolution, c’est la privatisation : on n’a jamais vu autant de capitaux privés investis. SpaceX est un projet mis en oeuvre par Elon Musk, dont on a beaucoup parlé ces derniers jours…

… parce qu’il est devenu la deuxième plus grosse fortune du monde.

Précisément. Cela fait sourire, mais c’est devenu un nouveau domaine de conquête économique, avec d’énormes gains financiers en jeu. Space X, ce sont des milliers de microsatellites envoyés dans l’espace et tous ses projets ne sont pas du tout encadrés. Nous assistons à une saturation de l’orbite planétaire avec un nombre incalculable de satellites, avec un problème de pollution, aussi : l’espace est devenu un énorme dépotoir à ciel ouvert.

La volonté, aujourd’hui, est de profiter de l’arrivée de l’administration Joe Biden pour quitter cette logique de privatisation sans limites, avec la loi du plus fort, et d’oeuvrer à un retour à la multilatéralisation du droit de l’espace.

Qu’est-ce que la Belgique peut faire? Votre résolution appelle notre pays à jouer un rôle moteur, mais dans quel sens?

On peut se dire que la Belgique est un tout petit pays et se demander ce qu’elle peut dire, mais nous jouons un rôle important dans le droit de l’espace, nous sommes en outre le sixième pays contributeur de l’Agence spatiale européenne sur vingt-deux Etats membres. Historiquement, elle a toujours fait partie des traités sur l’espace. La Belgique fait encore partie du Comité de l’ONU sur l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique.

Je sais que ce thème passe souvent sous les radars, mais c’est un enjeu énorme, c’est pourquoi j’invite le gouvernement belge à prendre position en faveur d’une régulation internationale de l’utilisation de l’espace. Nous devrions pouvoir décider de son sort de façon multilatérale, au bénéfice de tous les Etats-nations, y compris des plus pauvres, en développement. La Belgique peut jouer un rôle dans cette dynamique-là. En ne disant rien, c’est un peu ‘qui ne dit mot consent’. S’il n’y a pas de réponses à des déclarations unilatérales d’appropriation de l’espace, je crois que l’on va droit dans le mur. Le parlement, qui représente la Belgique, a aujourd’hui l’occasion, à travers ce texte, de proclamer de façon solennelle que, pour nous, le principe de patrimoine commun de l’humanité a encore un sens. Il doit être utilisé et préservé au bénéficie de tous.

Qui devrait porter cela, ensuite, au niveau diplomatique, le Premier ministre, Alexander De Croo, et la ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès? Ce texte serait aussi une invitation pour les libéraux à agir?

Pour être honnête, c’est un sujet qui est encore asse vierge politiquement, je le conçois complètement. Il attire peu d’attention médiatique au-delà des annonces ponctuelles. J’ai déjà interrogé le ministre des Affaires étrangères, Philippe Goffin (MR) à l’époque, au sujet des accords Artémis, quand ils se négociaient, il se déclarait clairement en faveur d’un nouveau traité multilatéral qui régule. Un engagement plus formel du parlement via une résolution serait un pas dans la bonne direction et un statement du pays.

Une telle démarche fait songer à l’action menée par la Belgique contre les mines antipersonnel, à l’époque…

… oui, ou en faveur des droits des enfants. La Belgique est vraiment à la pointe sur toute une série de dossiers. En ce qui me concerne, ce sont d’anciens collègues du Centre de droit international de la KULeuven, où je travaillais avant, qui ont tiré la sonnette d’alarme. Ces spécialistes en droit de l’espace nous invitent à réagir politiquement. Il est clair que la Belgique, seule dans son coin, ne pourra pas tout changer, mais elle a un rôle important à jouer en incitant l’Union européenne à agir et en profitant de l’arrivée du nouveau président américain Joe Biden.

Une précision importante: le principe même de l’exploitation de l’espace peut apporter des réponses importantes à des problèmes que l’on connait sur terre, vous vous y opposez?

Ce texte n’est pas du tout une initiative pour s’opposer à ces évolutions, vraiment pas. Au contraire même : ces évolutions technologiques sont géniales, il est formidable qu’il y ait désormais des investisseurs privés dans la conquête de l’espace, mais il est important d’éviter une course effrénée qui ressemble plus au Far-West qu’autre chose.

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