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La Belgique couverte d’éloges au Mondial: « Les migrants se reconnaissent enfin dans l’équipe nationale »

Jef Van Baelen
Jef Van Baelen Journaliste Knack

Les Diables rouges sont complimentés partout dans le monde. Et les éloges ne portent pas seulement sur l’équipe, mais aussi sur la Belgique. « Les changements sociaux que ce pays a réussi à réaliser en peu de temps, parfois douloureux et imparfaits, sont un solide accomplissement. »

« Pour la Belgique, l’hétérogénéité est devenue une force. Les coaches des précédentes générations ont dû trouver un équilibre entre le nombre de joueurs wallons et flamands dans l’équipe. Aujourd’hui, les supporteurs dépassent leurs problèmes linguistiques. Ils scandent en anglais ou fredonnent, sans paroles, la marche triomphale de Verdi. La Belgique semble un foyer où les parents sont séparés, mais continuent tout de même à vivre ensemble. C’est comme si les enfants qui grandissaient dans cette triste maison divisée avaient décidé de se comporter en véritable famille, malgré tout. »

Louanges

La presse étrangère a embrassé la Belgique comme totem du multiculturalisme, représentée par une équipe éblouissante et diverse où l’origine ne compte plus.

Qu’une équipe aussi multiculturelle s’en sorte bien au Mondial en Russie, qui n’est pas un modèle de tolérance, a inspiré des journalistes du monde entier à dépeindre notre pays comme de courageux rebelles qui prennent position à leur insu. Al Arabiya, le Times irlandais, et même The Indian Express en ont fait des reportages. Après le match Belgique-Tunisie, le journal indien écrivait : « Le Flamand De Bruyne a envoyé une passe au Wallon Hazard, qui a marqué un but et l’a fêté avec Lukaku, fils d’immigrants congolais. Dans les tribunes, tous les Belges applaudissaient avec lui – Flamands, Wallons ou autres. » Les Indiens ont volé leur titre ‘United Colors of Belgium’ au journal d’affaires Financial Times, qui trouve que ‘Benneton Belgium’ représente l’idée que « la nationalité est plus subtile que le sol et le sang ». (…)

Bruxelles est apprécié par le Financial Times pour son « sentiment Mos Eisley Cantina », d’après une scène célèbre de Star Wars. Pour qui ne connaît pas la scène : des originaux de toute la Voie lactée sont accoudés au bar au Mos Eisley. À moment donné, il y a un peu d’agitation quand Han Solo tue un habitué, mais rapidement la musique se remet en route, et la fête se poursuit.

Campagnes antiracisme

Johan Leman, ancien directeur du Centre pour l’Égalité des Chances et la Lutte contre le racisme, est l’un des architectes du melting pot de la Belgique. The New York Review of Books jette des fleurs à Leman parce que dans les années nonante il misait sur le football pour l’intégration sociale de nouveaux venus, avec comme résultat l’équipe de stars d’aujourd’hui.

« C’est un compliment inattendu et évidemment excessif, mais cette analyse n’est pas totalement infondée », réagit Leman, aujourd’hui président du Foyer molenbeekois. « Au début des années nonante, j’étais chef de cabinet de la Commissaire à la Politique migratoire Paula D’Hondt. Nous venions d’avoir les gros troubles de migrants de Bruxelles et le Vlaams Blok remportait ses premières victoires électorales. Il était urgent d’instaurer une politique d’intégration, à une période où il fallait drastiquement économiser sur les dépenses publiques. »

Leman a approché l’Union de football qui a monté des campagnes anti-racisme, et a prévu des endroits pour jouer au foot dans les centres-ville. Johan Leman: « Le monde académique m’est tombé dessus – vous avez peu d’argent et vous le dépensez en sport! Pour une question aussi complexe que l’immigration, la solution semblait trop banale. Honnêtement, je n’ai jamais pensé que ces petits terrains de foot allaient changer le monde, mais j’espérais que cela entraînerait une espèce d’intérêt mutuel. Aujourd’hui, je constate que de nombreux Diables rouges ont effectivement appris le métier sur ces petits terrains. Jan Peeters, le président entre-temps décédé de l’Union de football, mérite un hommage posthume. C’est lui qui a amené le football belge sur le sentier de l’intégration. »

Il y a évidemment aussi un côté mercantile à cette histoire. Début des années 2000, les clubs belges ont réalisé qu’il y avait de l’or à ramasser sur les petites places de Bruxelles et de Liège. Jusqu’à aujourd’hui, on y pratique un scouting intensif.

Lozano

Pour cette génération de Diables rouges, la race ou la religion n’est pas pertinente. S’il n’y a jamais eu d’incidents ouvertement racistes, les précurseurs tels que Luis Oliviera ou Emile Mpenza ne se sentaient pas à leur place dans l’équipe belge blanche comme neige. Et à quel point l’équipe à succès des années quatre-vingt aurait-elle bien joué si on avait fait une place à Juan Lozano, quand ce dernier affichait son envie de devenir international belge ?

« Le foot belge a compris relativement tôt que l’intégration et le multiculturalisme sont des atouts », estime Johan Leman. « Je me souviens d’une campagne anti-racisme avec les capitaines de première classe, au milieu des années nonante. Franky Van der Elst du Club de Bruges s’est levé et a dit : « Peu importe si un joueur est blanc, noir ou brun, du moment qu’il sait shooter. » (rires)

Plan Zidane

Certains médias étrangers établissent des parallèles entre les Diables rouges et les fameux Black-Blanc-Beur, le surnom de l’équipe française qui a remporté la Coupe du monde en 1998. Alors que Jean-Marie Le Pen et son Front National fulminaient contre « la canaille de banlieue », l’enfant de banlieue Zinédine Zidane devenait le héros de la nation. Après la Coupe du monde, le gouvernement français a lancé un ‘Plan Zidane’ pour offrir plus de chances aux enfants de la banlieue. L’image de la France multiculturelle et tolérante a fait long feu. Le succès footballistique n’a pratiquement pas fait reculer le racisme, et Le Pen a continué à remporter des victoires électorales.

Pourtant, une équipe nationale diverse à succès exerce un impact inévitable, estime Johan Leman. « Les enfants belges admirent Romelu Lukaku et Vincent Kompany : évidemment, cela influence leur avis sur la question d’intégration. Cela fonctionne d’ailleurs dans le sens inverse : dans mon quartier, je constate que Molenbeek soutient la Belgique. Il y a dix ans, c’était impensable. Il est probable que les quartiers de migrants se reconnaissent enfin dans l’équipe nationale, mais cela signifie aussi qu’on sent qu’on fait partie de ce pays. Ça me rend optimiste. »

Déclarations politiques

Généralement, les joueurs internationaux se gardent de déclarations politiques. Il y a pourtant deux footballeurs dans le noyau qui peuvent parler de la problématique des réfugiés, aujourd’hui le sujet brûlant en politique internationale. Le père d’Adnan Januzaj a fui en Belgique en 1992 parce qu’il ne voulait pas être incorporé dans l’Armée populaire yougoslave, dominée par les Serbes. Plusieurs oncles du Diable rouge se sont battus dans l’UCK, l’Armée de libération du Kosovo. Januzaj lui évite ce thème si sensible pour sa famille.

Vincent Kompany craint moins d’exprimer son opinion. À la fin des années soixante, le père de Kompany a fui le régime de Mobotu : Pierre Kompany était opposant politique et craignait pour sa vie. Si les Diables rouges remportent la coupe, il ne faut pas s’étonner si Kompany s’exprime sur les réfugiés et la philanthropie. « Ce serait fantastique s’il faisait ça », estime Johan Leman. « Ce serait encore plus impressionnant si l’Union de football et le reste de l’équipe le soutenaient. Pour l’instant, les footballeurs sont au centre de l’attention. Quand ils donnent un signal, personne ne peut l’ignorer. »

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