Manifestation, en janvier 2020. © Belga

La Belgique, ce pays où on ne peut plus se parler

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La crise interne à la FGTB est révélatrice de la radicalisation des positions au Sud comme au Nord, de la montée de forces qui sortent du cadre (démocratique, belge, libéral) et d’une démocratie plurielle qui balbutie.

Il n’est donc plus permis de parler ouvertement et de façon constructive à un opposant politique. C’est ce que l’on retiendra de cet épisode où Robert Vertenueil, président de la FGTB, a perdu la confiance de sa base après un dialogue avec Georges-Louis Bouchez, président du MR. Il devrait être remplacé, sauf nouveau rebondissement, par Thierry Bodson, patron de l’interrégionale wallonne. Un homme plus tranché, un Wallon plus en phase avec son temps et un régionaliste convaincu.

Oui, le contexte est évidemment plus large. La perte de confiance du président de la FGTB n’est pas liée uniquement au fait qu’il se soit fait prendre « comme un bleu » par la communication très offensive de son homologue libéral, sans avoir suffisamment consulté en interne – ce ne fut que le coup de grâce. Son discours « trop mou » ne correspondait plus au syndicalisme de combat qui risque de s’imposer à ce moment charnière de l’histoire du pays.

Ces prochaines semaines, on devra résoudre en même temps une crise socio-économique dantesque et une impasse politique susceptible de devenir bientôt existentielle pour l’avenir du pays. Sans oublier de se pencher sur l’avenir de la planète ou de réussir à prévenir les futures crises sanitaires. Ce n’est pas par hasard si une « Coalition Corona » a vu le jour, unissant les forces syndicales, mutuellistes, associatives…, du nord et du sud d’ailleurs : il s’agira de peser sur ces événements. Parmi les partisans de cette dynamique, on retrouve, et ce n’est pas un hasard, Thierry Bodson, potentiel futur patron de la FGTB, et Jean-Pascal Labille, à la tête de Solidaris, la Mutualité socialiste.

On ne peut pas résumer le bras de fer à venir sur le monde d’une simple confrontation communautaire, entre un nationalisme exacerbé en Flandre et un communisme déguisé en Wallonie – pour caricaturer. L’épisode FGTB-MR démontre que la ligne de démarcation est plus subtile. Mais il témoigne de cette incapacité croissante à se parler sereinement, en Belgique comme ailleurs, quand on porte des projets différents. Ou alors, le dialogue vire au théâtre comme lors du récent face-à-face télévisé entre Georges-Louis Bouchez (MR) et Raoul Hedebouw (PTB) – chacun parle sans écouter l’autre.

L’incident de la FGTB n’est évidemment pas anecdotique à l’heure où le PS de Paul Magnette sera sans doute contraint de passer l’été à dialoguer avec la N-VA. La FGTB lui rappelle sa puissance et se base rappelle que le libéralisme exacerbé et le patronat dominant comme ce fut le cas du temps de la suédoise, c’est désormais ‘¡No pasarán!’.

Le dialogue compliqué entre Nord et Sud, ou entre partisans du capitalisme et du socialisme (pour faire court), n’est pas nouveau. C’est ce qui a guidé l’histoire récente du pays et motivé les réformes de l’Etat. Mais la situation s’est potentiellement aggravée parce que notre démocratie balbutie pour trois raisons, au moins. Un : les partis du centre ont perdu la moitié de leur poids électoral – CD&V et CDH ne sont plus dominants. Deux : la polarisation de la société est exacerbée par les réseaux sociaux et une génération montante biberonnée à ce langage, tandis que la démocratie peine à évoluer au même rythme. Trois, et ce n’est pas le moindre des soucis : les forces politiques en pleine ascension – Vlaams Belang et PTB – sortent du cadre traditionnel et en rejettent la pertinence, l’un en voulant scinder la Belgique, l’autre en rejetant le cadre libéral et européen. Affirmer que cette pression-là ne joue pas est au mieux de l’aveuglement, au pire de la mauvaise foi. On ne parle pas forcément d’une intervention directe du PTB, dans le cas de l’épisode qui nous occupe, mais il est connu que l’extrême gauche a fait de l’infiltration des institutions sa marque de fabrique.

Oui, il est donc de plus en plus difficile de parler – simplement de parler – sans être accusé de trahison ou sans se faire acculer à coups d’arguments multiples pour démontrer à quel point notre mode de pensée est erroné. L’autre est devenu le diable! Voilà la toile de fond de cet « incident » et voilà pourquoi il est préoccupant. Car s’il ne s’agissait pas de ça, le destin de la FGTB appartient aux militants de la FGTB, c’est une évidence.

Le dialogue constructif est-il mort en Belgique ? Non, heureusement. La façon dont le gouvernement Wilmès a été soutenu de l’extérieur pour gérer la crise sanitaire en témoigne – non sans difficultés, ni confrontations entre partis. Mais c’est précisément au moment où l’expérience pourrait être reconduite au-delà de l’urgence que les dents grincent ou que les modèles se téléscopent. Une solution transitoire n’est pas exclue, qui pourrait même perdurer jusqu’en 2024. Comme un sursaut de responsabilité nécessaire. Mais en cas d’échec, des élections s’annonceraient à l’automne, sous haute tension. Et dans tous les cas de figure, il arrivera un moment où cet impossible dialogue risque tout simplement de nous exploser à la figure.

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