Carte blanche

L’ONE dans la tourmente

La réforme des structures d’accueil de la petite enfance amène à la réflexion. Devrons-nous envisager à l’avenir que les structures d’accueil pour enfants en bas âge soient uniquement gérées par le secteur public ? Quand est-il de l’avis des parents et des structures d’accueil privées ?

Ce 15 novembre 2019, la Sixième chambre de la Cour d’appel de Mons a prononcé un arrêt édifiant à l’encontre de l’Office de la Naissance et de l’Enfance (ci-après ONE) dans l’affaire de la crèche privée « Baby and Cla » de Tournai. Pour rappel, le dossier mettait en cause Mme Clarisse Sita directrice de la maison d’enfant fondée en 2009 et l’ONE. En juillet 2014, l’ONE avait décidé de retirer l’autorisation d’exploitation entrainant la fermeture immédiate de la maison d’enfants : 17 bébés se sont retrouvés privés de leur structure d’accueil du jour au lendemain.

L’affaire avait débuté courant novembre 2013 à la suite de la convocation des parents au siège du Hainaut de l’ONE pour les informer que des plaintes ont été déposées par des stagiaires pour maltraitance d’enfants et qu’une procédure de fermeture allait être prise à l’encontre de la crèche privée. Immédiatement les parents ont fait corps pour soutenir la Directrice qui était en froid depuis plusieurs mois avec la coordinatrice régionale de l’ONE. Face à la réaction des parents qui « …conservent unanimement leur confiance envers Mme Sita », la direction provinciale de l’ONE avait décidé « de ne pas suspendre l’accueil des enfants » en se donnant le droit de réexaminer la situation. Ces plaintes furent d’ailleurs classées sans suite.

En avril 2014, deux autres plaintes furent déposées et immédiatement classées sans suite. L’ONE décida en mai 2014 néanmoins de suspendre préventivement l’accueil des enfants malgré l’opposition des parents qui constituèrent un comité de soutien, alertant notamment les médias, et organisèrent eux même au sein de l’établissement la garderie pour ne pas mettre en défaut la directrice.

En juillet 2014, le Comité subrégional du Hainaut de l’O.N.E. décida de retirer l’autorisation délivrée à Madame Sita, alors qu’à cette date, le dossier judiciaire était vide, entraînant la fermeture immédiate de la maison d’enfants. Décision confirmée le 1er octobre 2014 par le Conseil d’administration de l’ONE à la suite du recours administratif interne de la directrice. A partir de cette date, une bataille judiciaire se mis en place ; parallèlement les parents alertèrent en vain les autorités publiques qui restèrent toutes muettes à leur appel désespéré. Une instruction judiciaire fut demandée pour entendre plus de 60 stagiaires ayant travaillées dans l’établissement, un recours en annulation et en suspension furent introduit au Conseil d’état, une plainte au pénal contre les stagiaires fut déposée pour diffamation et calomnie et en fin de courses une plainte au civil.

Par un arrêt n° 236.854 du 20 décembre 2016, le Conseil d’Etat a annulé la décision entreprise et ce 15 novembre par l’arrêt n° 2019/4133, la Cour d’appel de Mons a considéré que l’ONE avait causé un dommage à Madame Sita résultat d’une décision fautive. Ces deux décisions sont symboliquement lourdes de conséquences pour l’ONE. La décision de retrait se fondait notamment sur le décret du 17 juillet 2002 portant réforme de l’ONE et sur les arrêtés du Gouvernement de la Communauté française des 27/02/2003 et 17/12/2003. La Cour de Mons se basant sur l’arrêt du Conseil d’Etat conclut « En l’occurrence, cependant, c’est à l’ONE, lui-même qu’il appartenait d’arrêter les critères sur la base desquels l’autorisation pouvait être accordée, refusée ou retirée. C’est parce qu’il n’a pas exercé et /ou fait respecter la compétence qui était la sienne durant plusieurs années, qu’il s’est retrouvé à devoir appliquer un arrêté du Gouvernement illégal lorsqu’il a adopté la décision litigieuse. » « …l’ONE devait être en mesure de la comprendre et lui appartenait dès lors d’exercer sa compétence ou de la faire respecter, ce qu’il n’avait toujours pas fait au moment de l’adoption de la décision litigieuse, plus de douze ans plus tard » ! En d’autres termes, il s’avère que durant plus de douze ans en tout connaissance de cause, l’ONE a accordé, refusé, retiré des autorisations en toute illégalité !

L’arrêt Sita du Conseil d’Etat du 20 décembre 2016 ne fut pas sans conséquence pour l’ONE. Un nouveau règlement relatif à l’autorisation d’accueil fut pris en date du 25 janvier 2017. La référence à des critères quelconques fut supprimé. Alors que à la suite de cette réforme et à la mise à niveau des normes d’encadrement entre secteur public et secteur privé ce dernier pouvait espérer être enfin traité d’égal à égal, l’annonce début février 2019 de la mise en oeuvre du « pacte pour la petite enfance » jeta un vent de panique dans le secteur privé aux vues des conséquences catastrophiques des mesures prises entrainant la mise en péril de tout un secteur actif depuis de très nombreuses années. Ainsi même l’EFP organisme public de formation à Bruxelles dans un communiqué du 15 novembre a appelé à la révision de cette réforme estimant que « L’ONE ferme la porte à la formation en alternance pour les métiers de la petite enfance ».

De même, une nouvelle fédération de crèche privée à vue le jour (la FEMAPE) qui a décidé d’introduire un recours avec le SNI auprès du Conseil d’Etat. Plus encore on peut s’inquiéter de l’avenir même du secteur et de la capacité des communes et de la Communauté française, déjà lourdement endetté, à pouvoir encore investir dans de nouvelles structures pour faire face à une pénurie de place d’accueil. Est-il raisonnable de faire peser sur la collectivité, pour des motifs purement idéologiques, tout le poids de la gestion de la petite enfance ! Alors que partout en Europe, les 2 secteurs coexistent de manière complémentaire. A n’en pas douter l’arrêt Sita a joué un rôle dans cette réforme et devrait encore faire écho.

Jacques Bocklant – juriste/formateur.

Précisions Benoît Parmentier, Administrateur général de l’ONE, concernant la situation de Madame Sita

Le Conseil d’Etat a annulé une décision de l’ONE fermant un lieu d’accueil en faisant application de la procédure prévue par un arrêté du Gouvernement de la communauté française, au seul motif que cet arrêté était illégal: le Gouvernement avait le pouvoir d’approuver un règlement de l’ONE et non d’arrêter un tel règlement. Madame Sita réclamait l’indemnisation d’un dommage qu’elle fixait à environ 600.000€. La Cour d’appel de Mons reconnait l’existence d’un dommage lié à cette seule illégalité censurée par le Conseil d’Etat et qu’elle chiffre à …8.099,40€, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 13 juin 2017 et des intérêts judiciaires. Pour obtenir ce montant, la Cour estime partiellement fondés 3 postes de dommage. Au final, ni le Conseil d’Etat, ni les juridictions de fond n’ont relevé de faute de l’ONE quant au bien-fondé de la mesure de fermeture. On constatera que la demanderesse qui réclamait l’indemnisation de 20 postes de dommage pour un montant total qui, dans ses dernières conclusions, avoisinait les 600.000 € obtient moins de 1,4% des sommes réclamées.

Le dernier communiqué de presse de l’ONE sur la réforme des milieux d’accueil.

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