More is less, 2019. © Aurélien Mode. Courtesy Franck Scurti et Michel Rein Paris-Bruxelles.

L’oeuvre de la semaine : More is Less

Guy Gilsoul Journaliste

Le Lyonnais Franck Scurti (°1965) observe notre société à partir de ces petites choses du quotidien banal qu’il va, ensuite, par un changement d’échelle et des associations inattendues, mettre en scène de manière quasi clinique.

Ainsi, un décapsuleur de canette évoque-t-il, une fois agrandi et renversé, un siège design devenu très populaire. Ainsi, une boîte à conserve ouverte devient-elle par le même procédé, un lit double dans lequel il dépose draps, coussins et couvertures. L’étrangeté est d’abord critique et repose sur une conviction : « nos modèles économiques construits sur la consommation de masse aboutissent immanquablement sur l’appauvrissement collectif ».

Mais dans cette oeuvre présentée au Palais de Tokyo dans le cadre d’une exposition thématique autour du « sensible », le matériel de base comme la cible se sont déplacés vers le consumérisme « religieux ». Le point de départ de la mise en scène n’est doc plus un objet mais une oeuvre d’art et plus précisément « Le Christ jaune », une toile peinte en 1889 à Pont-Aven par Gauguin dans lequel le caractère dramatique de la crucifixion (inspiré par une sculpture d’art populaire) se délite à l’arrière-plan par une scène qui souligne l’indifférence à l’évènement.

Dans la scénographie de Scurti, le caractère spatial mis en place évoque d’emblée le choeur d’une église avec sa série de marches et son abside avec en son milieu, une croix tronquée (comme dans le tableau du peintre français). Mais en lieu et place de l’autel, décentré, Scurti a posé une chaise cassée (à genoux) qui n’est pas sans évoquer « La Nona Ora » l’oeuvre de Catellan appartenant au milliardaire Pinault et qui montre le pape Jean-Paul II écrasé par une météorite.

L’allusion au sacré (le miracle de la multiplication des pains) est aussi présent dans le décor de l’abside qui répète, jusqu’à l’effacement au fur et à mesure qu’on s’approche des extrémités, le dessin d’un emballage de boulanger représentant la sainte « baguette ». Et comme si cela ne suffisait pas à pointer les liens entre religieux, consommation de masse et indifférence, les marches sont joyeusement colorées aux teintes du tableau de Gauguin, invitant le visiteur à transgresser de manière ludique la distance entre sacré et profane.

Enfin, le titre de cette oeuvre, « More is Less » renforce la critique en inversant le manifeste de la modernité inscrite à la manière d’un premier commandement par l’architecte Mies Van Der Rohe en 1947, « Les sis More ».

Paris, Palais de Tokyo. Jusqu’au 12 mai. De midi à minuit tous les jours sauf mardi. www.palaisdetokyo.com

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