Ombres dessinées, 2000 © DR

L’oeuvre de la semaine: l’envol d’une ligne

Guy Gilsoul Journaliste

Dans le jardin en friche de Francis Dusépulchre (1934-2013), il y avait de l’eau de source qui traversait un étang, quarante-deux espèces d’oiseaux que l’artiste observait chaque jour et des fleurs venues au hasard pour lui rappeler le magasin de son enfance.

Puis un atelier rempli à ras bords, habitat des poussières, des araignées et d’un incroyable désordre. On y aurait vu du matériel et ses outils, aussi simples que rudimentaires : un braquet, des pinces coupantes, une ponceuse, des serre-joints, une scie sauteuse, un pistolet de carrossier et des panneaux de masonite, de la colle, des fils d’acier ou de nylon. Toute la nuit et encore la veille et l’avant-veille, Francis Dusépulchre a rêvé l’oeuvre à venir qui serait plus pure encore que la précédente et qui, par quelques dérisions inattendues, lui ressemblerait encore davantage.

Sur un panneau de bois aux proportions d’une feuille A4, il ferait apparaître, au fil des heures un galbe mais à peine, sensible comme la sensation de la main qui caresse un galet ou bien un ventre ou un sein. Puis, il lancerait, à quelque distance du fond, un trait comme un envol d’oiseau, une ligne en fil d’acier que l’ombre suivrait, légèrement effacée. Les points d’ancrage que l’intuition désignera au départ et à l’arrivée, révèlent, sur le bord supérieur, une division qui s’avère indiquer le fameux nombre d’or. Celui de l’harmonie naturelle.

Le second, sur le bord latéral et au bas du cadre, se situe à une distance qui est celle de la largeur du support, suggérant ainsi la présence invisible d’un carré stabilisant. C’est alors que l’artiste musicien contrarie la ligne légèrement courbe par un angle vif qui accueille une autre ligne, plus dure, plus autoritaire, partant du coin inférieur gauche et qui donnera à la composition finale, une puissance que Francis Dusépulchre orchestrera en bleu, parce que « le bleu, écrivait-il, c’est insaisissable et intrigant ». C’était en l’an 2000.

Devant cette oeuvre et bien d’autres, en rouge, en blanc ou en jaune d’or toujours monochromatiques, comme face à ses jeux de fils de nylon tendus au coeur d’espaces de transparences clôturés par des parallélépipèdes en plexi, le visiteur restera longtemps ou se détournera. Il y décèlera un créateur qui, dans la lignée des écrits de Paul Klee et de la Gestalt theorie aura surtout produit une oeuvre issue de ce que Kandisnky appelait « la nécessité intérieure ». D’autres ressentiront l’appel d’un homme dont, pour combattre l’angoisse venue des bruits de l’enfance, cherchait, dans ses propres « reliefs », à se fondre dans une musique silencieuse dont il était tout à la fois le compositeur, l’interprète et le chef d’orchestre. Dehors, les oiseaux l’attendaient.

Bruxelles, La Patinoire royale. 15 rue Veydt. Jusqu’au 8 mai. Mercredi de 14h à 29h. Du jeudi au samedi de 11h à 19h. www.prvbgallery.com

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